Les Russes se remémorent
avec une grande anxiété et les plus vifs souvenirs ce qui la dernière fois
était arrivé à leur rouble : une destruction quasi-totale. Ils font
confiance à leurs billets de banque tant qu’ils peuvent encore s’en débarrasser.
Et ils ne restent pas les bras croisés. Ils convertissent leurs roubles en
dollars et en euro, et contribuent ainsi à l’effondrement de leur monnaie. Ce
qu’ils ne peuvent pas convertir en devises fortes, ils le convertissent en
actifs de toutes sortes : mobilier, iPhones, bijoux… Les plus riches se
tournent vers les voitures de luxe.
Les ventes de Lexus ont
augmenté de 63% en novembre, et les revendeurs ont eu à recruter de nouveaux
employés pour faire face à ce rebond de la demande. Les ventes de Porsche ont
grimpé de 55%. Les ventes d’Infiniti, la gamme de luxe de Nissan, ont
augmenté de 23%. Mercedes a enregistré une hausse de 7%. Au cours d’une année
qui jusqu’il y a peu de temps s’était avérée désastreuse pour les constructeurs
automobile en Russie.
En mars, pendant la
crise de Crimée, Karl-Thomas Neumann, PDG d’Opel, qui appartient à GM,
annonçait à Automobilwoche
que sa société « commençait à ressentir les pressions du taux de change
du rouble ». La Russie représentait alors la stratégie clé d’Opel, alors
que les ventes chutaient depuis 2008 dans de nombreux pays d’Europe. A l’époque,
il ne pensait pas que le fiasco puisse durer : « Il est certain que
la Russie sera le plus gros marché automobile européen d’ici à 2020 ».
Un sentiment alors partagé par beaucoup de constructeurs automobile, qui pensaient
voir la Russie prendre la place de l’Allemagne d’ici quelques années.
Et puis le prix du
pétrole a perdu 50%. Un effondrement similaire du rouble est apparu ensuite.
Les ventes automobiles ont perdu 12% cette année de janvier à novembre.
Mais le mois de novembre
s’est avéré bien moins catastrophique. La ruée vers les voitures de luxe, en
conjonction avec les programmes de prime à la casse, a engendré un
ralentissement de l’effondrement des ventes, qui n’ont perdu qu’1,1% sur le
mois. Au mois de décembre, alors que l’effondrement du rouble devenait hors
de contrôle, la situation s’est encore améliorée.
« Les voitures,
quels que soient les budgets ou les premiums, se vendent comme des petits
pains, expliquait Tatyana Lukovetskaya, directrice de la chaîne de
concessionnaires et d’importateurs automobiles Rolf Group. Le marché n’avait
pas enregistré un tel rebond depuis plus de dix ans ».
Les Russes tentent de
tirer le meilleur parti possible d’une mauvaise situation. Les prix de vente
sont fixés par les constructeurs bien avant que les ventes soient finalisées,
et lorsque la devise plonge de 20, 30 ou 40% pendant l’intervalle, les
acheteurs qui paient à l’aide de roubles dont la valeur se dégrade de jour en
jour et à des prix fixés des mois à l’avance en tirent une bonne affaire :
un « actif » qui perd de sa valeur plus lentement que le rouble a
une certaine utilité et peut être revendu contre des devises fortes.
Mais à l’échelle
globale, les constructeurs voient leurs ventes plonger à chaque fois que le
rouble perd de sa valeur, puisqu’ils doivent convertir leurs revenus
enregistrés en Russie en leur devise nationale. Avec l’effondrement qui
survient aujourd’hui, ils enregistrent des pertes pour chaque véhicule envoyé
en Russie. Leurs profits diminuent aussi pour ce qui concerne les véhicules
construits en Russie, puisque les composants, qui représentent une majeure
partie du coût de construction d’une voiture, proviennent de Chine, de
Thaïlande, de Corée, d’Europe, des Etats-Unis et d’autres régions.
Les achats des Russes
devraient s’effondrer dès que des hausses de prix auront été mises en place
ou que les épargnes en roubles se seront épuisées. Les constructeurs automobiles
s’y préparent déjà. Volker Treier, directeur général de l’Association des
chambres allemandes d’industrie et du commerce (DIHK), a annoncé que les
sociétés allemandes ont déjà été fortement
affectées par la baisse du pouvoir d’achat des Russes. L’année 2015 ne s’annonce
pas meilleure. Les sociétés commencent à réduire leurs investissements en
Russie, et certains constructeurs ont déjà commencé à licencier ou à recruter
vers des employés à temps partiel.
L’une de ces sociétés
est Volkswagen, qui a investi 1,3 milliard de dollars en Russie et planifiait
d’y investir 1,2 milliard supplémentaire. Mais elle réduit aujourd’hui sa
production à Kaluga et commence à licencier. Ses ventes ont diminué de 13% en
Russie depuis le début de l’année.
Les constructeurs
automobiles perdent trop d’argent. Et ils souhaitent mettre fin à cette
situation. Mardi dernier, GM rapportait avoir mis fin à ses ventes de gros
auprès des concessionnaires russes. Mercredi, Jaguar Land Rover, une filiale
du constructeur indien Tata Motors, a également mis fin à ses ventes de gros
en Russie. Jeudi, Audi, qui appartient à GM et Volkswagen, a admis avoir mis
fin à ses ventes en Russie, en raison de la « volatilité du taux de
change du rouble et dans le cadre de la gestion de ses risques commerciaux ».
Le rouble s’est parfois effondré de 10%, voire même 20%, en une seule
journée, et engendré des pertes pour de nombreux constructeurs automobiles en
seulement quelques heures.
BMW commençait dès l’été
dernier à réduire ses exportations vers la Russie. Alors que les
constructeurs automobiles tentent de déterminer un prix qui pourrait leur
permettre d’enregistrer des profits, le rouble continue de chuter. C’est
pourquoi les ventes de gros diminuent aujourd’hui sur un marché qui jusqu’il
y a peu de temps était l’espoir d’un continent au sein duquel la croissance a
du mal à se matérialiser.
Voilà ce qui se produit
lorsqu’une devise s’effondre. Et toutes les devises fiduciaires mal gérées
finissent par le faire. Le rouble n’est pas la seule devise à se trouver
durement affectée par le pétrole, les sanctions, sa banque centrale, la
corruption et les fuites de capital. Mais il est la devise qui en souffre le
plus aujourd’hui. Son effondrement, et les ravages qu’il cause en Russie, ont
des répercussions tout autour du monde.
Alors que les Russes font
tout leur possible pour sauver ce qu’ils peuvent, et que les sociétés tentent
désespérément de mettre fin à l’hémorragie, le gouvernement vend les bijoux
de la couronne pour mettre fin au chaos ne serait-ce que pour une journée.
Lisez ceci : Ruble
Spirals Elegantly out of Control as Functional Currency
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