|
La petite collection éditée chez Berg
International publie Les
réflexions sur le suicide
de Germaine de Staël. Face à un destin cruel, faut-il se
résigner ou bien se révolter ? Peut-on moralement quitter
la vie par un geste d’adieu définitif comme ce fut le cas
récemment de l’historien Dominique Venner
qui s'est tiré une balle devant l'autel à Notre Dame ?
En 1788, dans son premier livre, les Lettres sur les écrits et le caractère de J.-J.
Rousseau, Madame de Staël se dit convaincue que Rousseau s’est
suicidé à cause de sa solitude. Elle écrit : «
Rousseau s’est peut-être permis le suicide sans remords, parce
qu’il se trouvait trop seul dans l’immensité de
l’univers […]. Un jour, dans ces sombres forêts, il
s’est dit : “Je suis isolé sur la terre, je souffre, je
suis malheureux, sans que mon existence serve à personne : je puis
mourir” ».
Toute sa vie, Germaine de Staël fut tentée par
le suicide. Elle a souvent menacé ses amants de se tuer, par chantage
et par désespoir. Pourtant, ses Réflexions
sur le Suicide, témoignent d’un effort philosophique et
moral pour répudier le suicide comme une forme de folie. « J'ai
écrit ces réflexions sur le Suicide, dans un moment où
le malheur me faisait éprouver le besoin de me fortifier par le
secours de la méditation. »
Dans l'Influence des Passions sur le bonheur des
individus et des nations (1796), le suicide était
excusé, voire même approuvé par Madame de Staël :
« On se demande pourquoi, dans un état si pénible,
les suicides ne sont pas plus fréquents, car la mort est le seul
remède à l'irréparable. Mais de ce que les criminels ne
se tuent presque jamais, on ne doit point en conclure qu'ils sont moins
malheureux que les hommes qui se résolvent au suicide. Sans parler
même du vague effroi que doit inspirer aux coupables ce qui peut suivre
cette vie, il y a quelque chose de sensible ou de philosophique dans l'action
de se tuer, qui est tout à fait étranger à l'être
dépravé. »
Toutefois,
vers la fin de sa vie, dans ses Réflexion
sur le suicide, Madame de Staël désavoue ce passage et s'en
accuse comme d'une regrettable erreur de jeunesse. Dans ces Réflexions, publiées en
1813 à Londres et dédiées à son ami le prince
royal de Suède, elle soutient, au contraire, que la résignation
à son destin est d'un ordre moral plus élevé que la
révolte.
Elle
consacre la première section de ses Réflexions au sens de la souffrance, non comme un
amoindrissement de nos facultés, mais comme un des
éléments nécessaires du « perfectionnement de
nous-mêmes ».
Dans
une seconde section, elle expose les principes chrétiens qui se
rapportent au suicide et dans une troisième section, elle ajoute une
démonstration philosophique fondée sur « la plus haute
dignité morale de l'homme ».
Elle
démontre que la vraie grandeur est celle du dévouement et du
don de soi. L'idée du renoncement à ses passions n'est pas
fondée sur un simple calcul utilitaire : s'épargner des
désillusions douloureuses et inévitables. La vraie mesure de la
grandeur de l'homme, selon elle, c'est l'obéissance volontaire et
consciente aux lois de la nature et de sa destinée.
Ainsi,
la mort volontaire dont le but est de se défaire de la vie est
à distinguer de celle qui a pour but le dévouement à une
cause. La première est portée par la révolte contre son
sort et ne doit susciter aucun enthousiasme. En revanche, la seconde est
portée par l’amour du devoir.
Madame
de Staël recommande donc une certaine indulgence à
l’égard d’un type de mort volontaire, le suicide politique
à la romaine. Elle admet que si l’on est « incapable
de la résignation chrétienne à l’épreuve de
la vie, du moins devrait-on retourner à l’antique beauté
du caractère des anciens ». Mais, à la suite de
Socrate pour qui la décision de la mort ne nous appartient pas, elle
juge l’acceptation des épreuves de la vie, comme un comportement
moralement supérieur. Car « ce qui caractérise la
véritable dignité morale de l'homme, c'est le
dévouement », écrit-elle.
Bibliographie
Jean
Starobinski, « Suicide et mélancolie chez Mme de Staël
», dans Mme de Staël et
l’Europe (Paris, Klincksieck, 1970),
242–52 ;
Margarite Higonnet, « Suicide as Self-Construction », dans Germaine de Staël, Crossing the Borders, éds.
M. Gutwirth, A. Goldberger et K. Szmurlo (New Brunswick, Rutgers University Press, 1991),
68–81 ;
Gita May,
« Staël and the Fascination of Suicide,
The Eighteenth-Century Background », dans Germaine de Staël,
Crossing the Borders, 16–76.
|
|