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Les géants internationaux de la vente
en ligne sont régulièrement malmenés par la critique. On leur reproche un peu
de tout: des conditions de travail médiocres, des pratiques d’optimisation
fiscale, ou encore d'écraser la concurrence pour maintenir un
« monopole ». Mais au pays de Victor Hugo, quand on parle de la
percée du e-commerce, le sujet sensible entre tous reste l’édition. Et pour
cause: l'emblématique Amazon est extrêmement actif et innovant sur un marché
du livre longtemps resté en sommeil. C'est à son célèbre "sourire"
qu'on associe spontanément la liseuse électronique - même s’il n’en est pas
l’inventeur et si d'autres vendeurs ont développé leur offre : le Kindle
est devenu la référence sur le marché.
L’année dernière, Hachette, mais aussi
d'autres associations d’auteurs et de libraires en France et à l’étranger,
ont protesté publiquement. Les doléances se résument en trois points. Le
premier est l’idée que la vente en ligne est entrain de faire péricliter la
vente en librairie, ce qui entrainerait à terme la disparition du métier de
libraire. Le second concerne celui du format et du prix: les livres numériques
connaissent une forte croissance et Amazon a annoncé en 2014 le lancement de
« Kindle Unlimited » qui permet d’emprunter des livres numériques
plutôt que de les acheter, nouveauté qui a rencontré une forte opposition
parmi les éditeurs et chez certains auteurs. Le gouvernement a aussi émis un
avis négatif sur la légalité de cette offre. Le troisième point régulièrement
avancé dans la controverse est que l'offre du canal numérique contribuerait à
réduire la diversité culturelle en limitant la création et la diffusion
littéraires.
Un simple rappel des faits pourra
éclairer utilement la validité de ces trois postulats.
Alors que les petites librairies
souffraient depuis plusieurs décennies, il se trouve justement qu'elles
connaissent aujourd’hui un regain. Leur nombre est stable même si leur
rentabilité est faible. En fait, elles ne sont que partiellement en
concurrence avec Amazon dont 70% du chiffre vient de la vente de livres qui
ne sont plus vendus en librairie. Beaucoup de libraires indépendants ont également
compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer d'une interface numérique pour
dynamiser et démultiplier leurs débouchés sans dénaturer leur positionnement.
En revanche les librairies en réseaux comme Chapitre ont davantage souffert,
car elles sont moins à même de satisfaire une clientèle qui cherche une
certaine convivialité, et ont vu leurs avantages en termes de coûts et de
diversité disparaître au profit des acteurs du web.
Côté prix, format et offre, les faits
donnent aussi raison à l'innovation, au foisonnement, à la satisfaction de
nouvelles attentes. L’ « e-book » a ouvert un nouvel univers à des
milliers d’auteurs qui grâce à l’autopublication peuvent rapidement diffuser
leurs œuvres. Entre 25 et 30% des auteurs de Kindle qui se vendent le mieux
n’ont pas d’éditeurs. Amazon veut aussi diminuer le prix des livres
numériques pour accroitre leur diffusion et mieux refléter leur moindre coût
de production. Même à un prix réduit de 9,99€, l’auteur percevrait un plus
grand pourcentage sur la vente que dans le système actuel... Les réactions à
Kindle Unlimited montrent, hélas, à quel point les acteurs traditionnels
craignent ces évolutions. Il faut comprendre qu’à l’ère du numérique la
possession est moins importante que l’accès au contenu. Grace à des entreprises
comme Spotify et Neflix, il est aujourd’hui simple d’accéder à des milliers
de morceaux de musiques et de films sans posséder l’équivalent en CD ou DVD.
Amazon ainsi que d’autres acteurs, notamment YouScribe et Youboox, des
entreprises françaises, veulent appliquer le même principe au livre
numérique.
Et ces nouveaux modes de lecture sont
plébiscités par les usagers. En utilisant des algorithmes ou en faisant appel
à un système participatif ingénieux, les vendeurs en ligne comprennent mieux
les goûts de leurs clients — Amazon est d’ailleurs la seconde entreprise
préférée des Français en 2014. Ce ne sont d’ailleurs pas les clients qui se
plaignent, mais des concurrents plus obsédés par la protection de leurs
rentes que par l'innovation qui leur permettrait une sortie par le haut. Il
est peut-être temps pour les éditeurs de réinventer leur métier, d’innover et
de changer de stratégie pour offrir une valeur ajoutée différente plutôt que
de s’opposer à la baisse du prix de l’e-book et à la « bibliothèque
municipale numérique ».
Rappelons que les produits culturels
ont été les articles les plus achetés en ligne durant la période de Noël.
Alors cessons de crier au recul de la vitalité et de la diversité culturelle:
l'innovation numérique participe, qu'on le veuille ou non, au renouveau de
l’écrit et à la diffusion jusque là impossible de millions d’œuvres. Mais que
cette effervescence soit le fait d’entreprises américaines comme Amazon ou
Netflix fait grincer bien des dents. Tant que certains, pouvoir publics ou
acteurs de la filière, en France et ailleurs, persévèreront dans le déni du
changement, ils passeront à coté d’une révolution en marche — la plus
importante dans le métier depuis l’invention de l’imprimerie, et la plus
riche d'opportunités.
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