Le
billet précédent, inspiré par le dernier film de
Rabah Ameur-Zaïmeche sur les Mandrins, a
montré en quoi les
contrebandiers pouvaient être considérés comme des héros plutôt que des
brigands. Une interprétation superficielle de Mandrin pourrait nous
donner l’impression qu’il est une sorte de Robin de Bois
français puisque tous les deux sont des héros populaires. Cette
comparaison hâtive doit être étudiée avec plus
d’attention, car elle nous permet justement de mieux cerner la spécificité
de la contrebande.
Le seul point
commun entre Mandrin et Robin de Bois est d’avoir voulu servir les
moins bien lotis. En effet, ils n’ont sinon pas menés leurs
actions de la même manière, ce qui oblige à avoir un
jugement moral différent sur les actions accomplies de l’un et
de l’autre. Les stratégies ainsi employées par
Mandrin et Robin de Bois pour aider les pauvres ne sont pas équivalentes.
Tandis que
Robin de Bois opérait une redistribution coercitive de richesses
à sens unique, des riches envers les pauvres, Mandrin subvenait aux
besoins des moins bien lotis en leur permettant de dépenser moins
d’argent, puisque son commerce de contrebande brisait le monopole des
Fermes Générales. Sur le plan moral, la redistribution à la Robin de Bois serait
acceptable seulement si elle réparait une injustice commise dans le
passé. Ce fait peut toutefois difficilement être établi
avec certitude, surtout quand on réalise que la notion de justice peut
être interprétée de bien diverses façons.
Par
conséquent, le modus operandi de Robin de Bois n’est moralement acceptable
que si l’on suppose avec indulgence que son unique intention
était de retourner aux propriétaires ce qui leur avait
été précédemment confisqué par la force. A
la différence de Robin de Bois, qui dans l’hypothèse la
plus optimiste ne faisait que réparer des injustices passées,
Mandrin contribuait à augmenter le bien-être de ses clients en
leur permettant de se procurer des biens aux quels
ils n’auraient pas eu accès autrement, car ils étaient
inexistants ou trop dispendieux.
En outre,
quand bien même l’action réparatrice de Robin de Bois
n’aurait reposé que sur sa bonne intention et sur sa
bienveillance, elle se serait apparentée à une initiative
charitable plus qu’à une action entrepreneuriale. En
redistribuant les ressources, Robin de Bois ne contribuait pas à la
mise en place d’institutions juridiques ou de protection, et ceux
à qui il rendait service dépendaient entièrement de sa
propre disponibilité.
Au contraire,
Mandrin s’attachait
à rétablir le libre marché et à mettre en
place une institution plus soutenable dans le temps que la charité,
qui est exclusivement liée au bon vouloir ou à la
capacité d’agir du bienfaiteur. A travers ses actions de
contrebande, Mandrin rendait ses clients autonomes en leur ouvrant
l’accès à plus de biens ou en leur donnant
l’opportunité d’épargner davantage.
Cette
comparaison est une fable. En soulignant les avantages sur le plan moral et
économique de la contrebande par rapport à la simple
redistribution, elle nous permet néanmoins de voir sous un nouveau jour
les politiques économiques contemporaines. Au lieu de se demander
comment redistribuer les richesses existantes, il serait en effet plus moral
et plus productif de chercher à favoriser la création de
richesses. Il est décevant de voir que dans le débat politique
actuel, à la recherche d’un impôt plus populaire et moins
douloureux, il n’y a pas de proposition de déréglementer
des secteurs d’activités privilégiés pour
créer davantage d’opportunités économiques.
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