La
finalité d'une science positive est la constitution d'une
"théorie" ou d'une "hypothèse" qui permette
des prédictions valides et signifiantes (c'est-à-dire qui ne
soient pas de l'ordre du truisme) concernant des phénomènes non
encore observés. [1]
Bien qu'écrit il y
a un quart de siècle, "La méthodologie de
l'économie positive," de Milton Friedman, reste la justification
philosophique d'une bonne partie de l'approche contemporaine en recherche
économique. Néanmoins, les points généraux
soulevés par cet essai n'étaient déjà pas nouveau
à l'époque. Ils représentaient une adaptation
ingénieuse de certains arguments positivistes des années 1930
et du travail quelque peu révisionniste de Sir Karl Popper [2]. De nos jours, le
véritable positivisme bat nettement en retraite, s'il n'est pas
déjà vaincu, dans les cercles philosophiques. Mais une de ses
variantes demeure assez vivace dans de nombreuses sciences sociales,
particulièrement en économie. Le but de cet essai est d'offrir
une critique de "l'économie positive" et, enfin, de
présenter quelques indications pour une alternative viable.
I. Les prédictions en
tant que but
Du point de vue de
l'épistémologie positiviste, la citation de Friedman doit-elle
être considérée comme un énoncé a priori ou
empirique ?
Si c'est un
énoncé a priori, alors il concerne la façon dont nous
devons utiliser le terme de "science positive" et ne
représente qu'une simple stipulation linguistique. Vu comme ça,
on aurait tout aussi bien pu lui associer une autre signification.
S'il s'agit d'un
énoncé empirique (c'est-à-dire un énoncé
sur ce que les gens ont, de fait, considéré être la
science positive), alors, bien sûr, il n'exprime pas une
vérité nécessaire et il pourrait en être autrement. Toutefois,
pendant longtemps, la théorie darwinienne de l'évolution n'a
pas fourni de prédictions et fut pourtant considérée
comme scientifiquement acceptable. [3]
De plus, Friedman n'essaie
pas du tout d'étudier ce qui a été
considéré comme la science économique pour trouver si la
"prédiction" a véritablement représenté
la caractéristique définissant cette activité. En fait,
il existe de nombreux cadres théoriques qui ne génèrent
aucune prédiction testable mais qui sont néanmoins
considérés comme faisant partie de l'économie. Par
exemple, le degré de pertinence de discussions (fournissant des
prédictions) sur l'existence et la stabilité d'un
équilibre sous de nombreuses hypothèses particulières
(dont la pertinence empirique est inconnue) lorsqu'on les applique à
un monde qui n'est jamais véritablement en équilibre, est rarement
clair. Bien entendu, on pourrait affirmer qu'il s'agit de mauvaise
économie et que la ligne de démarcation se situe entre la
"bonne" et la "mauvaise" science. Il ne s'agit cependant
pas ici d'une échappatoire, car on reste avec une question non
résolue : pourquoi l'économie non prédictive est-elle de
la mauvaise science ?
Une autre porte de sortie possible
serait d'affirmer que, si les théories non prédictives
pourraient être scientifiques, elles ne font pas partie de la science positive. Nous pouvons alors
à bon droit répliquer : "Et alors ?" A quel avantage
la science positive peut-elle donc prétendre, hormis le fait que sa
finalité soit la prédiction ? Dans ce cas, nous sommes revenus
au point de départ : pourquoi prédire doit-il être notre but
?
Avoir la prédiction
pour but pourrait bien cacher ce qui a en fait été
considéré comme un but valable de la science : expliquer et
comprendre les liens nécessaires.
Une "théorie" donnant des prédictions est à
peine plus qu'un moyen mnémotechnique destiné à relier x à y. Mais la nature de cette relation pourrait
être inconnue. Les prédictions astronomiques des Babyloniens
sont un exemple de "boîte noire" de ce type. [4] Le principe d'explication demeure
inconnu au sens où le lien entre les conditions initiales et
marginales (x1, x2, x, etc.) et la
conséquence (y) n'est pas conçu comme étant
nécessaire. La relation est caractérisée par une
détermination arbitraire.
Mais s'il peut être
vrai qu'une prédiction ne peut pas être considérée
comme un attribut suffisant pour désigner une
théorie comme scientifique, ce pourrait être tout de même
une condition nécessaire. Toutefois, nous avons déjà
implicitement réfuté cette affirmation en montrant que, au sein
d'un cadre épistémologique positiviste, une telle
nécessité ne peut découler que d'une stipulation
préalable essentiellement arbitraire.
II. La possibilité de
falsifier comme critère de signification
L'accent mis sur la
prédiction comme but de la science prend ses racines dans
un critère positiviste portant sur la signification d'un
énoncé. Pour avoir un sens, dit-on, un énoncé
doit être mis sous une forme permettant en principe à tout observateur de le
falsifier. [5]
Prenons, par exemple,
"l'hypothèse selon laquelle un accroissement substantiel de la
quantité de monnaie sur une relativement courte période va de
pair avec une hausse substantielle des prix." [6] Hormis les problèmes
concernant la disponibilité des données et les talents de
l'investigateur particulier, cette hypothèse est-elle falsifiable ?
Pour l'instant, disons qu'elle l'est. Ainsi, le positiviste affirmerait qu'il
s'agit d'un énoncé authentiquement scientifique. En fait, la
signification d'une hypothèse est identifiée avec le test
pertinent de sa véracité. Comme Moritz Schlick nous le dit,
"la signification d'un énoncé ne peut être
donnée qu'en indiquant la façon selon laquelle la
véracité d'un énoncé doit être
testée." [7] Bien sûr, ceci ne peut pas
être vrai au sens littéral. Si la signification est
identifiée avec le test, alors que teste-t-on ? Cependant, s'il existe
une signification indépendante du test, alors le critère
positiviste s'effondre de lui-même et des énoncés
infalsifiables peuvent avoir un sens. Si nous ne donnons pas un sens
littéral à l'énoncé de Schlick, alors il semble
difficile de lui trouver une quelconque interprétation
cohérente.
Mais, bien entendu, le
concept même d'un critère unitaire de la signification est assez
étrange quand on le considère dans un cadre positiviste. Posons
à nouveau la question : la proposition est-elle a priori ou empirique
? Une définition de la "signification" stipulée de
telle sorte qu'elle inclut le caractère falsifiable n'est pas en
elle-même impressionnante : on aurait pu stipuler différemment.
Vu de manière empirique, le critère est immédiatement
réfuté par deux mille ans de philosophie occidentale, qui
affirme que la métaphysique et l'ontologie sont des quêtes ayant
un sens.
En dehors de ces
questions, le critère de falsifiabilité perd beaucoup de sa
plausibilité initiale quand on étudie le contraire d'un
énoncé falsifiable. [8] Si nous admettons comme falsifiable
le fait que toutes les inflations sont causées par une augmentation de
la quantité de monnaie, alors le contraire, [9] qui veut que certaines inflations ne
sont pas causées par une augmentation de la quantité de
monnaie, n'est pas falsifiable. Si le second
énoncé est censé s'appliquer au futur comme au
passé, on pourrait toujours affirmer que l'inflation non causée
par une augmentation de la quantité monétaire apparaîtra
si l'on attend assez longtemps. Aucun exemple d'inflation consécutif
à une augmentation de la quantité monétaire ne
réfute la proposition et avec un horizon temporel futur, ainsi que
passé, on dispose d'un ensemble infini d'inflations parmi lesquelles il
convient de chercher l'absence totale d'inflations non monétaires.
Par conséquent, le
critère de falsifiabilité comprend une transformation majeure
de notre système de logique : bien qu'un énoncé puisse
avoir une signification (ou être scientifique), la négation de cet
énoncé n'en a pas (ou est non scientifique). [10]
Il peut sembler que l'on
puisse échapper à cet argument en affirmant que si, à
proprement parler, l'énoncé selon lequel certaines inflations
ne sont pas la conséquence d'une augmentation de la quantité
monétaire n'est pas falsifiable, on pourrait accumuler des preuves qui
le prendrait plus ou moins "probable." La véracité ou
la fausseté d'un argument n'est pas une variable aléatoire que
l'on pourrait comparer à un jeu de pile ou face et une
interprétation fréquentielle du concept de
"probabilité" n'est donc pas possible ici. Ainsi, la
signification du terme "probable" ne peut impliquer qu'un
degré subjectif de croyance. Ceci se réduit
à une transformation radicale de tout le cadre positiviste. Le
critère devient dès lors : tout énoncé qui
pourrait être rendu plus ou moins "probable" par comparaison
avec une preuve empirique possède une signification. Pire encore,
quels sont les types d'énoncé que ce critère
élimine ? Probablement aucun. Il semblerait que les êtres
humains n'ont pas assez d'imagination pour concevoir des propositions qui
n'ont aucune relation du
tout avec le monde. Ainsi,
pour tout énoncé non tautologique (au sens le plus
étroit), il est possible de trouver une "preuve" empirique
qui ait un certain rapport avec sa
véracité ou sa fausseté. Par conséquent, tous les
énoncés ont une signification. S'il en est ainsi, le projet
originel du critère positiviste s'effondre.
Tout énoncé
possédant une probabilité (associée à un
degré de croyance) ne rentre pas facilement dans le cadre positiviste.
Des énoncés tels que "il est ‘probable' que
certaines inflations ne sont pas monétaires" ne sont, bien
entendu, par principe ni vérifiables ni falsifiables. Plus grave
encore, ils ne possèdent aucun élément de testabilité
intersubjective (ce qui était un but tellement important). Stipuler
que certains types de preuves seront interprétés comme rendant
un énoncé "probable" n'est pas une véritable
solution. Ceci revient à rendre le critère de signification (ou
la démarcation entre science et non science) purement conventionnel.
III. Une critique de
l'économétrie [11]
Une prédiction ceteris paribus [toutes choses égales par
ailleurs] est une prédiction de "faits stylisés" : x implique y si les autres facteurs restent
constants. Mais comme, en général, les facteurs varient, nous
ne prédisons pas un événement du "monde
réel." Nous prédisons plutôt une conséquence
hypothétique.
Pour soumettre
l'hypothèse à une falsification potentielle, nous devons
contrôler les autres variables pertinentes. Supposons que nous essayons
de le faire en utilisant une analyse de régression multiple. Alors :
1. Comment savoir si nous avons
convenablement contrôlé les facteurs non économiques ?
(Il n'y a pas de garantie a priori qui assure que seuls les facteurs
économiques importent dans une situation donnée.) Ceci
réclamerait une théorie de l'interaction entre variables
économiques et non économiques. Comment faisons-nous pour
soumettre ceci à des tests de falsification ?
2. Comment tester la théorie qui
nous permet de déterminer la liste des autres facteurs
économiques devant rester constant afin d'isoler l'effet de x ?
Le problème est
crucial pour le cadre positiviste. Comment pourrions-nous jamais savoir que
l'hypothèse (auxiliaire), c'est-à-dire le fait que tous les
autres facteurs pertinents ont été gardés constants, a
été falsifiée ? Nous ne pouvons évidemment pas
affirmer qu'elle a été réfutée si ne conduit pas à y puisque c'est
précisément cette relation que nous sommes en train de
soumettre au test. Il est clair qu'à moins de faire des
hypothèses additionnelles sur les effets de chaque variable
gardée constante sur y,
nous ne serons pas capables de soumettre à réfutation la clause
cruciale ceteris paribus.
De plus, ces hypothèses auxiliaires (ou une seule hypothèse car
c'est leur effet total qui nous importe) doivent être
indépendantes de l'hypothèse centrale, au sens où la
falsification des premières doit être indépendante de la
falsification de la dernière. Maintenant, si nous affirmons que nous
nous moquons vraiment de savoir si la clause ceteris paribus est "vraie" parce que tout
ce qui compte réside dans le caractère prédictif de
l'hypothèse centrale, alors nous nous retrouvons dans une nouvelle
impasse. Tout d'abord, pourquoi donc avoir une clause ceteris paribus ? Ensuite, que falsifions-nous si,
de fait, x n'entraîne pas y ? Certainement pas
l'hypothèse telle qu'énoncée. Supposons que les
"preuves" n'arrivent pas à réfuter nos
hypothèses : qu'avons-nous alors confirmé ? A nouveau, pas
l'hypothèse d'origine parce que la cohérence apparente entre
les données et le cadre d'étude peut être illusoire,
étant entièrement due à une variation
"adéquate" des facteurs que nous supposions rester constants.
Enfin, le point de vue global rétablit l'approche "boîte
noire" envers la science et vicie ainsi l'objectif d'explication
rationnelle.
Il est certes possible
d'affirmer que, bien que l'hypothèse centrale doive être
falsifiée afin d'avoir une signification ou afin d'être
scientifique, la clause ceteris
paribus n'a pas besoin de
l'être. Tout ce qui est demandé pour cette dernière -
pourrait-on dire - est une forme de verstehen [compréhension] ou de
jugement distingué. Quoique ceci puisse être admissible dans
d'autres cadres épistémologiques, ce ne peut l'être pour
soutenir les prétentions du positivisme. Si nous pouvons dire que
"tous les autres facteurs pertinents sont restés constants"
sans falsification, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire de même avec
le cas "x entraîne y," l'hypothèse
centrale ? Si nous pouvons le faire (ce qui semble probable étant
donnée la concession initiale), alors le critère de la science
positive s'écroule encore une fois.
IV. La maximisation
Sous l'influence de la
"révolution marginaliste," l'économie est devenue une
discipline dont la plus grande part est consacrée à trouver des
maxima et des minima fonctionnels. Le consommateur ou le producteur
individuel est supposé maximiser ou minimiser quelque chose et,
à partir de ce postulat de comportement, on tire des conclusions
testables. Il est important de garder à l'esprit que le comportement
de maximisation n'est pas lui-même soumis à la falsification
parce qu'il ne se présente pas comme une hypothèse mais comme
une superstructure donnant une cohérence rationnelle aux conclusions
falsifiables.
Tout exemple particulier
de comportement concret peut être "expliqué" ou
rationalisé en termes de maximisation (ou de minimisation) d'une
certaine quantité appropriée (par exemple l'utilité, la
richesse, etc.). Comme la maximisation est fondamentalement une
caractéristique de l'intention (les positivistes n'admettront pas ce
point), tout comportement concret peut être considéré comme s'il s'agissait de
maximiser quelque chose.
Ceci a de sérieuses conséquences.
Supposons que nous
voulions tester non la possibilité d'appliquer une hypothèse
économique spécifique à un domaine donné du
comportement humain (disons le mariage), mais, plutôt, la
validité du fait de considérer ce genre de comportement comme
un exemple d'activité économique ou maximisatrice en soi. En
d'autres termes, nous ne nous intéressons pas à savoir si un
modèle maximisé particulier est approprié mais nous nous
demandons s'il s'agit bel et bien d'un exemple de comportement maximiser.
On pourrait affirmer que
cette formulation du problème n'a pas de sens. Après tout, nous
ne testons jamais l'économie ou le comportement maximisateur en tant
que tel, mais uniquement des hypothèses spécifiques. Ceci, bien
sûr, manque le point crucial qui est le besoin de décider d'un
cadre de recherche avant d'étudier des cas particuliers.
L'énoncé "ceci est un exemple de comportement
maximisateur" a-t-il une signification ou est-il scientifique ? La
réponse est clairement non. Comme l'ensemble des falsifications
possibles est vide, tout comportement peut être
"expliqué" en termes de maximisation de quelque chose. [12] Mais l'hypothèse "ceci
est un exemple de maximisation des ventes" peut être
réfuté par un comportement approprié et possède
donc une signification. Voilà un curieux paradoxe :
l'énoncé sur la maximisation le plus général n'a
pas de signification (ou est non scientifique), mais sa version
particularisée constitue une hypothèse scientifique positive.
Certains auteurs ont
essayé d'échapper à ce problème en affirmant que
le cadre (maximisateur) peut être réfuté en
le comparant à un cadre alternatif empiriquement plus riche et plus
général. De fait, Lakatos est allé jusqu'à dire
qu'"il n'y a aucune falsification avant l'émergence d'une
meilleure théorie." [13] Ceci veut dire, en somme, que si
deux hypothèses - l'une maximisatrice et l'autre non maximisatrice -
"expliquent" toutes deux aussi bien un cas particulier de
comportement économique, alors il faut préférer celle
qui fait partie d'une approche plus générale, dont les
applications spécifiques ont été vérifiées
dans d'autres cas. Cependant, ceci introduit une modification subtile et
importante du critère de falsification. Un énoncé n'a
plus de signification ou n'est plus scientifique en vertu de son contenu empirique mais plutôt
en raison du contenu empirique global des autres énoncés auquel
il est associé en un certain sens. Il s'agit plus d'un critère
esthétique qu'épistémologique. [14] Néanmoins, en raison d'un
raisonnement inexplicable, un énoncé se met à
posséder une signification à cause de son lien avec d'autres
énoncés similaires qui, ayant été
corroborés, possèdent eux-mêmes une signification en
vertu de leur relation avec, par exemple, la première hypothèse.
(Il y a apparemment une certaine forme d'argumentaire de
"détermination simultanée du sens" derrière
tout ceci.)
Étudions ce
problème d'une manière légèrement
différente. Le cadre maximisateur "prouve" sa valeur,
pourrions-nous dire, en prédisant tout ce qu'un cadre alternatif peut
faire, ainsi qu'un petit peu plus. [15] Par conséquent, il permet
d'une certaine façon la falsification d'une perspective alternative.
Cette formulation ne
semble pas très convaincante. Il serait surprenant qu'en économie,
au moins, le cadre maximiser puisse prédire tous les faits
prédits par les autres cadres. Normalement, je pense, le
"meilleur" cadre devrait prédire certains de ce faits, plus d'autres. De plus,
des cadres concurrents ne se posent généralement même pas
ce genre de questions. Pourquoi, dès lors, devraient-ils être
jugés sur le fait qu'ils fournissent les mêmes réponses
(avec un petit plus) ?
Tout ceci mis de
côté, il est difficile de voir pourquoi, du point de vue d'une
perspective épistémologique purement positiviste, des
considérations sur le succès du cadre d'étude dans
d'autres situations devraient affecter la signification d'une
hypothèse dans un cas particulier donné.
V. Les preuves
Jusqu'à maintenant,
nous avons implicitement considéré comme allant de soi la
réponse à la question : "Qu'est ce qui devrait être
accepté comme preuve pour ou contre une hypothèse ?"
Comment reconnaître un résultat falsifiant ou corroborant ? La réponse
est loin d'être évidente. En fait, cette question pose quelques
problèmes cruciaux à l'approche positiviste. Et nous
prétendons que cette dernière est incapable de les traiter.
Une hypothèse relie
une variable x à une variable y, ceteris paribus. Supposons
que la clause ceteris
paribus ait
été corroborée de manière adéquate. A quoi
revient la falsification de l’hypothèse ? Pour parler plus
précisément, faisons l'hypothèse "qu'un
accroissement substantiel de la quantité de monnaie [...] aille de
pair avec une hausse substantielle des prix." [16] Afin de tester cet
énoncé, nous devons avoir un critère qui nous permet
d'associer les termes théoriques de "monnaie" et de
"prix" à des contreparties empiriques. Ceci est le nœud
du problème. [17]
Quelque chose doit
autoriser le passage de la théorie vers les "faits" pertinents.
Nous avons besoin de ce qu'il faut appeler "des énoncés de
référence." Dans notre cas, des exemples de tels
énoncés de référence pourraient être :
"La contrepartie empirique du terme théorique de "monnaie
est M1 ." ; ou : "par
‘prix', il faut comprendre l'indice des prix à la
consommation." Le besoin d'énoncés de
référence en économie appliquée n'est pas
restreint à la variante positiviste de la science. Ce qui est
particulier à l'économie positiviste, toutefois, est le
problème survenant du statut épistémologique de tels
énoncés. S'ils sont considérés a priori, alors
(du point de vue positiviste) nous parlons tout simplement de l'utilisation
des mots, et nous n'avons établi aucun lien entre des constructions
théoriques et la "réalité empirique." Il faut
alors l'établir par des hypothèses falsifiables. C'est
cependant impossible. (Des énoncés de référence
ne font aucune prédiction : ils ne disent pas, par exemple, qu'une
augmentation de x conduit à une augmentation de y. Par conséquent,
aucune prédiction ne peut être falsifiée.)
Il est alors possible de
reformuler les énoncés de référence d'une
façon qui les rende réfutables : "Si les critères
d'application de la construction théorique de ‘monnaie' sont, de
fait, appliqués, alors M1 se révèlera être
la contrepartie empirique appropriée." Il est clair que ça
ne marche pas parce que cela demanderait de connaître les
critères avant la procédure de test qui est
censée les établir (ou au moins les corroborer).
Tester les
énoncés de référence est impossible à
moins de connaître les critères d'application des termes
théoriques. Si nous les connaissons déjà (d'une
manière ayant une signification quelconque), alors le test est
superflu. Mais, dans une perspective positiviste, il est clairement
impossible de posséder une connaissance quelconque, donnée a
priori et ayant une signification concernant le monde réel.
On pourrait essayer
d'éliminer ces difficultés en choisissant des variables
empiriques pour présenter l'hypothèse particulière sous
son meilleur jour. (Choisir une définition de la quantité de
monnaie de telle sorte qu'elle prédise au mieux le PNB est un exemple
de ce genre.) A moins que l'on essaie d'éliminer la réfutation
d'une hypothèse, il ne semble y avoir aucune raison de procéder
ainsi. Si les variables empiriques étaient choisies pour
présenter l'hypothèse sous son plus mauvais jour, et qu'elle restait non
réfutée, ne l'aurait-on pas encore mieux corroborée ? En
tout état de cause, le résultat d'un test potentiel ne devrait
pas être le facteur déterminant pour le mener.
VI. La caractéristique
logique de la praxéologie
Le statut
épistémologique de la praxéologie (qui est identique
à l'économie conçue dans un sens très large) est
l'objet d'une grande confusion et de nombreuses erreurs de
compréhension. Au sein d'un cadre positiviste, les affirmations de la
praxéologie n'ont aucun sens. La connaissance est soit a priori et
certaine mais n'a aucun rapport avec la "réalité,"
où est empirique et incertaine mais fait clairement partie du monde
"réel." Un examen de la caractéristique logique de la
praxéologie révèle que ces catégories ne sont pas
du tout appropriées. La praxéologie affirme offrir une
connaissance qui est à la fois absolument certaine et empirique. C'est
le paradoxe que nous devons expliquer.
Les
théorèmes ou déductions praxéologiques sont
fondés sur l'axiome fondamental évident qui est que l'homme
agit ou, ce qui revient au même, qu'il a un comportement ayant un but.
La question est alors : dans quel sens précis cet axiome est-il
"évident" et que dit-il à propos du monde ?
L'axiome de l'action est
empirique au sens qu'il découle de l'expérience
intérieure ou de l'introspection directe. Il est scientifiquement empirique parce qu'il passe le test
de l'intersubjectivité : l'expérience est universelle et donc,
par principe, peut être acceptée de la même façon
par les observateurs et les observés. Par conséquent, le fait
que l'axiome soit basé sur l'introspection ne permet pas d'accuser la
praxéologie du fait que ses déductions soient purement
personnelles et de caractère non scientifique. Nous disposons ici
d'une "expérience intérieure universelle." [18]
Une tentative de nier
l'axiome d'action implique une auto-contradiction flagrante. La
négation consiste à utiliser des moyens (des arguments) pour
aboutir à des fins (une conclusion) et donc à avoir un
comportement ayant un but. De plus, la supposition selon laquelle les hommes
agissent est un préalable nécessaire à l'existence d'une
communauté scientifique. Les arguments, les tentatives faites pour
convaincre les autres chercheurs ayant un autre point de vue, etc., sont tous
fondamentalement basés sur une conception des scientifiques
eux-mêmes comme s'engageant dans un processus ayant un but. Mettre à
part les scientifiques, et dire qu'alors que les observateurs agissent, les
observés n'agissent pas, semblerait être artificiel et aucun
soutien ne peut être apporté à cette attitude.
Bien que l'axiome d'action
soit empirique et allant de soi, il est en un certain sens également a
priori. [19] Le fait que l'homme agisse est un
préalable logique à toute manifestation concrète de
l'action. En fait, on doit avoir un concept de l'action avant même de
reconnaître une action dans le monde appelé réel.
L'axiome d'action découle de l'expérience intérieure
absolument certaine mais est a priori pour les phénomènes
historiques. L'Histoire, comme ensemble de comportements humains, s'analyse
et s'interprète grâce aux théorèmes praxéologiques
qui, à leur tour, découlent de l'expérience relativement
simple.
La praxéologie
concerne la forme de l'action en tant qu'action. Le fait
qu'elle ne s'intéresse pas à une action particulière ou
à une autre, ne signifie pas qu'elle ne s'occupe que de mots. La
catégorie de l'action concerne toute action qui a eu ou va avoir lieu,
sans faire référence à son contenu spécifique. En
tant que telle, elle ne se consacre pas moins à la
"réalité" que tout énoncé empirique
généralement reconnu. Tous les énoncés sur le
monde comportent un certain degré d'abstraction et ce n'est donc pas
l'abstraction des déductions praxéologiques qui est n’en
cause. Ce qui peut avoir un rapport est le fait qu'elle soit incapable
d'être falsifiée. Par
principe, l'énoncé "l'homme agit" ne peut pas
être falsifié car il est impossible de concevoir le contraire.
Ce n'est pas parce que nous traitons simplement d'une définition
arbitraire de "l'homme" comme être agissant. C'est
plutôt parce que notre connaissance de l'homme empirique en tant
qu'être agissant est à la fois si intime et si nécessaire
qu'un être purement réactif ne serait pas humain dans le seul
sens que nous pouvons concevoir. Les concepts d'homme et de comportement
tourné vers un but sont aussi fortement liés non en raison
d'une définition arbitraire mais parce qu'ils sont
nécessairement liés dans la réalité empirique.
Notre langage reflète quelque chose de réel et
nécessaire.
La praxéologie
appliquée à l'Histoire (considérée au sens large
pour inclure l'Histoire actuelle) ne dépend pas seulement des
déductions faites à partie de l'axiome d'action. Elle
réclame des hypothèses subsidiaires déduites
empiriquement afin de réduire le domaine d'étude du
système praxéologique. [20] Par exemple, nous ne voulons pas
développer de théorie monétaire dans un monde sans
monnaie. Les hypothèses empiriques supplémentaires ne sont pas
évidentes ou nécessairement vraies comme l'est l'axiome
d'action. On pourrait en concevoir d'autres, bien qu'elles puissent
être virtuellement certaines (par exemple, l'existence de
l'échange indirect). Comme elles ne sont pas certaines, il en est de
même de l'application des énoncés praxéologiques
qui en découlent.
Pour accroître le
caractère quantitatif des relations de la praxéologie
appliquée (l'histoire économique), nous avons besoin
d'hypothèses supplémentaires de plus en plus spécifiques
: ces hypothèses doivent devenir à la fois plus nombreuses et
plus précises. Bien entendu, ceci conduit à des conclusions qui
ne sont plus apodictiquement certaines. Dans notre terminologie, nous nous
référons à la praxéologie appliquée comme
à des hypothèses (pour indiquer leur nature hésitante).
Ainsi, alors que la théorie
économique est immuable et nécessaire, les hypothèses économiques peuvent changer
et pourraient être différentes. La vision de la théorie économique comme ensemble
d'énoncés hypothétiques sur le monde (qui pourraient
être réfutés) est implicitement la position selon
laquelle la connaissance de la réalité sociale se réduit
uniquement à la connaissance historique.
VII. Le rôle de
l'économétrie
Bien qu'il puisse sembler
que l'économétrie n'ait aucun rôle dans le progrès
de la théorie économique (définie comme
déductions tirées de l'axiome d'action), ceci n'est pas tout
à fait exact (bien qu'il puisse s'agir d'une approximation de la
vérité valable au premier ordre). Des régularités
statistiques peuvent être le point de départ de recherches
purement théoriques, pour autant qu'elles soulèvent des
questions qui concernent le praxéologue lui-même. Mais le lien
est ici plus suggestif que logique.
Le rôle central de
l'économétrie se trouve dans l'application de la théorie
économique aux phénomènes complexes de l'Histoire
(actuelle ou passée). Il y a deux questions auxquelles l'économétrie
peut apporter un éclairage :
1. Jusqu'à quel point peut-on expliquer
un exemple donné (historique) du comportement humain en fonction d'une
activité ayant un but, c'est-à-dire combien de choses
l'hypothèse praxéologique peut-elle expliquer ?
2. Quelle est l'amplitude de l'effet de x sur le phénomène
complexe dans son ensemble, y,
à un moment donné ?
En ce qui concerne la
première question, il est important de comprendre que si l'homme agit
nécessairement, il ne s'ensuit pas qu'il agisse toujours, c'est-à-dire
qu'il n'est jamais capable de réponse
automatique à un stimulus ou de tout autre comportement sans but.
Jusqu'à quel point un phénomène historique donné
est-il le résultat d'une émotion aveugle sans aucun but ? La
réponse ne peut pas être donnée a priori. [21]
En ce qui concerne la
seconde question, il est important de garder à l'esprit le fait que le
raisonnement praxéologique ne peut pas donner par lui-même de
relations quantitatives (ni même de relations qualitatives si des
forces antagonistes sont en présence) en histoire économique.
Pour ce faire, les recherches statistiques sont notre seul recours.
Cependant, il est important de ne pas interpréter les relations
économétriques comme de grandes constantes universelles,
valables pour toutes les situations et à toutes les époques.
Ces relations ne sont pas théoriques mais simplement historiques.
Extrapoler ces dernières aux premières réclame un saut
inductif auquel nous ne sommes préparés.
En répondant
à ces questions, les preuves économétriques ne peuvent
pas, bien sûr, nous donner la même certitude que le raisonnement
praxéologique. Les réponses de l'histoire économiques
seront toujours incertaines. Néanmoins, il ne s'agit pas de
l'incertitude de la théorie économique : il s'agit plutôt
d'une incertitude inhérente à l'application d'une structure
(incluant la forme de l'action) à des actions
historico-temporelles possédant un contenu particulier. L'application
de la théorie à l'Histoire n'est pas un exercice de
déduction : elle nécessite l'usage du jugement ou de la compréhension
(verstehen) pour définir les variables pertinentes et les
moyens appropriés de les mesurer.
Un avertissement est
cependant nécessaire. L'économétrie devrait uniquement
être un outil pour appréhender les phénomènes
historiques. Il est clair que les questions intéressantes ne sont pas
toutes quantifiables. Si nous essayons d'expliquer des
phénomènes complexes avec pour seule référence
les variables quantifiables, alors nous éliminons probablement
certaines informations que nous possédons. Un autre danger est de
commencer à identifier la réalité avec les
données statistiques alors qu'en fait il ne s'agit que d'un aspect de
la réalité, d'une transformation particulière d'une
expérience plus élémentaire. Il n'y a pas de raison pour
laquelle une façon de concevoir l'Histoire devrait être
identifiée avec l'Histoire elle-même ou, ce qui est encore pire,
avec toute la réalité sociale.
VIII. Conclusions et
questions non résolues
Le but de cet article est
tout d'abord de présenter une analyse critique de
"l'économie positive" et ensuite d'étudier
l'alternative praxéologique. C'est dans ce dernier domaine qu'une
grande somme de travail convient d'être faite. A ce stade un certain
nombre de conclusions peuvent néanmoins être tirées :
1. Une véritable approche
positiviste ne peut pas être poursuivie avec logique. Le cadre
positiviste crée certains problèmes qui se
révèlent insolubles au sein de ce cadre.
2. Bien que la praxéologie
concentre son attention sur l'action en
tant qu'action,
c'est-à-dire séparée de l'Histoire et vidée de son
contenu spécifique, elle porte tout de même sur la
réalité. La forme de l'action n'est pas moins
réelle que toute autre abstraction nécessaire pour porter des
jugements empiriques généralement reconnus.
3. Un problème crucial de la
praxéologie est la nature épistémologique de la
praxéologie appliquée (l'histoire économique). Comment
faire la transition entre constructions théoriques et contreparties
empiriques ? Verstehen [comprendre] est une réponse
trop vague.
4. Le praxéologue
étudie-t-il l'histoire économique d'une façon
différente d'un économiste positiviste ? Si oui, comment ?
En discutant certaines des
questions les plus philosophiques de l'économie, nous avons voulu
montrer que les questions au jour le jour sur l'explication, la construction d'hypothèses
et les tests ne nous conduisent pas vers un vide philosophique. Nous n'avons
pas de choix s'il s'agit de prendre des décisions
méthodologiques. Notre choix est plutôt entre (a) les prendre
explicitement, en examinant les diverses implications et subtilités de
sens, et (b) les prendre implicitement, en restant aveugles à tout
sauf à la technique.
Mario J. Rizzo
Références
[1]. Milton Friedman, "The Methodology of Positive
Economics," Essays in Positive Economics (Chicago, 1953), p. 7. [Traduction par Guy Millière dans la collection
LIBERALIA : "La méthodologie de l'économie positive' dans Essais
d'économie positive (Litec, 1995), p. 6. NdT]
[2]. Voir en particulier Karl Popper, Logik der Forshung (Vienne,
1935). La traduction anglaise est intitulée The Logic of Scientific
Discovery (Londres, 1962). D'autres travaux
sur les questions sont Rudolf Carnap, Philosophy and Logical Syntax(Londres, 1935) et A.J.
Mayer, Language, Truth and Logic, 2ème édition
(Londres, 1946).
[3]. Stephen Toulmin, Foresight and Understanding:
An Inquiry into the Aims of Science (Bloomington,
IN, 1961), p. 28.
[4]. Op. cit., p. 28.
[5]. Certains philosophes, comme Popper, en font le
critère de la science, et non de la signification. Cependant, une
telle modification n'a pas d'influence sur notre argument principal car nous
devons alors revenir à la question de savoir pourquoi nous
définissons la "science" de cette façon. Voir la
partie I ci-dessus.
[6]. Friedman, p. 11 [p.9 de l'édition française. NdT]
[7]. Moritz Schlick, Gesammelte Aufsätze,
1926-1936 (Vienne, 1938), p. 179 cité par Brand Blanshard, Reason and Analysis (LaSalle,
IL, 1964), p. 224.
[8]. Blanshard, p. 229.
[9]. Le mot "contraire" est utilisé ici dans
sons sens technique. Par conséquent l'énoncé
"aucune inflation ne résulte d'une augmentation de la
quantité de monnaie" n'est pas le contraire de
l'énoncé du texte. Il en est ainsi parce que si "aucune
inflation ne résulte d'une augmentation de la quantité de
monnaie" est fausse, alors soit "certaines inflations ne
résultent (pas)..." est vrai, soit "toutes les inflations
résultent..." est vrai. "A et O sont des contraires ou
négations mutuelles : A est vrai si et seulement si O est faux."
A ce sujet, voir W.V. Quine, Methods of Logic, 3ème édition (New York,
1972), p. 84.
[10]. Blanshard, p. 229.
[11]. La conception générale de cette partie et
de la suivante est tirée de Martin Hollis et Edward Nell, Rational Economic Man (Cambridge,
Angleterre, 1975), passim. Toutefois, dans plusieurs cas, le raisonnement
est différent (le lecteur doit se garder d'en déduire que les
mêmes remarques sont faites) alors que dans d'autres cas l'argument est
étendu.
[12]. Dans un contexte assez différent, Friedman dit :
"Si une hypothèse est conforme aux données disponibles, il
existe toujours un nombre infini d'autres hypothèses qui le sont
aussi." Friedman, p. 9 [p. 8 de l'édition française, NdT].
[13]. Imre Lakatos, "Falsification and the Methodology of
Scientific Research Programmes," Criticism and the Growth of
Knowledge, Imre Lakatos et Alan Musgrave, eds. (Cambridge,
Angleterre, 1970), p. 119.
[14]. Friedman pp. 10, 20.
[15]. Lakatos, p. 118.
[16]. Frideman, p. 11.
[17]. La plupart de ce qui suit dans cette partie provient de
Hollis et Nell, chapitre 4. Cependant, le lecteur doit noter que nos
énoncés de référence ne sont pas des
"énoncés de critère" [criterial statements] de
Hollis et Nell.
[18]. Murray N. Rothbard, "In Defense of ‘Extreme
Apriorism'," Southern Economic Journal (janvier 1957), p. 318 [traduit par François
Guillaumat dans la collection Laissez Faire : L'"apriorisme
extrême" (chapitre 3), Économistes et charlatans(Les Belles Lettres, 1991),
NdT].
[19]. Ludwig von Mises, Human Action, 3ème
édition (Chicago, 1966) chapitre 11.
[20]. Op. cit. pp. 64-66
[21]. Pour quelques
observations préliminaires sur ces questions, voir Murray N. Rothbard,
"Praxeoloy: Reply to Mr. Schuller," American Economic Review (décembre 1951), p. 945.
Traduction : Hervé de Quengo
New Directions in Austrian
Economics,
édité par
Louis M. Spadaro (Kansas City: Sheed Andrews and McMeel, Inc., 1976)
repris dans Austrian Economics: A
Reader, édité par Richard M. Ebeling
(The Ludwig von Mises
Lectures Series, volume 18, Hillsdale College Press)
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