La nationalisation de ressources est un
problème de plus en plus pesant pour les sociétés
minières. Dans cet entretien exclusif avec The Gold Report,
Sean Rakhimov,
éditeur de SilverStrategies.com, explique comment investir
à moindre risque sur les sociétés minières dans
cet environnement volatile.
The Gold Report: Vous
avez récemment écrit que la nationalisation de ressources est
un phénomène qui se répand de plus en plus et qui
affecte l’offre et le prix de nombreuses matières
premières. Selon vous, la nationalisation de ressources devrait
affecter l’argent plus que n’importe quel autre métal,
tout particulièrement pour ce qui est de l’argent d’investissement.
Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ?
Sean Rakhimov: Les effets de la nationalisation de ressources
sur le marché physique ne sont à l’heure actuelle pas
encore significatifs ; je pense toutefois qu’elle affectera
l’offre future. Des projets de grande échelle tels que Navidad, en Argentine, qui appartient à Pan
American Silver Corp
(PAA:TSX; PAAS:NASDAQ), Corani et Santa Ana au
Pérou, qui appartiennent à Bear Creek
Mining Corp. (BCM:TSX.V), ou encore Malku Khota, en Bolivie,
appartenant à South American Silver Corp.
(SAC:TSX; SOHAF:OTCBB) en ont déjà été
affectés.
Combinés, ces trois
projets représentent environ un milliard et demi d’onces
d’argent qui devraient aujourd’hui arriver sur le marché.
Si elles ne le sont pas, c’est très largement en raison des
gouvernements des pays dans lesquels sont localisés ces projets.
TGR: Si je vous demandais lequel de ces projets est
le moins en danger, que me répondriez-vous ?
SR: Je pense que ça se joue entre Navidad et Corani. Navidad dispose d’un grade supérieur
à celui des autres et pourrait donc apporter d’importants
revenus au gouvernement Argentin. D’un autre côté, le
Pérou est un pays minier. Ce que je veux dire par là,
c’est que les activités minières représentent une
très importante part de l’économie Péruvienne, ce
qui n’est pas nécessairement le cas en Argentine. Ces projets
sont si isolés que je ne crois pas nécessairement dans le
raisonnement qui a pu conduire à la suspension de leur développement.
Ces économies ont
besoin de plus d’argent. Des projets de grande échelle tels que
ceux mentionnés plus haut pourraient permettre de créer des
milliers d’emplois et rapporter des centaines de millions de dollars d’investissement.
La logique voudrait que les gouvernements d’Amérique du Sud
relâchent la pression qu’elles imposent aux
sociétés minières, bien que l’Argentine commence
à resserrer sa mainmise sur le secteur minier et à transformer
le parcours des entreprises étrangères en un saut d’obstacles.
TGR: Pouvons-nous revenir à votre
théorie selon laquelle la nationalisation des ressources est sur le
point d’affecter l’argent d’investissement ?
SR: Le Venezuela a, le premier, imposé la
nationalisation de ses ressources minières. L’Equateur est sur
le point de prendre exemple sur elle, tout comme d’autres pays. Je
pense que toute monnaie qui sera injectée sur ce secteur se trouvera
immédiatement transférée vers d’autres pays.
Prenons par exemple la Bolivie. Elle dispose d’un certain nombre de
mines en opération, mais a décidé de nationaliser des
projets d’exploration.
TGR: Pourquoi la Bolivie a-t-elle nationalisé
le projet de South American Silver plutôt
qu’un autre projet qui n’aurait pas eu à être
développé ?
SR: Je n’en connais pas la raison exacte. Il
s’agissait certainement d’une décision politique visant
à apaiser une certaine circonscription électorale. Cette
décision comporte également un élément
pragmatique dans le sens où, si vous nationalisez une mine, les
implications des cercles de trading internationaux
deviennent plus importantes et bien plus négatives, ce qui pourrait
déboucher sur des sanctions commerciales de la part d’autres
pays.
TGR: Dans un article intitulé ‘Shrinking Silver’
publié sur SilverStrategies.com, vous dites que les producteurs
d’argent se trouvent principalement au Mexique, au Canada, aux
Etats-Unis, en Europe et dans une moindre mesure en Australie. Cela me semble
être un nombre de choix suffisant, mais est-ce assez ?
SR: Cela pourrait être suffisant, mais je
pense que ce que j’essaie de dire par là est qu’il est
peut-être plus judicieux d’éviter les juridictions
mentionnées plus tôt. Leurs décisions prouvent que vous
encourez des risques plus importants lorsque vous y investissez.
Le point principal à
retenir est que des projets très importants situés dans ces
juridictions ne parviennent pas à respecter leur emploi du temps et
que l’offre d’argent risque d’en être affectée
dans le futur. D’ici quelques années, les réserves
d’argent disponibles pourraient cesser d’augmenter.
A l’heure actuelle,
l’offre d’argent croît de 3% par an, mais les nouveaux
projets se font de plus en plus rares. Le dernier plus gros projet en date
était Penasquito au Mexique, qui appartient
à Goldcorp Inc. (G:TSX; GG:NYSE). Le prochain
devrait être Escobar, au Guatemala.
La baisse des réserves
disponibles d’argent sera significative puisqu’elle évolue
à un rythme soutenu. Il se passera la même chose que pour le
marché de l’uranium lorsque la Russie mettra fin à son
programme de transformation de mégatonnes en mégawatts à
la fin de l’année, ce qui pourrait entraîner une forte
chute des réserves d’uranium disponibles à
l’échelle de la planète. Un autre phénomène
qui puisse avoir les mêmes conséquences est le mouvement de
grève qui fait rage en Afrique du Sud et qui affecte les
marchés du platine et, dans une moindre mesure, ceux de l’or et
de l’argent.
TGR: Pensez-vous que la nationalisation des
ressources entraînera une hausse du prix de l’argent ?
SR: Au fil du temps, oui. Nous n’obtiendrons
jamais un milliard et demi d’onces d’argent de pays qui imposent
des restrictions sévères aux sociétés
minières. Cela représente un an et demi de production !
TGR: Pensez-vous que les prévisions
d’Eric Sprott concernant le retour à
un ratio or/argent de 15 :1 sont plausibles ?
SR: Je pense que cela devrait pouvoir se produire
d’ici ces dix prochaines années.
Je ne peux pas
réellement en dire plus que ça, principalement parce que le
cycle actuel est différent de tous ceux que nous avons pu observer
jusqu’à présent. Nous sommes désormais en temps de
crise, et tout le monde parle des problèmes systémiques de
devises globales. Les quatre devises dominantes – le dollar,
l’euro, la livre sterling et le yen – sont toutes en
difficulté. Et je parle ici de 80% du marché des capitaux. Le
cycle dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui dure depuis un certain
temps. S’il s’agissait d’un cycle ordinaire, les choses se
seraient jouées depuis longtemps. Voilà dix ans que nous y
sommes plongés.
TGR: Pouvons-nous dire que nous commençons
à ressentir les premières secousses d’un
séisme ?
SR: En termes de magnitude, ce cycle est plus
important et bien plus sévère et, pour ces raisons, il pourrait
aussi être plus long que les autres. Beaucoup plus de choses sont en
jeu et de très importantes forces sont impliquées.
TGR: Vous avez une fois dit que vous ne vendriez
jamais d’argent physique. Conseilleriez-vous aux investisseurs
d’acheter aujourd’hui, ou d’attendre ?
SR: N’importe quel moment est propice
à l’achat d’argent. Je pense simplement que les gens
devraient acheter de l’argent dès qu’ils ont du cash en
trop.
TGR: Les banques centrales pourraient-elles
bientôt acheter de l’argent dans le cadre de la diversification
de leurs réserves de devises, comme vous l’avez un jour
suggéré ?
SR: Je pense qu’elles commenceront à
acheter de l’argent quand le prix de l’or deviendra trop
élevé pour les banques centrales les plus petites. Les banques
centrales connaissent très bien le ratio or/argent, qui est
aujourd’hui de 50 :1 et devrait diminuer. Comme je l’ai
mentionné plus tôt, je pense qu’il pourrait un jour
atteindre à nouveau sa moyenne historique de 15 :1. Je n’ai
aucune idée de comment les choses pourront se passer. Comme je
l’ai dit il y a quelques instants, le cycle que nous traversons
à présent est bien plus large que les précédents,
et beaucoup de choses sont en jeu. Nous finirons par être
frappés de plein fouet par une crise des devises. Les gouvernements du
monde commencent à acheter de l’or dans le cadre de la
diversification de leurs réserves de devises, et le prix de l’or
est encore à la portée de leurs banques centrales. Mais si le
prix de l’or venait à franchir la barre des 5000 dollars, les
gouvernements continueront-ils d’en acheter au même rythme
qu’aujourd’hui ? Peut-être achèteront-ils de
l’argent, voire même du palladium. Je pense qu’ils
achèteront de l’argent, parce qu’en plus
d’être un métal précieux, il est aussi un
métal stratégique, tout comme les terres rares et
l’uranium. L’argent est une ressource industrielle importante et
les pays qui n’en auront pas devront aller en chercher ailleurs –
sur le marché libre par exemple – ou délocaliser leurs
entreprises vers des pays où de l’argent est disponible.
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