Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Je
voudrais revenir au cadre des quatre « postures » de sortie de
crise qu’avait définies Jean Maxence Granier
dans sa « Sémiotique de la crise », son article qui avait
été reproduit ici
au moment de sa parution en février dernier. Je vous rappelle la
manière dont j’avais résumé sa grille :
[Granier] distingue quatre conceptions - qu’il
appelle « postures » - de sortie d’une crise
appelées A, B, C et D, s’étageant du bénin A
où le système autorégulé oscille de
manière cyclique, au catastrophique D, où il est
irréparable, en passant par B où le système survit, bien
que difficilement, pour retrouver sa forme originelle, et C où le système
survit mais uniquement parce qu’il subit une authentique
métamorphose et se retrouve à l’arrivée
très différent de son point de départ.
Aujourd’hui,
quatre mois plus tard, le monde entier s’interroge : sera-ce C ou D ?
Aura-t-on affaire dans les années qui viennent à un capitalisme
métamorphosé ou à un système financier et
économique tout à fait original ?
En
fait, quand je dis le monde entier, c’est sans les
États–Unis. Car l’on s’est accroché en
Amérique à la posture A : « il ne s’agissait avec
la crise que d’une oscillation dans une évolution classique au
sein du capitalisme, dont la dynamique est cyclique par nature ». Bien
sûr, vu les sommes engagées (25,6 mille milliards de dollars
d’ici la fin 2011, selon les chiffres les plus récents), on ne
peut parler au mieux que de posture B : « le système survit,
bien que difficilement, pour retrouver sa forme originelle ».
Pourquoi
cet acharnement thérapeutique en faveur de la posture A aux
États–Unis ? Deux explications possibles, qui en fait se
complètent. La première, bénigne : la science
économique ne connaît que les alternances cycliques et est dans
le noir absolu lorsqu’il s’agit de ruptures plus profondes. Autre
explication, maligne celle-ci, proposée par Simon Johnson, ancien
économiste en chef du Fonds Monétaire International : l’
« oligarchie », ceux qui ont bénéficié de la
finance à l’ancienne et qui sont déterminés
à en reprendre.
La
posture B est-elle tenable ? Je suis personnellement comme le monde entier
sans les États–Unis : je ne le pense pas. Certains changements
irréversibles sont déjà intervenus, trop de pans du
système ancien se sont déjà écroulés,
l’immobilier résidentiel américain, à
l’origine de la crise, entre dans la phase II de sa
décomposition (Alt-A et Pay
Option ARMs), le crédit immobilier
commercial a entamé lui sa longue descente, etc. Pire : à un
colloque où j’étais hier, quand on parle du « Green
tech », l’industrie du
développement durable, c’est déjà au sein de
l’expression « Green tech bubble ». Et comment pourrait-il en être
autrement si le cadre ancien a effectivement été reconstruit
à l’identique ?
Mais,
admettons un instant, pour la beauté de l’hypothèse, que
la posture B soit viable. Quand on lit hier que les bonus chez Goldman Sachs
en 2009 seront les meilleurs que la firme ait connus, parce que la
concurrence sur la place de Wall Street s’est réduite comme peau
de chagrin, parce que dans un contexte économique en détresse,
la spéculation sur les devises flambe, et parce que le commerce de la
manne fédérale d’un montant prévu de 25,6 «
trillions » de dollars rapporte de grasses commissions (eh !
l’Amérique reste l’Amérique !), je ne suis sans
doute pas seul à me demander : « Même s’il
était possible de ressusciter la finance à l’ancienne,
serait-ce bien souhaitable ? »
Paul Jorion
pauljorion.com
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues
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siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de
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