John Maynard Keynes est né en
1883 et mort en 1946. Henry Hazlitt est né en 1894, onze années après Keynes,
et a vécu bien plus longtemps, pour mourir en 1993. Leurs vies et allégeances
sont aux antipodes l’une de l’autre, particulièrement en termes de choix et
de convictions personnelles dans le cas d’Hazlitt, ou d’absence totale de ces
derniers pour Keynes.
Keynes est devenu l’économiste
le plus célèbre du XXe siècle et le grand gourou qui a inspiré des milliers
d’expériences économiques ratées et continue d’en inspirer aujourd’hui. Il
est le Svengali qui a contre toute attente su convaincre le monde que
l’épargne est une mauvaise chose, que l’inflation peut nous guérir du
chômage, que l’investissement doit être socialisé, que les consommateurs sont
des idiots dont les intérêts doivent être ignorés, et que le capital peut
être accru grâce à une politique monétaire de taux d’intérêts à zéro pourcent
– et par là même mis sens dessus-dessous les siècles de dur labeur d’autres
économistes.
Keynes avait tous les
privilèges imaginables, et tout le pouvoir et l’influence dont pouvait rêver
un intellectuel de son temps. Et il les a utilisés de manière irresponsable
au service de l’Etat.
Hazlitt était son contraire.
Il ne venait pas d’un cercle privilégié, n’a pas jouit d’une éducation
prestigieuse, et ne connaissait pas les bonnes personnes. Il venait de nulle
part et a su monter les échelons par sa force intellectuelle et sa
détermination morale.
Hazlitt a fini par devenir
l’une des grandes voix du marché libre au XXe siècle, a écrit pour autant de
tabloïdes que possible et a dédié son talent de penseur et d’écrivain à la
défense du marché libre. Il a démontré la justesse de la pensée économique
classique qu’ont peaufinée les Autrichiens, a prouvé que la monnaie est
essentielle à la liberté, que les signes du marché permettent une
coordination économique, et que partout, les politiques des gouvernements
sont les ennemies de la liberté et de la prospérité.
Le grand livre d’Hazlitt, Economics
in One Lesson, écrit l’année de la mort de Keynes, résume l’économie
en un principe simple qu’il applique à toutes les politiques
gouvernementales. Il est clair comme de l’eau de roche, et peut être lu par
n’importe qui. Il vise à achever le rêve de Mises qu’est de placer l’économie
à la portée de tous.
La plus grande œuvre de Keynes
est sa Théorie
Générale, que très peu ont pu lire en raison de sa complexité qui en
fait quasiment un livre écrit en langage codé. Mais il n’a pas été écrit pour
tout le monde. Il a été écrit pour les élites par un membre de la classe
intellectuelle. Plus important encore, il a été écrit dans l’objectif
d’impressionner les élites par son style convoluté et contradictoire qui vise
plus à l’intimidation qu’à la compréhension. Son succès n’est autre que
l’incroyable histoire de l’embarras d’une profession suivi de la mise en
dérision du monde. S’il existe encore des gens qui croient en la théorie de
Whig de Murray Rothbard – l’idée que l’Histoire ne soit plus que le progrès
de l’Humanité vers la vérité – le succès de la Théorie Générale
devrait suffire à leur faire changer d’avis.
Si je devais parier sur lequel
de ces deux livres aura la plus grande longévité, je miserais sur celui
d’Hazlitt. Hazlitt est mort sans notoriété. A dire vrai, ses jours de gloire
ont atteint leur apogée à l’époque où il est devenu éditeur pour le New
York Times. Lorsqu’on lui a annoncé qu’il devrait écrire un éditorial
pour la défense du projet de Keynes pour Bretton Woods, il a rendu son
tablier. Treize ans plus tard, alors journaliste pour Newsweek, il a
écrit une réfutation ligne par ligne de la théorie de Keynes. C’est de loin
sa plus grande œuvre, qui n’attendait que d’être écrite. Lui seul en avait
ressenti le besoin. Elle continue de nous servir de manuel pour les erreurs
du gouvernement.
Hazlitt et Keynes avaient tous
deux un fort penchant pour la littérature et la philosophie, mais se sont
finalement tournés vers l’économie. Les deux étaient en position de faire un
choix de paradigme théorique au vu des évènements politiques et intellectuels
de leur temps. Les deux étaient des intellectuels. Ils se considéraient l’un
comme l’autre être des libéraux, dans le sens où ce terme était utilisé avant
le New Deal, et se disaient favoriser les Droits de l’Homme, la liberté des
échanges et l’ouverture des sociétés.
C'est dans cet esprit que
Keynes a écrit une dénonciation du Traité de Versailles et de ses termes
sauvages envers l’Allemagne après la guerre. Il défendait le libre-échange et
se liait à la défense de cette cause. Malheureusement, cette passion qui lui
venait de l’amour de l’ancien monde pour la liberté, était incompatible avec
son agenda qui, selon lui, était son droit de naissance. Son agenda était de
régner sur le monde grâce à ses connections avec les puissants. L’humilité
qui était au cœur de la profession d’économiste au XIXe siècle – celle
d’embrasser le principe du laisser-faire – était complètement absente de sa
ligne de pensée.
Keynes est né parmi l’élite
dirigeante d’Angleterre. Son père, John Neville Keynes, et le bon ami de son
père Alfred Marshall, étaient des personnages puissants de l’Université de
Cambridge. Ils l’ont pris sous leur aile et introduit aux bonnes personnes.
Puis le temps est venu pour lui d’intégrer la société secrète des
intellectuels du monde anglophone. Ce groupe se faisait appeler les Apôtres,
et c’est lui qui est à l’origine de ses idées et de son approche de la vie.
Le groupe a été formé en 1820 et comptait parmi ses rangs certains membres de
la classe dirigeante britannique. Ils se réunissaient chaque samedi soir sans
faute, et passaient le plus clair de leur temps en la compagnie de leurs
confrères. Ils en étaient les membres à vie.
Il est impossible de
surestimer l’arrogance intellectuelle extraordinaire de ce groupe. Ils
faisaient référence à leur société comme à tout ce qu’il restait de réel dans
le sens kantien, et percevaient le reste du monde comme une simple illusion.
Keynes, alors qu’il était étudiant, a écrit ceci à l’un des membres du
groupe : « Est-ce de la monomanie – cette supériorité colossale que
nous ressentons ? J’ai le pressentiment que le reste du monde, en dehors
des Apôtres, ne voit jamais rien du tout, qu’il est trop stupide ou trop
méchant ».
Au temps de Keynes, comme
l’ont expliqué ceux qui ont étudié ce groupe, les Apôtres étaient dominés par
une philosophie qui comprenait deux traits principaux : premièrement, ce
qui tenait le monde ensemble et le poussait vers l’avant était l’amitié et
l’amour que ressentaient les Apôtres les uns pour les autres, ainsi que
l’idée qu’aucun autre principe ne comptait vraiment, et deuxièmement, un
dédain intense pour la religion et les valeurs, les institutions, les idées
et les goûts bourgeois.
C'est à cette époque que
Keynes a rencontré G.E. Moore, membre des Apôtres et philosophe à Trinity. Sa
plus grande œuvre est Principia
Ethica, publiée en 1903, qui est une attaque philosophique des
principes fixes et une défense de l’immoralité. C’est ce livre qui a
complètement changé Keynes. Il l’a décrit comme « excitant, le début
d’une renaissance, l’ouverture des yeux des habitants de la Terre ».
C’est ce livre qui l’a poussé à croire qu’il était possible de rejeter
complètement toute forme de moralité, de convention et de tradition. Il peut
être considéré comme un prototype de son travail à venir.
Ces mêmes valeurs ont trouvé
leur chemin jusqu’au groupe Bloomsbury que Keynes a rejoint après avoir
terminé ses études. Comme l’ont dit de nombreux historiens de l’époque, il
était la plus grande force culturelle et intellectuelle en Angleterre dans
les années 1910 et 1920. Il ne se reposait pas sur la science mais sur l’art
et le renversement des standards victoriens au profit du courant
avant-gardiste. La contribution de Keynes aux efforts du groupe étaient
principalement financière, puisqu’il avait fait fortune en tant que
spéculateur et dépensé énormément d’argent pour défendre la cause du groupe
Bloomsbury. Il a également introduit les membres du groupe au monde de la
finance et de l’économie.
En discutant de l’immoralité
et le rejet des principes appliqués à l’économie, Rothbard a attiré
l’attention sur la vision qu’avait Keynes du libre-échange. En tant que bon
Marshallien, il en était un partisan au début de sa vie publique. Puis
soudainement, en 1931, tout a changé après la publication d’un article qui demandait
un protectionnisme et un nationalisme économique, le parfait contraire de ce
qu’il avait prôné jusqu’alors. La presse l’a ridiculisé pour son retournement
d’opinion, mais ça n’a jamais dérangé Keynes, qui en tant qu’Apôtre et
champion de l’immoralité, prétendait qu’il n’y avait là aucune contradiction
qui méritait d’être soulevée. Il pensait pouvoir adopter la position qu’il
voulait quand à n’importe quel sujet, et pouvait vivre sa vie sans standards
ni règles. Il était toujours prêt à modifier son opinion en fonction de la
constellation politique et ne s’efforçait jamais de s’expliquer.
C’est précisément en raison de
cette tendance à changer de point de vue en un clin d’œil que les critiques
ont commencé à en avoir assez de lui. Hayek a passé le plus clair de son
temps à réfuter ses théories sur de nombreux sujets, notamment son livre sur
la monnaie, simplement pour le voir ignorer ses critiques sur le principe
qu’il avait déjà changé d’opinion. Il était un partisan de FDR et appelait
les gouvernements à adopter le New Deal. Mais lorsqu’il s’est vu poser des
questions relatives au National Industrial Recovery Act, il est revenu sur
ses paroles et a déclaré qu’il s’était trompé. Son opportunisme était
palpable et exaspérant.
A mesure que la Dépression
prenait place, il a commencé à se voir en héros philosophe du monde
économique, et s’est mis à conseiller les gouvernements en matière de
politique. Sa cible première était l’étalon or, qu’il percevait comme la
relique d’une époque depuis longtemps révolue, le symbole ultime de l’ère
victorienne, l’incarnation monétaire de la moralité, la limite à la capacité
des gouvernements à manipuler l’économie et, de son point de vue, l’ennemi de
tout ce qu’il espérait pouvoir accomplir. Il avait longtemps auparavant écrit
qu’une « préférence pour une devise de réserve stable était une relique
d’un temps où les gouvernements étaient moins fiables qu’ils ne le sont
aujourd’hui ». En d’autres termes, il pensait que l’or n’était non
seulement pas nécessaire, mais aussi un obstacle aux ambitions des
économistes.
Venons-en maintenant à parler
de sa Théorie Générale publiée en 1936. Laissez-moi introduire ce
livre par une question. Qu’appellerions-nous une personne qui pense que les
politiques du gouvernement puissent éliminer complètement la rareté du
capital ? Une majorité des économistes du passé et du présent
appelleraient cette personne une imbécile heureuse. Le problème économique
auquel s’attaquent les théories économiques est la rareté du capital. L’idée
que nous soyons capables d’imaginer un système dans lequel la rareté
n’existerait pas revient à dire que le gouvernement puisse être capable de
créer une utopie permanente en appuyant simultanément sur quelques boutons.
Voilà qui revient à croire en une contrée magique et lointaine. Ce n’est là
que la manifestation d’un échec cuisant de comprendre la réalité.
Et pourtant c’est précisément
ce que Keynes a achevé au travers des politiques qu’il a promues dans sa Théorie
Générale. Son idée était de créer une terre de bonheur universel en 1)
portant les taux d’intérêts à zéro pour 2) achever l’euthanasie de la classe
des rentiers – c’est-à-dire de ceux qui vivent d’intérêts et 3) éliminer ce
qu’il considérait être l’aspect exploiteur du capitalisme, celui qui
récompense les investisseurs pour leur sacrifice.
Comme il l’explique, porter
les taux d’intérêts à zéro signifierait -
- l’euthanasie des pouvoirs
oppresseurs des capitalistes et de leur capacité à exploiter la valeur rare
du capital. Les intérêts ne récompensent aujourd’hui plus aucun sacrifice
réel, pas plus que le fait la rente de la terre. Il n’y a aucune raison
intrinsèque pour laquelle le capital devrait être une rareté. La raison
intrinsèque de cette rareté, dans le sens d’un sacrifice réel qui découle de
l’offre de récompense sous forme d’intérêts, ne peut exister sur le long
terme… Je perçois donc l’aspect rentier du capitalisme comme une phase
transitionnelle qui disparaîtra quand son moment sera venu.
Comme vous pouvez le
constater, Keynes avait une vision bien plus extrémiste que ce que les médias
nous laissent entendre. Et la situation dans laquelle nous nous trouvons
aujourd’hui, notre épargne qui ne nous rapporte rien et les taux d’intérêts
fixés à zéro pourcent à perpétuité, ne sont que la réalisation du plus sombre
des rêves keynésiens.
Pour ce qui est de la
contribution du livre à la théorie, Rothbard écrit que la « Théorie
Générale n’a rien de révolutionnaire, et n’est rien de plus qu’un amas de
théories mercantilistes et inflationnistes depuis longtemps réfutées vêtues
de nouveaux vêtements, fleuries par un jargon nouveau et largement
incompréhensible ».
Mises a ajouté que même les
idées déjà réfutées de Keynes n’avaient rien de nouveau. « La Théorie
Générale de Keynes n’a en rien inauguré une nouvelle ère de politiques
économiques, mais a marqué la fin d’une époque. Les politiques recommandées
par Keynes étaient déjà en passe de laisser transparaître leurs conséquences
inévitables, et leur continuation deviendrait bien vite impossible ».