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Ce texte est un « article presslib’ »
(*)
L’hypothèse,
sérieuse mais ne pouvant par définition être
établie, subsiste toujours : cela va craquer à nouveau de
quelque part, soudainement, en dépit du sentiment largement
répandu que « le pire est passé ». Les
précautions de langage et les réserves employées par les
grandes institutions internationales sont là pour nous le rappeler
discrètement si on l’oubliait à notre tour. Car il y a
beaucoup de méthode Coué - et si peu d’analyse
charpentée - derrière ce que nous entendons dire, surtout quand
cela est proclamé avec force et conviction. Vous rappelez-vous ces
« jeunes pousses » impatientes sortaient de terre en veux-tu en
voilà et dont on attend toujours la croissance ? Vous souvenez-vous de
cette reprise annoncée en Chine, dont la situation inquiète en
réalité les analystes attentifs, car on y observe une bulle
financière gigantesque, constituée en peu de temps au nom de la
relance et du crédit à tout va, mais qui a surtout abouti
à une spéculation tous azimuts ?
Certes,
les autorités sont parvenues une fois à contenir
l’effondrement du système financier – une véritable
chute libre, ont depuis reconnu certains - et cela permet
d’accréditer l’idée qu’elles y parviendraient
peut-être une seconde fois, si nécessaire. Mais la
vérité, tenace, reste que la « shadow
banking», la finance de l’ombre, est
susceptible de réserver de nouvelles surprises. Et que les indices et
autres repères dont disposent les économistes, et dont ils se
prévalent encore souvent, non sans une certaine forfanterie et comme
s’ils n’avaient rien appris, sont inopérants pour
transpercer l’opacité de ce monde-là.
Rien
cependant n’interdit de regarder de plus près, au cas où,
les scénarii possibles de sortie de crise. Et de tenter de comprendre
sur quelles bases la crise suivante se prépare.
Une question domine à ce
sujet toute les autres, une fois admis que le monde ne retrouvera pas pour
longtemps ses taux de croissance d’avant la crise, impliquant des
coûts financiers et sociaux dont on tarde à reconnaître
l’ampleur future, vu leur importance. Passant d’un déni
à l’autre, car cela est dans l’instant toujours plus
confortable. Dans leur course à « la création de la
valeur », donc, où les financiers vont-ils désormais
pouvoir chercher leurs leviers, depuis que certains de leurs terrains de jeux
favoris ne sont plus praticables ? Dans quels domaines spéculatifs
vont-ils chasser à nouveau, afin de renouer avec ces rendements
à deux chiffres auxquels ils ont pris goût et qu’ils
veulent retrouver ? Ni l’économie, dans l’état de
pré-convalescence dans laquelle elle va se trouver, ni les recettes classiques
reposant sur la titrisation des crédits à la consommation et
hypothécaires, ne vont plus permettre de générer ces
rendements de choix. L’endettement ne va en effet plus être le
moteur de la croissance qu’il a été, ni la machine
à profit du secteur financier. D’autres secteurs non plus, dont
on découvre tardivement combien ils sont sinistrés et
menaçants en Europe, notamment celui des LBO, qui consistent à
acheter des entreprises grâce à l’emprunt, en faisant
ensuite rembourser celui-ci par leurs soins, avant de les revendre.
Par
quoi donc remplacer ces marchés perdus, avec quels collatéraux
relancer la titrisation, ainsi que toute la palette des produits
structurés ?
Dans
l’immédiat, il y a certes quelques lots de consolation, non
négligeables faut-il croire, vu qu’ils permettent aux banques
senior de se prévaloir de superbes résultats. Il est
d’ailleurs d’ores et déjà prévu que ceux du
second trimestre ne devraient déparer ceux du premier. Les banques
centrales arrosent le marché de liquidités à bas prix,
on l’a déjà remarqué, accroissant les marges des
banques alors que les taux des prêts ainsi que des obligations
privées sont élevés et tendanciellement à la
hausse pour la dette d’Etat. Mais, même dans ces conditions
privilégiées, on est encore loin du compte en termes de
rendements. D’autres secteurs déjà largement
labourés restent certes également attrayants - comme disent les
commentateurs financiers – dans le secteur des « commodities » (les matières
premières), à commencer par l’incontournable
pétrole, mais il est politiquement délicat d’en abuser.
Enfin, le carry trade, en raison de la
fragilité du marché des changes et des écarts qui
pourraient laminer les marges, comme les ventes à découvert, ne
sont plus ce qu’ils étaient.
Le
Financial Times évoquait hier, à sa façon, quatre
scénarii de sortie de crise, dans un article titré «
à la recherche d’une sortie ». Il accréditait bien
le retour de cette spéculation, en décrivant un dernier
scénario parmi les quatre étudiés, le plus
redouté par les banques centrales selon le journal. Il envisageait une
situation de stagflation, marquée par une faible croissance, une forte
hausse des prix, et un chômage important. Il précisait que ce
serait la hausse du pétrole et des matières premières
qui serait, dans cette hypothèse, à l’origine de la
hausse des prix, c’est-à-dire de l’inflation. Alors que
tout le monde s’inquiète de la création monétaire
des banques centrales.
Mais
la grande affaire financière qui s’annonce, afin de ne pas
s’en tenir à ces bricolages, c’est bien entendu celle que
va générer le « green business ». Le très
documenté article de la revue Rolling Stones
sur les turpitudes de Goldman Sachs, mis en ligne en anglais par le site
contre-info ( http://contreinfo.info ), explique
très bien les mécanismes par lesquels de majestueux profits
s’annoncent. Le marché du crédit carbone va
connaître aux Etats-Unis, la loi désormais adoptée par la
Chambre des représentants, un développement foudroyant.
Rappelons que ce marché va permettre à des industries
polluantes d’acheter des droits à polluer à ceux qui
disposent de surplus de ceux-ci, en raison de la baisse de leurs
émissions de carbone. Et qu’il est prévu que la
quantité globale de ces crédits diminue progressivement, ayant
pour conséquence le surenchérissement graduel de ces droits. La
décision de créer et de développer ce nouveau
marché financier, et non pas de procéder par taxation
gouvernementale, est du pain béni pour l’« industrie
financière ». Rolling Stones l’a
résumé ainsi : « C’est pire que le sauvetage (des
banques) : cela permet aux banques de s’emparer cette fois-ci de
l’argent des contribuables avant même qu’il ne soit
collecté ».
Il
ne faudrait pas penser que ce qui est ni plus ni moins que la création
d’une nouvelle « commodity » résulte
d’une improvisation. Le même article décrit toutes les
actions de lobbying qui ont précédé et favorisé
l’adoption de la loi, où la présence de Goldman Sachs est
partout repérée, ainsi que l’ensemble des investissements
déjà réalisés dans le secteur des technologies
énergétiques de substitution, toujours par Goldman Sachs ou ses
filiales. Cerise sur la gâteau, enfin, ce nouveau marché va se
développer grâce à un produit, le crédit carbone,
dont il est d’ores et déjà prévu que le prix va en
augmenter, avec la bénédiction des autorités, sans
qu’il soit nécessaire d’organiser en sous-main cette
hausse, comme par exemple sur le marché du pétrole.
Paul Jorion
pauljorion.com
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» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et
anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard :
2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
Les vues présentées par
Paul Jorion sont les siennes et peuvent
évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise
à jour. Les articles
présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser
un quelconque investissement. .
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