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Dans son
dernier ouvrage, Xavier Fontanet, indique que,
selon le magazine Forbes, la France est le pays qui a perdu le plus de
milliardaires entre 2000 et 2010. Mais partout ailleurs dans le monde – à
l’exception de l’Italie et du Japon – le nombre de milliardaires croît. Leur
nombre explose dans des pays comme la Chine, l’Inde ou la Russie.
« On sait,
écrit Fontanet, qu’à peu près 750 familles fortunées sont parties tous les
ans depuis que l’ISF a été créé par la loi de finances de 1989, il y a 25
ans. […] On ne connaît pas les sommes consolidées de cet exil sur 30 ans, on
ne peut faire que des supputations, le ministère des Finances étant
silencieux sur ce point. Ceux qui ont travaillé sur le sujet estiment que ce
sont sûrement plus de 500 milliards d’euros de capitaux dont les
propriétaires étaient anciennement Français et qui ont choisi de devenir
Canadiens, Suisses, Belges, etc. Inutile de dire que cela a coûté des
millions d’emplois ».
Cela dit, il
reste des milliardaires en France. Chaque année, les magazines Challenges
et Capital
publient leur classement respectif.
J’ai regardé
plus attentivement le classement de Capital et celui qu’établit Forbes
pour les États-Unis. Prenons les 30 premiers de chacune des deux listes et comparons.
Qu’observe-t-on ?
Aux
États-Unis, 63 % des grandes fortunes sont de la première génération, 27
% de la deuxième génération, et 10 % de la troisième génération ou plus.
En France, les
proportions sont inversées : 23 % sont de la première génération,
23 % également de la deuxième génération et 54 % de la troisième
génération ou plus.
Première
remarque : le dynamisme du capitalisme américain est clairement mis en
avant par ces classements. En France, on est plutôt riche parce qu’on a
hérité. Il ne s’agit nullement de critiquer les héritiers. Bien au contraire,
ils ont su maintenir ou faire prospérer la fortune et les affaires
familiales. C’est tout à leur honneur. Néanmoins, il apparaît beaucoup plus
difficile en France qu’aux États-Unis d’émerger dans le classement des
grandes fortunes en partant de rien.
Deuxième
remarque : les classements ne sont pas immédiatement comparables. En
effet, le classement Forbes pour les États-Unis prend en compte les individus.
C’est ainsi qu’apparaissent dans la liste quatre membres de la famille Walton
(Wal-Mart), ou trois membres de la famille Mars. Capital, de son côté,
agglomère les familles. Il y a donc une seule ligne dans le classement pour
la famille Mulliez (Auchan), ou la famille Ricard (Pernod-Ricard), ou encore
pour la famille Peugeot.
Troisième
remarque : les héritiers américains de troisième génération ou plus ont
une fortune d’origine plus récente que les Français. En effet, les trois membres
de la famille Mars sont les héritiers d’une entreprise créée en 1920. En
revanche, nous avons, en France, nombre d’entreprises créées au XIXème
siècle, tels les Bolloré, Wendel, Peugeot ou encore Rothschild.
Quatrième
remarque : de nombreuses fortunes américaines ont été construites dans
les nouvelles technologies (Microsoft, Oracle, Amazon, Google, Facebook…). En
France, seul Xavier Niel (Free) intervient dans ce secteur. On pourrait y
ajouter des sociétés qui s’y sont diversifiées comme Bolloré, Bouygues ou
encore Dassault. En revanche, nous avons beaucoup de fortunes construites
dans le luxe et la cosmétique (L’Oréal, LVMH, Hermès, Guerlain, Kering,
Clarins, Chanel) ou l’agroalimentaire (Castel, Lactalis, Pernod-Ricard, Rémy
Cointreau, Roquette).
Je
souhaiterais rapprocher cette dernière remarque d’un autre classement. Celui
réalisé par l’Institut Choiseul des 100 leaders économiques de demain.
Ce
classement, publié dans Le
Figaro Magazine du 7 février 2014, s’intéresse aux
« personnalités françaises de 40 ans et moins les plus influentes dans
le domaine économique ». L’Institut Choiseul prétend ainsi dresser
« de manière exhaustive et objective, la liste de celles et de ceux qui
dans les années à venir seront à la tête des grandes entreprises françaises,
ou aux commandes des PME les plus dynamiques et florissantes ».
Cette liste
est riche d’enseignements. Là aussi, contentons-nous de prendre les trente
premiers du classement. Qui trouve-t-on ?
En tête du
classement, Emmanuel Macron, l’actuel ministre de l’Économie. Reconnaissons
beaucoup d’intuition à l’Institut Choiseul, car au moment de l’établissement
du classement, Emmanuel Macron n’était que secrétaire général adjoint de
l’Élysée.
Mais allons
plus loin. On est d’abord surpris par le nombre de personnes travaillant dans
le secteur privé : 23 sur 30, soit 77 %. Cependant, quand on y
regarde de plus près, nous constatons que 37 % de ces « hauts
potentiels » du privé sont d’origine publique. Ils ont fait l’ENA ou
l’X, sont passés par une direction ministérielle ou le cabinet d’un ministre.
Nous pouvons donc les associer aux 23 % qui travaillent dans le secteur
public. C’est ainsi que la sphère publique regroupe 60 % des
« personnalités françaises les plus influentes dans le domaine
économique ».
Maintenant, si
nous nous attachons aux 40 % qui œuvrent dans le secteur privé, nous
voyons quelques héritiers (Yannick Bolloré, Delphine et Antoine Arnault,
Gabriel Naouri, Bris Rocher), déjà impliqués dans l’entreprise familiale et
probablement appelés à la diriger dans les années qui viennent. Nous trouvons
également des collaborateurs, de haut niveau certes, occupant déjà des postes
de direction et siégeant au comité exécutif de leur entreprise, mais qui ne
sont que des salariés. Enfin, un créateur d’entreprise émerge : Pierre
Kosciusko-Morizet. C’est le seul dans les 30 premiers du classement. Où sont
les futurs Bill Gates, Jeff Bezos, Larry Page, Mark Zuckerberg
français ?
On peut penser
que les entrepreneurs français n’existent pas. Je ne le crois pas. Il y a en
France des entrepreneurs formidables, même s’ils sont de plus en plus
nombreux à partir à l’étranger afin de trouver un environnement plus
favorable à leurs affaires.
Ce que montre
surtout le classement de l’Institut Choiseul, c’est qu’on accorde que peu
d’importance aux créateurs d’entreprise. En France, pas de salut hors la
sphère publique.
Ce n’est sûrement
pas demain que les différences entre les classements Forbes et Capital
ou Challenges vont disparaître. Ni demain que notre économie va se
porter mieux.
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