Au sein de la Ligue, les plus farouches partisans d’une sortie de l’Italie
de l’Union européenne comptent sur une monnaie alternative, le “mini-bot”,
pour réaliser leur rêve : l’Italexit.
Une “monnaie alternative”. C’est la riposte que concoctent certains
eurosceptiques italiens de la Ligue à la pression que l’Union européenne (UE)
exerce sur Rome. La recommandation de Bruxelles, annoncée mercredi 5 juin, d’ouvrir une procédure pour déficit excessif à
l’encontre de l’Italie risque de renforcer leur conviction qu’il est temps de
couper le cordon ombilical.
L’arme que les eurosceptiques entendent dégainer pour s’émanciper de ce
que transalpins appellent la tutelle bruxelloise, et potentiellement préparer
un “Italexit”, s’appelle le
“mini-bot” (pour mini bonds of treasury, appelés en italien buono del
tesoro). Ce terme désigne des bons du trésor d’une faible valeur – compris
entre cinq et 100 euros – qui seraient émis par la Banque centrale italienne.
Des billets à l’effigie de Marco Tardelli ou
Oriana Fallaci
Officiellement, le mini-bot est présenté comme un moyen de rembourser les
créanciers de l’État. Ses deux principaux champions, Claudio Borghi et
Alberto Bagnai, deux influents conseillers économiques du vice-Premier
ministre et leader de la Ligue, Matteo Salvini, veulent ansi effacer les
quelques 60 milliards d’euros que le secteur public doit à ses fournisseurs.
Au lieu de payer en euros, ce qui alourdirait la dette publique qui est dans
le collimateur de Bruxelles, il verserait des “mini-bots”, qui feraient
office de reconnaissance de dettes.
Claudio Borghi a assuré qu’ils ressembleraient à s’y méprendre “à des
billets de banque sur lesquels pourraient apparaître des figures comme Marco
Tardelli [ancienne star du football italien, NDLR] ou l’essayiste Oriana
Fallaci [qui, après avoir été une opposante à l’extrême-droite, a connu son
lot de controverses à cause de deux pamphlets anti-islam publiés au début des
années 2000]”, explique Riccardo Pugglisi, professeur d’économie politique à
l’université de Pavie, contacté par France 24.
Ces “mini-bots” viennent même de remporter un net succès au Parlement, à
l’occasion du vote d’une motion incitant le gouvernement à les mettre en
place et qui a été adoptée à l’unanimité des députés, le 30 mai. “À la
décharge des membres de Forza Italia et du Parti démocrate, ils n’avaient
probablement pas conscience qu’ils votaient en faveur des ‘mini-bots’, car le
passage concernant ladite monnaie n’était pas présent dans le texte d’origine
et a été ajouté au dernier moment”, explique l’universitaire. Malgré cette
manigance et même si une motion n’a aucune valeur contraignante, l’apparente
adhésion de toute la classe politique italienne à cette “monnaie alternative”
a été considérée comme une victoire pour Claudio Borghi et ses alliés eurosceptiques.
Les marchés financiers ne s’y sont pas trompés et ont fait grimper les taux
auxquels Rome pouvait emprunter de l’argent.
Car, pour les milieux économiques, les “mini-bots” sont des chevaux de
Troie pour réaliser le rêve des eurosceptiques italiens les plus farouches : la sortie de l’UE. “Le remboursement de la dette
commerciale n’est qu’une excuse”, assure Riccardo Pugglisi. Il rappelle que
“le gouvernement Monti [2011 à 2013] avait déjà proposé des solutions viables
à cette question de la dette ne nécessitant pas de créer une ‘monnaie
alternative’. Le recours à des ‘mini-bots’ ne se justifie que si on veut
préparer un ‘Italexit’”.
Fausse bonne idée contre le “bank run”
L’idée de la frange pro-Italexit de la Ligue serait d’utiliser une monnaie
parallèle à l’euro, pour garantir une transition la moins douloureuse
possible entre l’abandon de la monnaie unique européenne et le retour de la
lire italienne. L’une des grandes craintes des partisans de l’Italexit est
que la décision de sortir de la zone euro entraîne un “bank run”, autrement
dit que les Italiens se ruent pour vider leurs comptes afin de mettre leurs
euros à l’abri dans d’autres pays, provoquant des faillites de banques en
chaîne en Italie. “Leur solution est de fermer temporairement les banques,
tout en s’assurant que les Italiens peuvent continuer à faire leur courses et
payer leurs factures grâce aux ‘mini-bots’ dont le taux de change serait
indexé sur l’euro”, explique le spécialiste italien de l’université de Pavie.
« Avec les « mini-bots », on démonte toutes les conneries
terroristes selon lesquelles on aura plusieurs mois sans argent, des longues
files d’attente devant les distributeurs, des boulangers pas payés et ainsi
de suite” Twitter
Avant que la Ligue ne mette de l’eau dans son vin eurosceptique à
l’occasion de la formation, en 2018, du gouvernement de coalition avec le
Mouvement 5 Étoiles, Claudio Borghi ne faisait pas mystère de son désir
d’Italexit grâce aux “mini-bots”. En 2017, il écrivait sur Twitter qu’avec
“les ‘mini-bots’, on démonte toutes les conneries terroristes selon
lesquelles on aurait plusieurs mois sans argent, des longues files d’attente
devant les distributeurs, des boulangers pas payés et ainsi de suite”. Il affirmait aussi au journaliste de France 24 Benjamin Dodman
qu’avec cette monnaie parallèle “en place, la Banque centrale européenne ne
pourra pas nous priver de liquidités, comme elle a réussi à le faire en Grèce
[lors des tensions avec le gouvernement de gauche radicale Syriza en 2015,
NDLR]”.
Le plan de Claudio Borghi, d’Alberto Bagnai et de leurs acolytes serait
ainsi d’introduire cette monnaie alternative, d’abord pour rembourser
certaines dettes, puis pour permettre aux Italiens de l’utiliser pour payer
leurs impôts et autres factures en “mini-bots” afin d’en banaliser l’usage.
Les Italiens accepteraient ainsi plus aisément de les utiliser pendant la
période de transition après l’italexit.
Mais, pour Riccardo Pugglisi, ce scénario souffre d’une faille majeure :
les ”mini-bots” n’empêcherait pas un “bank run”. “Les gens ne vont pas
attendre l’Italexit pour retirer leurs épargnes, ils vont le faire lorsque le
risque d’une sortie de l’UE deviendra réelle, comme cela s’est d’ailleurs
produit en Grèce”, explique-t-il.
L’inconnue Salvini
Pour l’instant ce risque reste marginal. Les partisans de l’Italexit “sont
minoritaires mêmes au sein de la Ligue », rappelle l’universitaire. Il
craint cependant que le rapport de force évolue en faveur de Claudio Borghi
et ses alliés. Le vote au Parlement en est un signe. La Ligue a aussi été le
grand gagnant en Italie de l’élection européenne de mai 2019, ce qui
“signifie que son influence au sein du gouvernement s’en retrouve renforcé
par rapport au Mouvement 5 étoiles”, estime Riccardo Pugglisi. La frange la
plus ultra des eurosceptiques de la Ligue pourrait rappeler à Matteo Salvini
que les “mini-bots” sont mentionnés dans le contrat de coalition.
Basta Euro. Anche lui vede che gliene danno troppi.#Salvini
Le vice-Premier ministre va-t-il les écouter ? “Sa position est des plus
ambigüe. Il ne veut pas se désolidariser de partisans de l’Italexit, car il
ne veut pas perdre les voix d’Italiens qui y sont favorables, mais ses
conseillers les plus proches sont plutôt pour un maintien dans la zone euro”,
résume Riccardo Pugglisi. Il n’empêche qu’en 2017, il arborait un T-shirt sur
lequel était inscrit “basta, euro” et tout l’enjeu est de savoir si Claudio
Borghi et Alberto Bagnai vont réussir à franchir le cordon de sécurité établi
par les eurosceptiques modérés autour du vice-Premier ministre pour lui
rappeler de porter le T-shirt et son slogan…
https://www.france24.com/fr/20190605-mini-bot...tie-bons-tresor
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