Interview d’Antal Fekete, célèbre mathématicien et monétariste,
d’Anthony Wile publié le 31 janvier 2016 sur TheDailyBell.com (ordre des questions modifié pour
privilégier le contenu le moins technique) :
Anthony Wile : bonjour Pr Fekete. Il semble que nous soyons à
l’aube d’évolutions économiques susceptibles de déboucher sur vos thèses
concernant la déflation, la désinflation et les cycles monétaires.
Pouvez-vous nous donner votre avis sur la situation actuelle et comment vos
théories se matérialisent ?
Pr Antal Fekete : nous sommes sans aucun doute dans une dépression,
et une déflation encore plus sévère. Je les avais annoncées il y a longtemps.
Elles ont été directement provoquées par les politiques monétaires
contre-productives de la Fed et des autres banques centrales principales : la
banque d’Angleterre, la BCE et la banque du Japon. Les taux directeurs quasi
nuls de ces banques ont eu pour effet de détruire du capital dans les
économies du monde entier, y compris du capital financier outre le capital
physique.
Anthony Wile : parlons désormais des taux d’intérêt négatifs qui
apparaissent à travers le monde. Est-ce un premier pas vers une société sans
argent liquide ? Les taux d’intérêt négatifs vont-ils pousser dans le
dos l’argent électronique ?
Sur l’argent électronique
Pr Antal Fekete : les taux d’intérêt négatifs ne sont qu’une autre
manifestation de la destruction du capital. Les taux négatifs sont absurdes
aussi bien en théorie qu’en pratique, tout comme l’argent électronique et la
société sans argent physique le sont.
Anthony Wile : êtes-vous d’accord pour dire que l’argent liquide est
obsolète ?
Pr Antal Fekete : il ne le sera jamais car, par définition, l’argent
liquide est l’actif le plus facilement vendable.
Anthony Wile : le désordre économique actuel a-t-il été planifié
ou est-il le fruit des erreurs de banquiers centraux ?
Pr Antal Fekete : il est la conséquence directe de la doctrine
keynésienne absurde disant que les opérations d’open market de banques
centrales peuvent créer de la richesse à partir de rien. Cette doctrine ignore
comment les spéculateurs obligataires réagissent aux actions des banques
centrales. Ils se joignent à l’orgie d’achats des banques centrales pour
réprimer davantage les taux. Il est difficile de parler d’erreur de calcul
lorsqu’il s’agit d’une théorie déficiente.
Antal Fekete sur les perspectives de l’or et la politique de la Fed
Anthony Wile : l’or se prépare-t-il à émerger ?
Pr Antal Fekete : l’or est sur le point d’entrer en backwardation
permanente, qui se caractérise par une base négative. Le cours de l’or
devient de plus en plus dénué de sens vu que personne ne souhaitera vendre du
métal jaune en l’échange d’une devise non échangeable, même les sociétés
minières.
Anthony Wile : Janet Yellen a-t-elle mal planifié sa hausse des
taux ?
Pr Antal Fekete : la pauvre Janet ne sait pas ce qu’elle fait. Elle
croit conduire une voiture, mais son volant ne contrôle pas la colonne de
direction. Au mieux son action est négative : lorsqu’elle souhaite tourner à
droite, le véhicule se dirige vers le fossé de gauche et vice versa.
Anthony Wile : la Fed relèvera-t-elle à nouveau ses taux ?
Pr Antal Fekete : si elle le fait, elle se tirera une balle dans
le pied. Des taux plus élevés couleront le marché obligataire ainsi que le
système monétaire international. Cette décision minera la Tour de la Dette
ainsi que le colosse des produits dérivés pour provoquer leur effondrement.
Anthony Wile : les banques centrales tentent de stimuler l’économie
vient de mesures monétaires. Ne devraient-elles pas laisser le système banquier
se désintégrer vu qu’il s’agit de la seule solution pour sortir de la
dépression actuelle ?
Pr Antal Fekete : je suis d’avis qu’il n’y a pas de bonne
solution pour la Fed mais si elle agissait ainsi, elle ne ferait
qu’admettre sa propre incompétence.
« Que feriez-vous si vous étiez à la tête de la Fed ? Je
démissionnerais » (Antal Fekete, paraphrasant Mises) »
Anthony Wile : que feriez-vous si vous étiez à la tête de la
Fed ?
Pr Antal Fekete : je répondrai de la même façon que Ludwig von
Mises, qui a dit lorsqu’on lui a posé la même question : « je
démissionnerais ».
(…)
Sur le risque d’effondrement financier, de faillites bancaires et bank
runs
Anthony Wile : nous dirigeons-nous vers un effondrement financier qui
balayera les devises mondiales et le système financier ? Est-ce vraiment
le souhait des banques centrales ?
Pr Antal Fekete : la probabilité d’un effondrement
financier est très élevée. (…)
Anthony Wile : assisterons-nous à des effondrements bancaires et à des
bank runs dans les semaines ou les mois à venir ?
Pr Antal Fekete : c’est possible, mais pas dans les semaines ou
les mois à venir. Ce sera plus tard, d’ici la fin de la décennie.
Anthony Wile : revivons-nous les débuts de la Grande dépression ?
Pr Antal Fekete : oui, sauf que cette fois, c’est bien
pire.
Anthony Wile : il a fallu une guerre mondiale pour remettre sur pied
l’économie après la Grande dépression. Est-ce une possibilité
aujourd’hui ?
Pr Antal Fekete : aucune méthode scientifique ne permet de
prédire le futur. Heureusement, il y a cette fois un gouvernement à la tête
froide, celui de la Chine, à côté de ceux impétueux des États-Unis et de la
Russie, qui pourrait calmer les esprits.
Anthony Wile : quels scénarios pouvons-nous envisager vu la situation
économique actuelle ?
Pr Antal Fekete : l’Occident se fait hara-kiri en permettant à
son or de migrer vers la Chine et l’Inde. Mais ne retenez pas votre souffle
dans l’attente d’un yuan ou d’une roupie adossée à l’or. Ces gouvernements
sont résolument socialistes. Pour eux, un standard or est un anathème. Après
l’effondrement du dollar il y aura un vide monétaire. Un authentique
standard or émergera ensuite après qu’un comité ait étudié
la question et rendu sa décision.
Anthony Wile : si vous étiez un investisseur des classes moyennes, que
feriez-vous pour vous protéger ? Acheter des armes ? De l’or ?
Des vivres ?
Pr Antal Fekete : j’achèterais les 3. Un mot concernant l’achat
d’or. Ce dont vous avez vraiment besoin, ce n’est pas vraiment d’or
physique mais d’un « revenu en or ». Vous devez donc posséder de
l’or en petites dénominations. Par exemple, la monnaie canadienne vend de
l’or en paquets de 125 g qui consistent en 125 pièces d’un gramme. C’est
parfait pour vos besoins de revenus en or en cas de besoin.
Sur la mort du dollar
Anthony Wile : assistons-nous à la fin du dollar ? Le billet vert
est-il en train de mourir, ou déjà mort malgré sa vigueur actuelle ?
Pr Antal Fekete : le système du pétrodollar, comme je préfère
l’appeler, est en train de mourir, comme le montre la chute du cours du
pétrole. La vigueur actuelle du dollar est comme une poule qui court sans
tête. L’objectif est de tromper les non-initiés. (…)
Anthony Wile : vu la situation actuelle, comment les prévisions
rothbardiennes et misesiennes sont-elles réfutées à votre avis ?
Pr Antal Fekete : les prévisions rothbardiennes et misesiennes se
basent sur la théorie quantitative de la monnaie. Selon
elle, et si elle était correcte, nous devrions avoir de l’inflation au lieu
de la déflation suite à la prolifération miraculeuse de la quantité de
monnaie, de crédit et de dette.
Anthony Wile : nous devons faire la distinction entre la déflation des
prix et la déflation monétaire. Nous assistons à une désinflation des prix ou
à une déflation dans le contexte de l’éclatement des bulles des actifs.
Rothbard n’a-t-il pas expliqué cela ou avez-vous l’impression que c’est
uniquement concentré sur la déflation de type monétaire ?
Pr Antal Fekete : je ne reconnais qu’une seule déflation, celle des actifs.
Ce que vous appelez déflation des prix n’est qu’un symptôme, il ne s’agit pas
d’une condition économique indépendante. Vu la destruction délibérée de la
valeur des devises par les banques centrales, le commerce mondial s’effondre
en conséquence, et à un rythme alarmant.
Anthony Wile : le débat entre Milton Friedman et Rothbard tournait
autour de la responsabilité de la Fed dans l’émergence de la Grande
dépression, n’est-ce pas ? Rothbard pensait que l’inflation monétaire
avait tellement déséquilibré l’économie qu’elle devait s’effondrer. Friedman
pensait que les actions de la Fed en 1929 ont précipité le crash boursier.
Rappelez-nous votre avis sur la question ?
Pr Antal Fekete : n’oubliez pas que Friedman était un autre grand
partisan de la théorie quantitative de la monnaie. Son diagnostic de la
déflation de 1929 est aussi erroné que celui de Rothbard. En compagnie de
Mises, ils ont ignoré le fait que la baisse des taux d’intérêt engendre une
large destruction de capital qui est rarement reconnue, mais qui n’en est pas
moins bien réelle. Aujourd’hui, les économistes post-Mises de l’école
autrichienne commettent la même erreur. Ils ne perçoivent pas la destruction
en cours du capital réel et financier. »
Revoir
l’interview d’Antal Fekete chez Max Keiser