Les
outils que la BCE a déployés ces trois dernières
années dans ses efforts pour combattre la crise peuvent se ranger en
deux grandes catégories: l'assouplissement quantitatif et
l'assouplissement qualitatif de sa politique monétaire.
L'assouplissement
quantitatif consiste à mettre plus de liquidités à la
disposition des banques sans
modification substantielle des principes, instruments et procédures
existants de la politique monétaire.
Il
se traduit par une expansion de l'actif du bilan de l'Eurosystème,
et donc par une production accrue d'euros. Ce gonflement monétaire est
réalisé soit par un accroissement des prêts garantis
accordés aux banques, soit par des achats supplémentaires
d'actifs financiers.
Donnons-en
quelques exemples. Le BCE a mis en place, depuis fin octobre 2008, des opérations
d'open-market illimitées, techniquement
réalisées par le biais d'appels d'offre à taux fixe et
non plus à taux variable. Les banques décident, seules et sans
limitation quantitative de la part de l'Eurosystème,
des montants d'euros qu'elles obtiennent sur présentation de garanties
suffisantes. Un autre exemple d'assouplissement quantitatif est le programme d'achat
d'obligations d'État sur le marché secondaire, actif depuis mai
2010, et dont l'encours avoisine les 220 milliards d'euros. Enfin, on peut
aussi citer les deux programmes d'achat d'obligations
sécurisées de banques, avec des enveloppes respectives de 60 et
de 40 milliards d'euros, celui-ci ayant encore à pourvoir quelques 34
milliards d'euros d'ici octobre 2012.
L'assouplissement
qualitatif, quant à lui, consiste à alléger les règles d'accès aux
opérations d'open-market, en
élargissant la catégorie des actifs éligibles pour
garantir les prêts d'euros. Les actifs négociables sont les
actifs éligibles par excellence. Il s’agit de différents
types d'obligations qui peuvent être vendues sur le marché
financier, de faible risque et bénéficiant donc d'une bonne
notation. Des actifs non négociables, c.à.d. des crédits
bancaires qui sont pratiquement illiquides, sont
aussi éligibles, dans la mesure où leur probabilité de
défaut est considérée comme très faible. Certains
crédits bancaires à des entreprises non-financières,
ainsi que les crédits aux États et aux institutions
internationales et supranationales, tombent dans cette catégorie.
Le
principe de limiter la liste des actifs éligibles à des actifs
de faible risque revient à encourager les banques à adopter une
gestion plus prudente de leur bilan. Sachant qu'elles n'auront pas
accès aux liquidités de l'Eurosystème
si leurs actifs sont peu négociables ou trop risqués, les
banques auront tendance à limiter leurs investissements
risqués. En corollaire, un assouplissement des critères
d'éligibilité conduira les banques à moins
hésiter dans leur prise de risques.
Et
pourtant, c'est probablement ce même effet déresponsabilisant
qui est un des objectifs recherchés du dernier assouplissement
qualitatif en date du 9 février. Jusqu'à présent, la BCE
n'avait élargi que ses critères d'acceptabilité des
actifs négociables, jusqu'à suspendre toute exigence de
notation, et donc de qualité, en ce qui concerne les titres de dette
émis ou garantis par les gouvernements de la Grèce, du Portugal
et de l'Irlande.
La
décision la plus récente concerne les actifs non
négociables. La BCE a approuvé les projets de sept banques
centrales nationales (France, Italie, Espagne, Autriche, Portugal, Irlande et
Chypre) d'étendre le critère d'éligibilité
à des créances privées supplémentaires, à
savoir des crédits aux entreprises avec une plus forte
probabilité de défaut ainsi que les crédits immobiliers hypothécaires
aux particuliers.
Concrètement,
cette décision signifie que des banques commerciales qui seraient par
exemple trop exposées aux crédits immobiliers, et qui devraient
donc les vendre sur le marché si elles voulaient obtenir des
liquidités pour payer leurs propres échéances, n'auront
plus à s'en désinvestir. Elles pourront obtenir les
liquidités nécessaires directement auprès de l'Eurosystème, tout en gardant le revenu des intérêts
sur les crédits. En effet, bien que donnés en garantie, les
actifs restent la propriété des banques qui continuent à
en tirer des revenus. C'est bien ce qui différencie les prêts
renouvelables sur garanties de l'Eurosystème
des achats fermes qui sont la forme d'intervention
préférée de la Réserve Fédérale.
Dans
le contexte actuel de désinvestissements massifs annoncés, que
certains analystes chiffrent entre 1 500 et 3 000 milliards d'euros, ce
nouvel assouplissement qualitatif pourrait bien permettre aux banques d’éviter des
pertes potentielles liées à ces ventes massives de
créances. Cela épargnerait aussi aux débiteurs des
banques une chute brutale de la valeur des actifs hypothéqués,
et notamment des biens immobiliers.
En
outre, l'acceptabilité des crédits bancaires auprès de
l'Eurosystème crée une puissante
incitation pour les banques à octroyer plus de crédits. Si
auparavant les fuites de liquidité causées par l'expansion de
crédit pouvaient conduire une banque à limiter ses nouveaux
crédits, il n'en est plus rien car les nouveaux crédits sont
des moyens de refinancement direct auprès de l'Eurosystème.
Le
dernier assouplissement qualitatif vise donc à stimuler le
crédit à l'économie qui tarde à
redémarrer, en dépit de tout l'assouplissement quantitatif déjà
en place. Une inflation des actifs, en particulier immobiliers, pourrait en
être la conséquence.
Enfin,
il faut souligner qu'à la marge tout assouplissement qualitatif de la
politique monétaire implique une hausse de la production d'euros. Si
les critères d'acceptabilité des garanties sont
allégés, c'est en partie parce que certains
établissements sont à court d'actifs éligibles de bonne
qualité. Les règles se voient modifiées
précisément afin de permettre à des institutions qui n'y
auraient pas accès normalement l'accès aux liquidités de
l'Eurosystème.
Le
tout dernier assouplissement des garanties est donc ni plus ni moins une
tentative de monétisation des crédits bancaires par l'Eurosystème. De par sa nature, cette action n'est
pas différente de celles des banques actuelles qui fondent leurs
crédits non pas sur une épargne préalable, mais sur la
création eh nihilo de nouvelles
unités monétaires sous la forme de dépôts
supplémentaires.
Au
fond, l'assouplissement des garanties montre une volonté de la part de
l'Eurosystème de participer directement
à l'octroi de crédit à l'économie. Reste à
voir si cette mesure, donc l'efficacité dépendra du bon vouloir
des débiteurs à assumer des dettes nouvelles, n'évoluera
pas vers une centralisation du crédit.
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