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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Olivier
Blanchard, chef économiste du FMI, vient d’annoncer la couleur
dans une interview accordée au quotidien italien La Repubblica :
« l’assainissement (des finances publiques) sera
extrêmement douloureux », prédit-il. Il
détaille ensuite ses modalités : des efforts devront
être accomplis pendant 10 à 20 ans, faits de sacrifices sur les
salaires, de réduction des dépenses sociales et
d’augmentation des impôts.
Sa
vision dramatique n’est cependant pas sans arrière
pensée, quelques jours après la publication d’une note
de recherche, cosignée, qui a fait grand bruit et dans laquelle il
est évoqué la possibilité de relever aux environs de 4%
le taux d’inflation considéré comme admissible dans les
sociétés occidentales. Alors que la norme édictée
par les banques centrales est actuellement de 2%. Car, si sa suggestion
devait être retenue – ce qui est dans l’immédiat
impensable – cela créerait quelques marges de manoeuvre pour concevoir et mettre en oeuvre
de nouveaux plans de relance publics, totalement à contrepied de
l’ire du moment, qui veut que la lutte contre les déficits
publics est la tâche urgente et prioritaire pour les gouvernements. Que
cela soit suffisant est une autre affaire, c’est l’intention qui compte !
Mervyn
King, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, vient d’ailleurs
de dire tout haut ce que chacun murmure tout bas :
« … la reprise dans notre principal marché
d’exportation, la zone euro, semble avoir calé ». Il
a aussi estimé que la petite flambée des prix enregistrée
au Royaume-Unie allait retomber, évoquant si
nécessaire la reprise du programme de rachats d’actifs,
interrompu alors que l’enveloppe initiale de 200 milliards de livres a
été dépensée.
Le débat
est donc posé, en dépit de tous ceux qui voudraient le clore.
Sans croissance, les objectifs affichés de réduction des
déficits ne seront pas tenables et les pays endettés vont droit
dans le mur. Une situation auquel le système financier ne pourra pas
résister et qui va impliquer qu’une alternative apparaisse, sans
laquelle la crise s’approfondira encore plus. Les épisodes de la
crise grecque et l’incapacité des gouvernements à y faire
résolument face après l’avoir créée en
donnent un petit avant-goût peu encourageant.
Deux
prétextes – le danger de l’inflation émergente et
de la croissance de la dette publique – font obstacle à
l’adoption de nouveaux plans de relance, alors qu’il est
désormais démontré que la faible croissance
enregistrée ces derniers mois s’éteint lorsque cessent
les effets des plans de relance publics. En dépit de l’existence
de fortes capacités de production inemployées, ainsi que de la
tendance déflationniste de l’économie occidentale, qui
rendent fort peu probable un brutal et proche démarrage de
l’inflation.
Quant
aux déficits publics, c’est encore une autre paire de manches.
Les restrictions qui sont envisagées, qu’elles touchent les
retraites, la couverture maladie, les allocations chômage ou les
mesures d’aide sociale, ont en commun de toutes diminuer le pouvoir
d’achat global et donc de porter un coup supplémentaire à
la croissance, accentuant les tendances déflationnistes, Est-ce bien
raisonnable ?
Le
lot des dogmes les mieux établis est de se voir un jour ou
l’autre inévitablement mis en question. Peut-on penser
qu’il n’en sera pas ainsi ? La profonde absurdité
d’une situation dans laquelle l’inflation des produits et des
services fait l’objet de toutes les restrictions, tandis que celle des
actifs est portée aux nues par des inconscients qui veulent y voir la
manifestation de la reprise, n’est plus à
démontrer.
Le
FMI – pourtant l’un des gardiens du temple – vient
d’illustrer le fait que les esprits évoluent confrontés
à des épisodes montants de la Grande Crise: il a
récemment préconisé le rétablissement du
contrôle des changes en Asie, en raison de l’afflux de capitaux
occidentaux, à la recherche d’un rendement et de bonnes
affaires, qui déstabilisent les marchés financiers et
perturbent l’économie de la région.
Une
modeste remise en cause est donc déjà intervenue, va-t-elle
s’arrêter là? Que ce soit à propos de
l’inflation, de ses manifestations, ses causes et moyens de la
combattre, ou bien des déficits budgétaires à
réduire toutes affaires cessantes ? Sur ce dernier chapitre, va-t-il
être possible de s’en tenir aux contes pour enfants qui sont
proposés ? A cette analogie spécieuse entre dette des Etats et
dette des particuliers et des entreprises ?
Des
questions sont déjà posées, elles portent en premier
lieu sur l’appréciation de la dette publique et les
modalités de son calcul. Certains économistes font en effet
remarquer que le patrimoine de l’Etat, une fois ses actifs
valorisés (une problématique de même nature que la mesure
de la richesse), devrait être mis en face de sa dette. Certains calculs
montrant que la balance, de négative, devient alors positive. Mettant
en évidence qu’il ne faut pas confondre dette brute et dette
nette et qu’il faut prendre en compte la capacité
d’endettement de l’Etat en fonction de la valeur de son
patrimoine, afin de juger de la réalité économique de la
menace qu’il représente.
La
mesure de la dette, par ailleurs, devrait être exprimée par le
rapport entre celle-ci et le budget de l’Etat, et non le PIB comme
c’est actuellement le cas. L’adoption de ce mode a en effet
été justifiée par le fait que la croissance du PIB
permettait, à partir d’un certain seuil, de rembourser en
douceur la dette grâce aux nouvelles recettes budgétaires qui en
résultaient. Et que la capacité d’un État à
rembourser sa dette était donc fonction de ses ressources,
elles-mêmes fonction de la taille du PIB, puisque provenant de
prélèvements assis sur l’activité
économique du pays.
Or
ce schéma ne fonctionne plus, car la croissance est devenue trop
faible et les revenus des Etats sont de plus affectés par le moins
d’état auxquels ils sont soumis et la baisse des
prélèvements fiscaux auxquels ils ont été
astreints (ainsi que par le transfert des bénéfices des grandes
entreprises dans les paradis fiscaux). Le mécanisme déclenché
est alors irrésistible: la dette augmente d’année en année,
ainsi que le coût de sa charge (les intérêts), non
compte-tenu de l’augmentation des taux sur le marché
obligataire, qui vient le surenchérir. En conséquence, non
seulement la dette n’est plus remboursable, mais elle ne peut que
continuer à croître: elle est devenue perpétuelle, sa
mesure en fonction du PIB n’a donc plus aucun sens.
Dans
ces conditions, la perspective change, la dette n’est plus aussi
écrasante, car c’est son seul service qu’il faut financer.
Une telle rente perpétuelle répond certes aux besoins du
capitalisme financier, la dette publique lui assurant le gîte et le
couvert, un havre en cas de pépin et un revenu garanti. On comprend
que, ne voulant perdre le bénéfice ni de l’un ni de
l’autre, celui-ci exerce une pression maximale afin d’écarter
la perspective de défauts ou le retour de l’inflation, qui tous
deux mineraient ses avoirs. Mais le coût économique et social
qui risque d’être à payer afin d’y parvenir est-il
justifiable ? Une telle rente, par ailleurs, peut-elle être
éternellement perçue ?
Pour
alourdir encore le montant de l’addition et rendre
l’équation encore plus complexe, des dettes implicites viennent
alourdir la dette explicite, celle-ci résultant des engagements
formels pris par l’Etat. Elles résultent de l’effet de
l’aléa moral avec lequel nous sommes désormais
familiers, qui va sortir renforcé de la
régulation financière telle qu’elle se profile.
D’ores et déjà, et à lui seul, le coût
intervenu de cet aléa est tel qu’il est peu vraisemblable que
les Etats parviennent à l’absorber grâce à des
restrictions budgétaires, ne pouvant résorber leur dette
d’autant, accroissant celle-ci.
Dette
implicite et explicite additionnées, le total explose
définitivement, tel une démonstration
par l’absurde. Nous rappelant que, convention comptable parmi
d’autres, les retraites des fonctionnaires ne sont pas prises en compte
dans le montant de la dette. Ce qui démontre qu’il n’y a
décidément, derrière ces statistiques, que des
conventions et qu’elles ne permettent pas de décrire une
réalité économique à laquelle il est fait sans
arrêt référence, mais dont la mesure échappe
à l’entendement sous les effets de l’obscurantisme
ambiant.
L’histoire
économique est pleine d’enseignements, et il est utile de
s’y référer. Afin de se rappeler que l’essor des
dettes publiques a de tous temps correspondu à la
nécessité de financer les guerres, avant même que
l’Etat ne soit constitué sous sa forme contemporaine, et que la
dette puisse être considérée comme publique. Mais,
au sortir de la seconde guerre mondiale, la situation a changé. La
forte croissance et l’inflation ont contribué dans les
années 60 et 70 à gommer le déficit. Puis, une brusque
envolée de l’endettement a été enregistrée
dans les années 80, suite à la baisse générale du
taux de croissance de l’économie occidentale et la hausse
simultanée des taux d’intérêt obligataires.Tout
a alors pivoté.
L’écart
grandissant entre ces deux taux est devenu un facteur majeur de la croissance
de la dette publique, concomitant à l’essor progressif du
système financier de ce début du XIX ème
siècle, dont nous connaissons aujourd’hui la crise profonde. Des
facteurs plus particuliers y contribuant au démarrage du processus,
aux Etats-Unis les baisses d’impôt des années Reagan, en
Europe le coût de la réunification allemande. Au court des
années 90 puis 2000 la situation s’est ensuite
améliorée, l’écart entre le taux de croissance et
le taux d’intérêt ayant diminué. La Grande Crise
est survenue, et tout est remis en question.
La
période qui s’annonce allant être marquée, en
raison de la Grande Crise, par une croissance insaisissable et une
hausse des taux obligataires qui l’est davantage, un seul pronostic est
possible pour la zone euro : le retour à la barre des 3% de
déficit annuel et 60% de dette (par rapport au PIB) ne pourra pas
être accompli, en dépit des lourdes restrictions
budgétaires qui vont être recherchées. Pour les autres
pays occidentaux, qui peuvent laisser filer leur monnaie, la situation sera
aussi tendue cette soupape mise à part. Mais, s’agissant des
Etats-Unis et du Royaume-Uni, ces deux pays auront le handicap d’un
taux d’endettement des particuliers très élevé,
auquel le crédit ne pourra pas suppléer comme
précédemment.
Dans
tous les cas de figure, l’équation de la dette publique ne
pourra pas être résolue sans que n’interviennent de
profondes remises en cause, qui résulteront des rapports de force
sociaux et politiques. Si l’on se replonge dans l’histoire
économique, il est flagrant de constater que les Etats ont
utilisé à de très nombreuses reprises deux leviers afin
de faire face à leur dette, lorsqu’elle devenait
ingérable et qu’il n’était pas possible de lever
davantage d’impôts : la monétisation de la dette (via
la création monétaire) et le défaut de remboursement,
partiel ou total. Ces deux leviers étant frappés
d’interdit et la croissance n’étant pas au rendez-vous,
l’impasse est certaine.
Dans
une note intitulée « Sortir des politiques
d’intervention de crise », le FMI vient de délivrer
mardi soir son message : « Si des niveaux élevés de
dette devaient persister dans nombre des plus grandes économies en
même temps, une hausse des taux d’intérêt pourrait
s’ensuivre au niveau mondial, avec des conséquences
négatives sur l’investissement privé et la croissance
mondiale ». Une constatation qui ne propose aucune solution mais
fonde ses espoirs dans une résorption de la dette par certains pays,
sans pouvoir les identifier ni expliquer comment ils pourraient y parvenir.
La
relance mondiale, qui pourrait y contribuer, reste une incantation.
L’une des images les plus paradoxales de la situation – qui
n’en manque pas – est illustrée par le refuge que continue
de constituer la monnaie la plus malade du monde, le dollar américain.
Le capitalisme financier marche sur la tête.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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