3ème
partie et fin
L’évolution
du marché du vin a conduit, comme nous l’avons vu dans un
article précédent (1ère
partie et 2ème
partie), à un processus d’uniformisation du goût du
vin. Il y a deux aspects importants à celui-ci.
Le premier est
technique. En effet, si une partie considérable de la production de
vin était mauvaise, ce n’était pas tant dû à
la mauvaise qualité des terroirs qu’à l’utilisation
de techniques douteuses. Il était ainsi pratique courante de presser
et de faire fermenter les raisins dans les mêmes tonneaux. Du coup, les
saveurs de raisins de bonne et de mauvaise qualité se
mélangeaient. Il était aussi courant d’utiliser toutes
sortes d’additifs pour rendre un vin buvable sans que pour autant il ne
soit vraiment possible de combattre les effets d’un vin trop jeune ou
de qualité trop médiocre.
C’est
l’œnologue français Émile Peynaud
qui identifiera les principaux problèmes des
techniques utilisées dans la production de vin. Dès lors, il
sera la force motrice de l’uniformisation des bonnes pratiques dans la
production viticole. Cette uniformisation se développa tout
d’abord en France, mais elle se diffusera ensuite dans le reste du
monde via les partisans des méthodes Peynaud
tels que Michel Rolland et les œnologues australiens qui ont vite
adopté les dernières innovations viticoles.
Le deuxième
aspect de l’homogénéisation du vin est souvent incompris
de ses détracteurs. Ainsi, si le goût du vin a eu tendance
à s’uniformiser dans le monde, c’est parce que ce sont
souvent des œnologues français qui se sont vus proposer
d’améliorer des vignobles dans le monde entier. Ils y ont
naturellement leur empreinte. Celle-ci a d’ailleurs souvent
été appréciée et recherchée par la demande
mondiale dans les années 1980 et 1990.
Il est vrai
que les questions de goût sont toujours assujetties à
d’interminables débats, mais il ne faut pas oublier que ce
processus de diffusion des techniques (et des goûts avec elle a permis
d’améliorer la qualité de nombreux vignobles et de leur
produit final.
Les
propriétés viticoles appartenant ou dirigées par des
français sont nombreuses à l’étranger. En
Argentine et au Chili, elles représentent pas
moins de 50% des producteurs de vins fins. L’amélioration des
techniques a justement permis aux vins du Nouveau Monde de pouvoir entrer en
force sur le marché international, et ainsi de mettre à pied
d’égalité avec de bons vignobles français,
certains vignobles espagnols et italiens.
Le
développement du vin et sa plus grande sophistication a aussi
suscité l’émergence de critiques de vins, ce qui a eu un
impact supplémentaire sur l’homogénéisation du
goût du vin. Le critique Robert Parker a sans doute joué un
rôle crucial dans celle-ci. Si les critiques de vin se limitaient
auparavant à décrire les différents châteaux et
terroirs, Parker ira plus loin grâce à un système de
notation accessible à la compréhension de tous les
consommateurs.
Les avis de
Parker associés à l’adoption à grande
échelle des techniques des œnologues français ont
favorisé le goût pour les cépages français tels
que le Cabernet Sauvignon, la Syrah, le Pinot Noir, le Chardonnay, et le
Merlot, entre autres, an détriment des
autres cépages et mélanges régionaux. Un autre effet de
cette association est la prépondérance dans le vin
aujourd’hui du style tannique de certains Bordeaux – les
préférés de Parker et Rolland.
Faut-il le
regretter et accuser ces évolutions de banaliser le goût du
vin ?
Rappelons tout
d’abord qu’une
critique gastronomique reste toujours marquée par les
impressions gustatives de son auteur. C’est un facteur que tout amateur
néophyte de vins doit prendre en compte.
Ensuite,
l’homogénéisation des styles de vin a le grand avantage
de « garantir » une certaine constance pour le
consommateur lambda là où il se trouve.
Son point
faible est aussi ce qui va susciter une nouvelle évolution de la
part des producteurs, à savoir qu’elle ennuie un nombre croissant de connaisseurs.
En effet, l’amélioration de la qualité des vins,
associée à des prix relativement accessibles a attiré un
nombre croissant de nouveaux amateurs de vin. Or, bon nombre de ces néophytes se
sont épris du vin et désirent en découvrir plus. Ils ne
veulent en aucun cas limiter leurs dégustations à des
cépages internationaux qui copient un style bordelais finalement
éloigné des meilleurs Bordeaux.
Ces nouveaux
consommateurs veulent sortir de l’ennui, découvrir
d’autres styles de vin, d’autres sensations. Une grande
majorité des vins sont devenus incapables de satisfaire leur soif de
découvertes gustatives.
Ainsi,
c’est ce processus d’uniformisation au niveau mondial qui suscite
une nouvelle demande pour une plus grande diversité aussi bien
internationale que régionale. Si bien que le retour au terroir est un
phénomène aussi bien européen (Espagne, Italie, Hongrie,
même l’Allemagne) que la caractéristique des pays du
Nouveau Monde encore peu connu pour leur terroir. Dans ce processus, les pays
de l’Est Européen font aussi un retour prometteur. Si la France
reste toujours une référence majeure – peut-être même
la référence majeure – elle n’est plus seule.
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