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Si les
finances publiques des pays "développés" ne sont pas
toutes dans l'État de décrépitude abyssale de la
Grèce, il n'y a guère lieu de se réjouir. La
déconfiture grecque n'est qu'une préfiguration de ce qui attend
la plupart des économies occidentales si leurs dirigeants ne changent
pas radicalement de comportement. Les crises récentes, loin
d'être la cause du marasme actuel, n'ont été que le
révélateur d'une situation qui perdure depuis des décennies:
les gouvernements vivent au-dessus de leurs moyens. Aujourd'hui, leurs
sources de financement se tarissent. Comprendront-ils la leçon ?
Chaque chef
de famille le sait: si, au cours de l'année écoulée, les
rentrées d'argent sont supérieures aux dépenses, tout va
bien. Par contre, si elles leur sont inférieures, la catastrophe n'est
pas loin. Il est possible de la postposer quelque peu en empruntant, mais
l'empêcher requiert de faire en sorte que les dépenses
redeviennent inférieures aux revenus. Pour cela, il n'y a que deux
solutions: augmenter les revenus du ménage ou diminuer ses
dépenses. La première solution est souvent difficile à
mettre en œuvre rapidement. Si la seconde n’a rien de plaisant,
elle devient donc souvent nécessaire, d’autant que
l’alternative est la visite des huissiers à plus ou moins
brève échéance.
Des dépenses publiques en
perpétuelle croissance
Les
gouvernements, hélas, ne raisonnent pas de manière identique.
Pour commencer, l'État a une tendance naturelle à étendre
son action: pour "laisser une trace de leur passage" et prouver
qu'ils ne sont pas inactifs, les politiciens doivent impérativement
"prendre des initiatives", ce qui signifie créer de nouveaux
programmes gouvernementaux ou étendre des programmes existants. Le
système contient donc en lui-même les germes d'une augmentation
permanente des dépenses publiques. Faire marche arrière est en
outre extrêmement difficile. Réduire les dépenses
implique, en effet, forcément de diminuer ou de supprimer certaines
prestations publiques. Une mesure en général fort impopulaire,
comme le prouvent à l'envi les multiples manifestations dont la France
est coutumière. Ou, sur un registre plus grave, les émeutes qui
ont éclaté en Grèce.
Trop d'impôt...
Or, ces
programmes publics coûtent de l'argent. Même si cela semble une
évidence, rappelons-nous que les États ne disposent pas de
revenus propres. Ils tirent leurs revenus de trois sources : l'impôt,
l'emprunt et le pillage. Comme la dernière option est un peu passée de mode depuis la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, restent donc l'impôt et l'emprunt. Entre les impôts
proprement dits et les prélèvements de sécurité
sociale, pudiquement nommés "parafiscalité", la
pression fiscale a graduellement augmenté dans les pays
développés, ainsi qu'en témoigne ce tableau de
l’OCDE. De sorte qu'il ne reste plus guère de marge de manœuvre
aujourd'hui. C'est certainement le cas pour la France, la Belgique et
l'Italie: l'État y capte déjà plus de la moitié
de la richesse créée chaque année dans le pays. Mais les
autres pays de l'OCDE ne sont guère en meilleure position: la pression
fiscale y dépasse déjà le tiers du produit
intérieur brut.
L'emprunt, un expédient facile
Conjuguée
à la difficulté d'augmenter les impôts, l'augmentation
perpétuelle des prestations publiques a entraîné les États
à recourir à un expédient: présenter des finances
publiques en déficit et emprunter le solde sur les marchés
"en attendant des temps meilleurs". La mesure a pu fonctionner au
cours des "Trente Glorieuses", car la croissance économique
forte a permis une augmentation mécanique des recettes fiscales:
à pourcentage de taxation inchangé, des revenus plus
élevés génèrent de nouvelles recettes fiscales.
Le premier choc pétrolier a sonné le glas de ces
décennies de croissance facile, mais la spirale de l'endettement
était lancée. Pire: appliquant les recettes
keynésiennes, la plupart des gouvernements occidentaux se sont lancés
dans d'ambitieux programmes de dépenses publiques pour "relancer
la croissance" - une recette que d'aucuns voudraient d'ailleurs
appliquer. Dépenses que, faute de pouvoir augmenter les impôts,
les États ont financées par l'emprunt. Entre 1980 et 1993, le
niveau de la dette publique belge est, par exemple, passé de
53,5% à 118,3% du PIB. Un
PIB qui n'a pendant ce temps pas cessé de croître, même si
cette croissance était faible. L'habitude de remettre des budgets en déficit
s'est suffisamment répandue pour que les "critères de
Maastricht", censés encadrer la politique budgétaire des
pays de la zone euro, entérinent cette façon de
procéder. On ne demandait pas aux États de ne pas
présenter de déficit: simplement de le maintenir en-dessous de
3% du PIB. Ils n'ont même pas été capables de respecter
cette règle, ainsi que le prouvent les
statistiques d'Eurostat.
Chronique d'un désastre annoncé
Il ne faut
pas être grand clerc pour comprendre que chaque déficit implique
forcément de nouveaux emprunts. Longtemps, les États ont pu
donner le change en "vendant" ces emprunts à leur propre
population. Une solution éminemment pratique, surtout si on la combine
à la pratique du "revolving credit":
chaque fois qu'un emprunt arrive à échéance, il suffit
d'émettre un nouvel emprunt pour financer le remboursement. Tant que
la population a confiance, cela ne pose guère de difficultés. Conséquence:
une véritable fuite en avant. La dette n'est plus jamais
réellement remboursée. N’ayant plus que les
intérêts à payer, les gouvernements sont débarrassés
de tout incitant à la prudence budgétaire. Leurs
déficits peuvent s’accumuler. On constate bien çà
et là quelques « cures d’amaigrissement »,
mais il suffit d’une crise pour relancer l’habitude des déficits
destinés à « soutenir la croissance ». Le
recours sempiternel à l’emprunt n’a cependant qu’un
temps : à force d’enfler, les dettes accumulées finissent
par effrayer même les prêteurs les plus endurcis. Inquiets du
risque de ne pas être remboursés, ils exigent des
intérêts plus élevés. Jusqu’au moment
où s’enclenche l’effet « boule de
neige » : exsangues, les États en sont réduits
à emprunter pour financer le paiement des intérêts sur
leurs dettes existantes. À ce stade, l’argent des autres se fait
rare.
L’heure
de vérité a sonné pour la Grèce. D’autres
pays suivront si rien ne change. À moins qu’ils ne tentent une
dernière pirouette : faire « tourner la planche
à billets ». Nous y reviendrons prochainement.
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