Dans une première
partie, j’ai brièvement rappelé ce qu’ont été les privatisations
réalisées par Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Mais la « révolution
conservatrice » britannique repose sur un autre pilier : les
« marchés internes » (internal markets). De quoi
s’agit-il ?
Tout
simplement de s’attaquer au cœur de l’État. Non plus aux entreprises
publiques, mais à l’Administration elle-même. Tous ces services publics que
le commun des mortels considère comme « gratuits ». Comme le dit
Madsen Pirie, « Peu importe que cela ne soit pas vrai : ce qui
compte est la perception des gens et non les faits. Même s’ils savent que ces
services sont financés par les impôts, ils supposent – à tort – que ce sont
les ‘riches’ qui paient le plus. En vérité, il n’y a pas assez de riches pour
faire la différence : la plus grande partie des impôts est assumée par
la majorité des contribuables ».
Premier
« service public » à faire l’objet de toutes les attentions de
Margaret Thatcher : celui de l’éducation, qui se dégradait depuis des
décennies malgré des dépenses chaque année plus importantes.
La réforme
proposée était « fondée sur trois principes :
-
les parents doivent
pouvoir choisir entre différents établissements publics d’enseignement ;
-
les établissements
scolaires doivent avoir le droit de quitter la tutelle administrative locale
au profit d’un régime autogestionnaire, assorti d’une forte participation des
parents d’élèves ;
-
les fonds doivent
être attribués en fonction du nombre d’élèves inscrits dans un établissement
donné ».
Cette réforme
a l’avantage d’être progressive et volontaire. Rien n’est imposé, mais le
changement est amorcé. Et les parents sont au centre de la réforme. Ils ont
été nombreux à user de « leur droit de choisir, au profit des
établissements réputés pour la qualité de leur enseignement ».
Pour le deuxième
élément de la réforme, les parents sont aussi acteurs. Il s’agit de permettre
à chaque établissement de rompre avec l’autorité locale d’enseignement pour
acquérir un statut autonome. Autrement dit, il s’agit de court-circuiter
toute la bureaucratie locale. « Le changement de statut se fait à
l’initiative des parents, soit par deux votes successifs lors des réunions du
conseil de direction, à moitié composé de parents d’élèves ; soit à
partir d’une pétition d’au moins 20 % des parents d’élèves de l’établissement
qui entraîne ensuite un vote des parents ». L’astuce a consisté ici à
accorder « à ceux qui opteraient pour le nouveau statut la part totale
de leurs dépenses qui était auparavant impartie à l’autorité locale
d’enseignement. Les établissement en autogestion bénéficient ainsi d’une
augmentation d’environ 15 à 17 % de leurs moyens ».
Madsen Pirie
cite l’exemple de la Baverstock School de Birmingham qui « avait réclamé
cinq fois la réparation d’un toit, pour un coût estimé à 35 000 livres,
que l’autorité locale a finalement rejetée. Après avoir acquis le statut
d’autogéré, l’école a immédiatement trouvé une entreprise qui a effectué la
réparation pour 1 700 livres… ».
Administration
sœur de l’éducation, en tout cas dans son mode de fonctionnement : le
système hospitalier. Le National Health Service (NHS) connaissait des défauts
systémiques évidents. Mais il demeurait populaire et toute tentative de le
privatiser ouvertement se serait heurtée à une opposition massive.
La réforme
mise en œuvre reposait sur trois éléments. Le premier fut la séparation entre
l’achat et la production de soins. Il fut, en effet, donné à chaque autorité
hospitalière locale la possibilité « d’acheter des services (des soins)
pour ses patients à plusieurs producteurs concurrents. Les soins seraient en
principe fournis par les hôpitaux locaux du NHS, mais ils pourraient aussi
venir du secteur privé, ou d’autres hôpitaux publics plus éloignés. Ensuite,
l’argent suit le patient : l’autorité hospitalière, en fonction de son
budget, choisit le meilleur service pour ses patients. Elle doit donc
connaître parfaitement le prix des prestations, afin d’évaluer l’efficacité
relative d’un hôpital donné. Il s’ensuit que ce système présente l’avantage
de pousser à la transparence et à la minimisation des coûts ».
Le deuxième
élément de la réforme du NHS était inspiré de la réforme du système éducatif.
Il s’agissait de l’indépendance budgétaire. Enfin le dernier élément de ces
« marchés internes » fut l’introduction de « budgets
décentralisés » (budgetholders). Il s’agissait de permettre aux
cabinets de médecine générale d’une certaine taille (plus de 9 000 patients
par an) « d’assurer un certain nombre de soins supplémentaires à la
place des autorités hospitalières. Ensuite, ils achètent les services
nécessaires de manière concurrentielle, tout comme les autorités
hospitalières. Ces médecins généralistes sont alors incités à trouver la
meilleure solution à un prix compétitif par l’intermédiaire de contrats avec
les hôpitaux locaux ».
Comme le
souligne Pirie, « où qu’ils aillent, l’argent que coûte le traitement
suit les patients, ce qui leur permet d’être plus exigeants qu’avant ;
jusque-là personne n’avait intérêt à rechercher un ‘producteur’ de soins plus
efficace ».
Bien
évidemment, l’opposition à cette réforme fut violente. Mais elle fut mise en
œuvre. Le statut indépendant permit une réduction sensible des listes
d’attente, une multiplication des soins et l’arrivée de nouveaux services
grâce aux gains d’efficacité réalisés. Et Madsen Pirie de souhaiter que les
réformes aillent plus loin, en particulier en étendant la liberté du choix
des hôpitaux aux patients eux-mêmes.
Cette
technique des « marchés internes » ne touche pas au principe du
financement public. Les services restent « gratuits ». Mais une
dose de concurrence et les mécanismes de marché sont introduits dans le
système, et le consommateur a la possibilité de choisir.
À suivre
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