L’ancienne cadre de Cambridge Analytica, Brittany Kaiser, livre un
témoignage accablant sur son ex-employeur dans « The Great Hack ».
NETFLIX
Facebook est votre ennemi ? Vous n’avez pas compris grand-chose au
scandale Cambridge Analytica ? The Great Hack est le
documentaire qu’il vous faut pour occuper vos soirées d’été, et surtout
prendre du recul sur cette affaire tentaculaire, qui a durablement modifié la
perception qu’ont les autorités et les régulateurs du monde entier du réseau
social.
Ce scandale a amené les dirigeants de Facebook – Mark Zuckerberg et Sheryl
Sandberg – à être auditionnés par le Congrès des Etats-Unis, tandis que
le Parlement britannique lançait de son côté une enquête sur les pratiques du
réseau social.
Disponible sur Netflix à partir du 24 juillet, The Great Hack
a été réalisé par un couple – Jehane Noujaim et Karim Amer – connu pour avoir
déjà signé le documentaire The Square, aussi sorti sur Netflix
en 2013. Ce film racontait la révolte qui a secoué l’Egypte à partir de
2011 et qui a conduit à l’occupation de la place Tahrir, l’un des derniers
soulèvements des « Printemps arabes ». Dans ce contexte, les
plateformes « sociales » comme Facebook et Twitter étaient alors
évoquées pour leur capacité à donner de l’ampleur aux voix des manifestants
réclamant plus de démocratie et de liberté.
Depuis The Square, le vent a tourné, et lorsque l’on évoque
l’utilisation politique des réseaux sociaux, c’est désormais pour en dénoncer
les abus.
The Great Hack en est un parfait exemple. Ce documentaire à
charge, explique The
Guardian, a mis plusieurs années à être finalisé – le projet
évoluant peu à peu au fil de l’actualité. Au départ prévu pour dévoiler
le fonctionnement de l’industrie des données personnelles, ilest devenu une
chronique de l’affaire Cambrige Analytica, qui a éclaté en mars 2018
après les révélations
du lanceur d’alerte Christopher Wilye.
Pas de révélations majeures
Ses informations ont permis d’apprendre que l’entreprise britannique
cofondée par Steve Bannon avait été utilisée par les républicains lors de la
campagne électorale présidentielle américaine de 2016. Et surtout qu’elle
avait réussi à diffuser des publicités ciblées sur Facebook pour influencer
le vote en faveur de Donald Trump.
Cela sur la base de données récoltées à travers une application
trompeuse : un quiz de personnalité qui a permis de compiler les
informations de 87 millions d’utilisateurs Facebook. Celles-ci furent
ensuite utilisées pour des opérations de « marketing politique ».
Cambridge Analytica est également soupçonnée d’avoir utilisé ce savoir-faire
pour mener des campagnes en
faveur du Brexit et du mouvement Leave. EU.
Si The Great Hack dure près de deux heures, il ne contient pas de
révélation majeure sur cette affaire aux multiples ramifications. Mais le
documentaire réussit le pari de dérouler correctement les faits, en mêlant
images issues de l’actualité, d’auditions parlementaires, d’archives YouTube,
ou de séquences tournées sur le vif, bourrées de punchlines, lorsque
les réalisateurs interviewent des protagonistes clés de l’affaire
(activistes, journalistes, anciens employés, avocats…).
On suit comme un thriller les révélations menées tambour battant, et les
destins croisés des protagonistes qui se sont ouverts aux réalisateurs. Ces
derniers se font parfois plaisir trop facilement, à grands coups d’effets
spéciaux moyennement utiles (on voit ainsi des paquets de données et des
posts Facebook ou Instagram s’envoler des smartphones et des immeubles de New
York), et d’interviews menées dans des endroits incongrus – une piscine en
Thaïlande, un siège d’avion, des chambres d’hôtels…
Il n’empêche, The Great Hack déroule une enquête solide et évite
l’écueil du sensationnalisme grâce aux explications des protagonistes face
aux questions complexes, mais fondamentales, posées par cette affaire.
On retiendra surtout le témoignage de David Carroll, un activiste qui
conduit depuis New York des démarches juridiques pour que Cambridge
Analytica puisse lui restituer ses données personnelles ; les précisions
de Carole Cadwalladr, journaliste au Guardian, qui a participé
aux enquêtes visant à éclairer les manquements de Facebook dans cette
histoire ; et les états d’âme de Brittany Kaiser, ancienne cadre de
Cambridge Analytica pendant la campagne de Donald Trump, et qui, finalement,
livre un témoignage accablant contre son ancien employeur lors d’une audition
devant des élus britanniques.
Le vertige des responsabilités
Le parcours ambigu de Brittany Kaiser (elle avait participé en 2008 à
la campagne numérique de Barack Obama), de même que la tournure parfois
surprenante qu’a pris sa « rédemption » – elle explique notamment
avoir perdu ses amis depuis qu’elle a adhéré à la NRA, le lobby américain
pro-armes, et passe ses week-ends à chasser –, sont parmi les éléments les
plus intéressants du film.
The Great Hack interroge à ce titre la part d’autonomie des
acteurs de l’affaire, individus ou entreprises, dans un système
incroyablement complexe, où les évolutions technologiques devancent le plus
souvent les textes législatifs et juridiques – en particulier en période
électorale. « Il y aura toujours des Cambridge Analytica. Ça craint
juste pour moi que cette affaire soit tombée sur Cambridge Analytica »,
soupire dans le film l’un des anciens directeurs financiers de l’entreprise,
qui sous-entend que d’autres acteurs ont pu, ou peuvent encore, profiter de
l’écosystème encore très récent des réseaux sociaux.
On peut simplement regretter que The Great Hack soit parfois trop
porté par une narration manichéenne, qui lui fait perdre en pédagogie. Il
passe aussi sous silence les évolutions entreprises par Facebook à la suite
de cette affaire : le réseau social a notamment annoncé plusieurs
mesures pour lutter contre les ingérences électorales, et suspendu
des applications suspectes comme celle par qui le scandale est arrivé. Le
film n’interroge pas, non plus, d’autres acteurs ayant pourtant un rôle dans
les campagnes numériques des dernières années (Twitter, Google…).
Mais tel n’est pas le propos du documentaire, dont la fin, qui prend appui
sur des exemples très récents – la victoire de Jair Bolsonaro en 2018 à
l’élection présidentielle brésilienne, alors que de vastes campagnes de
désinformation avaient
lieu au moment de la campagne sur Whatsapp, propriété de Facebook –
montre que les problèmes soulevés par le scandale Cambridge Analytica sont
loin d’être réglés.