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Pour de plus en plus d’entreprises, le capital n’est plus un ingrédient
crucial. Au contraire même puisque pour les géants qui dominent aujourd’hui,
soit Apple, Amazon, Facebook, Google, ou Netflix, les besoins en capitaux
frais restent symboliques, voire inexistants.
La dernière illustration de ce changement de paradigme est l’entrée en
bourse la semaine passée de Spotify dont l’objectif n’était pas de lever de
nouveaux capitaux, malgré le traditionnel accueil lui ayant été réservé à la
bourse de New York. En effet, et de l’aveu même de son grand patron,
l’objectif prioritaire de cette entrée en bourse fut de permettre aux
investisseurs privés initiaux de trouver des acquéreurs à une partie de leurs
actions de cette société, accessoirement à des prix intéressants. Pour sa
survie et son développement, et à l’instar de nombre de sociétés dont les
directions générales décident de les faire coter en bourse, Spotify
n’avait donc nul besoin de davantage de capitaux, mais juste de donner une
opportunité à ses capital-risqueurs de sortir et de recouvrer leurs
investissements assortis d’un profit.
Dans un tel contexte, la gouvernance des entreprises subit également un
glissement fondamental car les pourvoyeurs de capitaux – à savoir les
actionnaires – ont de moins en moins de pouvoir sur la marche de la société
car leurs deniers ne lui sont plus vitaux. Le contrôle exercé dans le passé
par l’actionnariat sur la gestion de l’entreprise devient ainsi quasiment
inexistant, et quoi de plus logique du reste alors même que leurs capitaux
sont de moins en moins sollicités. Voilà en effet Apple, qui – en dépit
d’être la première capitalisation mondiale – n’emploie que 120’000 salariés à
temps plein, chiffre invraisemblablement bas au vu des 800 milliards de
dollars qu’elle pèse.
Exemple typique de ces sociétés modernes ayant une influence mondiale
considérable et un poids formidable en terme de capitalisation boursière,
mais qui ne consentent à accorder à leurs actionnaires qu’un certificat
d’action en échange de leurs placements, à l’exclusion de tout autre pouvoir.
La tendance est irréversible et ira même en s’amplifiant dans le sens
d’un rôle désormais purement passif et symbolique dévolu aux actionnaires.
Ainsi, entrée en bourse en début d’année, Snapchat ne s’est-elle pas
simplement contentée de diluer les droits de vote de ses actionnaires, comme
Google, Facebook et LinkedIn avant elle. Cette entreprise a
littéralement retiré tout droit décisionnel à son actionnariat, conférant
ainsi tout le pouvoir à sa direction générale.
Comme les capitaux ne sont plus une denrée rare et que les marchés
boursiers sont désormais trop spéculatifs, l’actionnaire se voit
progressivement retirer ses prérogatives et son argent n’est plus la priorité
des dirigeants d’entreprise. Alors, dans un contexte où les besoins
en capitaux des entreprises de demain seront plus sporadiques – en tout cas
inférieurs -, et alors que les sociétés d’aujourd’hui (et à plus forte raison
de demain) trouvent d’autres solutions de financement, peut-on encore parler
de capitalisme ?
Michel Santi
http://www.michelsanti.fr/?p=7510
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