Le Victoria,
présenté sur un socle en acrylique
Depuis le tout début, le
mystère plane sur l’histoire de la découverte de cette
pierre précieuse qui pesait à l’état brut 457,5
anciens carats. Egalement appelée ‘Imperial’ ou
‘Great White’, elle est restée le plus gros diamant de crystal octahédrique
d’origine Sud-Africaine jusqu’en 1896, date à laquelle un
diamant de 503,25 anciens carats fut découvert à la mine De Beers.
Des doutes quant à
l’origine du diamant ont toujours subsisté. Deux lettres ont
été publiées à ce sujet sous le titre ‘A
Large Diamond’ dans le London Times. La première,
datant du 20 août 1884, précise ce qui suit :
‘Cette pierre de couleur
bleu-blanc est similaire aux diamants les plus fins issus de la mine Jagersfontein, dont elle est également
supposée provenir. L’origine réelle de cette pierre est
toutefois quelque peu mystérieuse, et compte tenu de la
confidentialité qui semble être de rigueur quant à sa
provenance, il n’est pas improbable qu’elle provienne d’une
vente ‘illicite’ par un employé de la mine’.
‘Selon certaines lois actuellement
relatives aux mines de diamants, il est nécessaire pour toute personne
de posséder une licence pour pouvoir vendre des pierres
précieuses. Malheureusement, la juridiction dans laquelle
s’appliquent ces lois n’est que très peu étendue.
Ainsi, dans la colonie de Cape, l’achat et la vente de diamants
n’est pas règlementée. La mine Jagersfontein,
située dans l’Orange Free State, n’est pas au meilleur de
sa forme, et je suis certain que ses mineurs pourraient nous conter toute une
série d’anecdotes quant au manque cuisant de succès des
opérations qui y sont menées. Si cette pierre avait
été découverte et vendue de manière parfaitement
légitime, le monde des diamants en aurait certainement entendu parler
avant sa mise en vente. Il est également assez curieux qu’elle
ait été consignée part un établissement de Port
Elizabeth’.
‘Des rapports indiquent que le
diamant a été vendu pour la somme de 15.000 livres et que le
syndicat qui le possède aujourd’hui en demande 200.000. Si la
pierre que possède le syndicat est bel et bien celle qui nous
intéresse ici, il est clair que le prix qu’il demande pour sa
vente n’a rien d’une exagération, compte tenu de son
caractère unique et extraordinaire’.
Voici la lettre qui fut publiée
deux jours plus tard :
‘Monsieur. J’aimerais
prévenir une autre de vos colonnes ne relatant autre chose que pure
fiction, bien qu’elles puissent toutefois satisfaire
l’appétit curieux du public. J’ai récemment
reçu une lettre datée du 30 juin et écrite par mon ami
Mr. Allenberg, de Port Elizabeth, qui a
lui-même organisé le transport de la pierre vers Londres’.
‘Le diamant a été
découvert dans une ferme de l’Orange Free State dont le
propriétaire Hollandais l’a conservée dans le plus grand
secret durant près d’un an par crainte de voir arriver sur ses
terres une armée de mineurs et d’être chassé de sa
ferme. Finalement, un ami de Mr. Allenberg a
observé la pierre et a poussé son propriétaire à
la mettre en vente’.
‘Il ne fait aucun doute que
l’exacte provenance de la pierre devrait être stipulée,
mais je n’en ai pas connaissance’.
‘Comme nous le savons tous, elle
a été vendue à un syndicat de marchands de diamants de
Londres. La vente du diamant n’a fait l’objet d’aucune
clause particulière de confidentialité’.
‘Le prix de vente du diamant
indiqué par le Times est également incorrect’.
Malgré le ton affirmatif de
cette seconde lettre, les experts continuent encore de douter de
l’origine du Victoria. Il est important de noter que bien que la mine Jagersfontein ait produit de nombreuses pierres
précieuses de couleur blanche, les diamants octaédriques sont
généralement caractéristiques de trois autres
mines du Kimberly : De Beers, Kimberly et Dutoitspan.
Dans le magazine Science daté du 5 août 1887 a été
publié un article intitulé ‘Four Large South African Diamonds’
écrit par George F. Kunz, le géologue
distingué responsable de la supervision de la taille du diamant jaune
Tiffany. Il se penche tout d’abord sur le Victoria. Conscient des
lettres publiées dans le Times, voici ce qu’il
écrit :
‘Nombreux sont ceux qui pensent
que le Victoria a été découvert à la mine
Kimberly, en Afrique du Sud. La première fois que les
sociétés minières entendirent parler de son existence
fut après son arrivée sans encombre à Londres. Il est
dit qu’entre les mois de juin et juillet 1884, la pierre aurait
été découverte par l’un des agents de
sécurité employés par Central Mining
Company et travaillant dans les mines Kimberly.
Ayant toujours fait son travail et fouillé de nombreuses autres
personnes, il a eu le privilège de ne jamais être lui-même
soumis à une fouille corporelle et de sortir de la mine avec le
diamant. Il a ensuite trouvé le moyen d’entrer en communication
avec des acheteurs de diamants de manière illicite. Compte tenu des
lois en vigueur à Griqualand West, le
commerce de diamants bruts est interdit à toute personne ne
possédant pas de licence ou d’autorisation particulière -
coûtant 200 dollars -, et d’une garantie d’une valeur de
500 dollars. Tous les achats faits par ces personnes sont également
inscrites dans un registre particulier signé chaque semaine par les
autorités locales. Le diamant fut tout d’abord vendu pour une
somme de 3000 dollars par quatre hommes. Afin de se préparer au
transport de la pierre précieuse vers un autre district, ses acheteurs
se sont rencontrés un soir et ont commencé à boire et
à jouer jusqu’à ce que deux des quatre hommes ne perde
leur part du diamant. Les deux autres arrivèrent plus tard à
Cape Town, où les lois applicables au
commerce du diamant n’étaient pas en vigueur, et vendirent leur
pierre pour 19.000 dollars. Habituellement, une taxe de 0,5% était
automatiquement prélevée sur les diamants en provenance de la
colonie de Cape, mais puisque le Victoria était dit avoir été
transporté par l’un des passagers d’un navire postal, il
ne fut pas déclaré. Nous retrouvons ensuite le diamant à
Londres, faisant grande sensation à Hatton Garden, le
célèbre marché aux diamants. Après de longues
heures à chercher un riche capitaliste qui puisse se permettre
d’acheter une telle pierre, elle fut finalement vendue à huit
hommes qui l’achetèrent ensemble pour une somme de 45.000 livres
en liquide, sous la condition que s’ils avaient à en disposer,
chacun d’entre eux reçoivent un neuvième du profit
obtenu’.
Le Victoria paraît bleu sur cette photo. Le journaliste qui en est
l’auteur dit avoir utilisé un flash verdâtre.
Mr.
Kunz ajoute également qu’il fut
décidé par la suite que la pierre soit taillée en un
diamant le plus gros possible plutôt qu’en de nombreuses pierres
plus petites. Amsterdam fut désignée comme lieu de taille.
Le Victoria fut envoyé
à Amsterdam, auprès de la firme de Jacques Metz, où un
atelier avait spécialement été élaboré
pour l’occasion. Une première partie de la pierre fut
coupée pour donner un brillant de 19 anciens carats. La pierre fut
ensuite vendue au roi du Portugal. Nous ne savons pas où il se trouve
aujourd’hui, bien qu’il soit possible qu’il fasse partie
des diamants qui sertissent les joyaux de la Couronne exposés au
palais Ajuda, à Lisbonne.
La taille de la plus grosse pierre
issue du Victoria débuta le 9 avril 1887 sous le regard attentif de la
Reine de Hollande. L’opération dura un peu moins d’un an,
puisque les processus classiques préliminaires à la taille
d’un diamant furent ignorés. La pierre fut polie grâce
à un disque de polissage. Il fallut beaucoup de temps pour laisser la
pierre refroidir, puisque cette dernière chauffait après
à peine une heure de taille. L’homme chargé de la taille
du Victoria était Mr. M.B. Barends.
Le diamant fut taillé sous forme
rectangulaire et dispose d’un total de 58 facettes. Il mesure 39,5mm de
long, 29,25mm de large, et 22,5mm de profondeur. Dans son article, Mr. Kunz note que la forme du Victoria n’est pas
parfaitement symétrique et que l’un des rondistes
est en réalité assez plat et n’est pas poli, une
caractéristique nécessaire au maintien du poids très
important de la pierre, qui est de 184,5 anciens carats.
Le sixième Nizam
d’Hyderabad, Mahbub Ali Khan, acheta le
Victoria, qui était dit porter bonheur - une croyance qui le poussa
plus tard à refuser une offre de l’Aga Khan. Cet achat
représente le début d’un second grand mystère
quant à l’histoire du diamant.
Lorsque les Britanniques se
retirèrent d’Inde en 1947, le subcontinent Indien fut
séparé en deux nations : l’Inde et le Pakistan. Le Nizam d’Hyberabad, fils
de l’acheteur du Victoria, décida de demeurer indépendant
et refusa de joindre l’un ou l’autre de ces pays. Après de
longues négociations et l’emploi de la force par l’Inde, Hyberabad accepta d’être annexé
à l’Union Indienne en janvier 1950. Plus tard, Hyberabad fut divisé en trois Etats. Le Nizam, le général Mir Osman Ali Khan Bahadur, qui a supporté la cause des Alliés
durant la seconde guerre mondiale, se retira à Bombay
(aujourd’hui Mumbai) pour vivre la fin de ses
jours grâce à une pension versée par le gouvernement
Indien. Il est dit que le Nizam était si
frugal que ses dépenses personnelles s’élevèrent
à seulement 37,5 centimes par jour.
Le Nizam
plaça sa collection de bijoux – qui valaient à
l’époque entre 13 et 15 millions de livres – auprès
d’un fond, et en deux groupes distincts : le premier était
composé de 40 pièces que le mandataire était
autorisé à vendre, et le deuxième était
composé d’un plus grand nombre d’objet qui ne pouvaient
être vendus à moins que le Nizam
n’en fasse la demande ou qu’une calamité ne s’abatte
sur sa famille. Nulle part n’est-il fait
mention du Victoria. Notons en revanche la présence d’un diamant
portant le nom de Jacob sous la deuxième catégorie.
A plusieurs reprises, le Nizam souffra de grandes
difficultés financières puisqu’il devait satisfaire aux
besoins de sa famille et de ses dépendants, qui représentaient
alors plus d’un millier de personnes. En avril 1951, le Jacob fut mis
en vente ainsi que d’autres bijoux lui appartenant. Le ministre
d’Etat Indien annonça au Parlement que la somme obtenue de cette
vente serait investie en obligations souveraines et utilisée de
manière à satisfaire les intérêts d’Hyberabad. A l’époque, le gouvernement
Indien commençait à restreindre les exportations de diamants,
et beaucoup pensent que le Jacob fut enregistré comme étant un
‘trésor national’. Une fois encore, il n’est nulle
part fait mention du Victoria.
Cinq ans plus tard, le Jacob, alors
entre les mains de la banque centrale Indienne, fut mis en vente. Un
revendeur Américain le décrivit comme étant
‘blanc, et non bleu’, et comme ‘le plus brillant des
diamants qu’il ait jamais vus’.
Après la mort du Nizam en 1967, ses bijoux firent encore une fois la une
des journaux. Leurs mandataires désiraient en vendre une partie pour
venir en aide à sa famille, alors en difficulté
financière. De nombreux millionnaires se rendirent en Inde pour
assister à la vente, et des conditions furent établies pour les
acheteurs : toute personne désirant examiner un bijou mis en
vente était obligé de payer une commission non-remboursable de
100 livres, et personne n’était autorisé à
participer aux enchères sans déposer préalablement la
somme de 2000 livres qui serait remboursable seulement après que
toutes les transactions aient été complétées. Peu
importe le prix de vente de chaque bijou, un dixième de cette somme
devait être payée immédiatement, et le reste sous dix
jours.
La mise aux enchères fut
suspendue en raison d’un tollé de l’opinion publique. De
nombreux Indiens pensaient que, tout comme pour les joyaux de la Couronne
Britannique et la collection de bijoux exposée à la Smithsonian Institution à Washington, les bijoux
qui avaient appartenu au Nizam d’Hyberabad devaient être considérés
comme appartenant à l’héritage national et donc
être conservés en Inde.
La vente aux enchères fut
abandonnée jusqu’en 1993, date à laquelle le gouvernement
Indien décida d’acheter la collection. Les deux partis
tombèrent finalement d’accord sur un prix et la cour
Suprême demanda à ce que le paiement soit versé en une
fois, malgré les demandes du gouvernement Indien à
régler son dû en six versements.
Le gouvernement n’eut
d’autre choix que d’accepter cette directive, sans quoi les
mandataires auraient pu ouvrir la vente à des acheteurs
étrangers.
La cours Suprême fixa une date de
paiement mais le gouvernement fit appel pour obtenir plus de délais.
La chambre basse du Parlement autorisa à ce que soient levés
les fonds nécessaires à la finalisation de cet achat, mais ce
ne fut pas le cas de la chambre haute. L’impasse fut finalement
résolue par la découverte d’une lacune dans les
règles de fonctionnement du Parlement qui autorisaient une somme de
monnaie à être offerte au département gouvernemental
approprié. Tout ce qu’il restait donc à faire
était de s’occuper des détails quant à
l’accord. Le gouvernement fut forcé de payer son dû avant
le 16 janvier 1995, sans quoi la vente aurait été
annulée.
Le 12 janvier, le gouvernement Indien
paya approximativement 70 millions de dollars pour l’obtention des
bijoux du Nizam – un total de 137
pièces. Les mandataires ne considéraient pas cette somme comme
le meilleur prix qu’ils auraient pu obtenir de cette vente, puisque les
bijoux avaient auparavant été évalués à
une somme bien plus importante par des commissaires-priseurs internationaux.
Il ne fut lors de cette vente pas fait
mention d’un diamant du nom de Victoria, Imperial ou Great White. En
revanche, on parlait toujours du Jacob, dont le poids varie dans les rapports
entre 100, 150, et, plus important encore, 184,5 anciens carats. Ce dernier
chiffre équivaut bien entendu au poids du Victoria. Est-il possible
qu’un diamant au nom si mondain soit en fait le même qu’un
autre diamant au titre si important ? La réponse à cette
question nous est apportée par John Lord dans son livre The Maharajahs, publié en 1972
et dans lequel il relate l’histoire étrange d’A.M. Jacob.
Alexander Jacob était un Juif Américain arrivé à
Simla en 1871, où il devint un commerçant de pierres précieuses.
Lord écrit ceci :
‘Jacob était très
célèbre, depuis Simla jusqu’aux bains à la mode de
Homburg, pour ses pouvoirs magiques. Selon les plus naïfs, il avait le
pouvoir de marcher sur l’eau. Selon les autres, il était capable
de magnétisme et de télépathie. Les Britanniques comme
les Indiens pensaient qu’il pratiquait la magie blanche, et beaucoup
disaient qu’il était un Juif Arménien, un agent Russe ou
encore un agent Britannique. Il est évident qu’il était
le plus important commerçant de diamants et d’objets antiques en
Inde, et très peu savaient qu’il avait réellement
été employé par les services secrets Indiens. Son petit
magasin était un panthéon de richesses, brillant de dorures et
empli de senteurs d’encens. A l’intérieur, Jacob était
assis, l’air pâle, et remplissait son journal de secrets’.
Il n’est pas surprenant que Jacob
ait inspiré au moins trois caractères de fiction, dont le plus
célèbre est Lurgan, l’un des
protagonistes du conte Kim écrit
par Rudyard Kipling. Ce conte fut publié en
1901, dix ans après les poursuites judiciaires qui mirent fin à
l’empire de Jacob. John Lord décrit l’affaire comme
suit :
‘Jacob avait accepté de
vendre au Nizam un diamant célèbre
conservé en Angleterre et portant le nom d’Imperial (et plus
tard de Jacob) pour la somme de 300.000 livres, dont la moitié devait
être payée à l’avance. Jacob déposa le
diamant en personne avec seulement le valet du Nizam
pour témoin. Lorsqu’il partit, le Nizam
lui devait encore la moitié du prix d’achat. Ce que Jacob ne
savait pas, c’est que quelqu’un eut vent de cette transaction, et
que cet homme fit tout ce qu’il put pour empêcher le Nizam de sombrer dans la banqueroute en se procurant une
babiole supplémentaire. Le Nizam
décida qu’il ne payerait pas la deuxième moitié de
la somme qu’il devait à Jacob, et décida de ne pas lui
rendre son diamant non plus. Il le dissimula dans un morceau de tissu
taché d’encre qu’il plaça dans un tiroir. Jacob
tenta de se défendre en faisant appel à la cour de Calcutta, et
bien qu’il gagna le procès, il avait
alors déjà perdu toute sa fortune, et ses frais de justice
étaient très élevés. Plus aucun prince Indien ne
fit affaire avec lui, et il mourut à Bombay sans rien, pas même
sa magie’.
Sotheby’s évalua la
collection de bijoux à 162 millions de dollars, et Christie’s
à 135 millions de dollars. Après l’achat des bijoux par
le gouvernement Indien en 1995, ils furent exposés à plusieurs
reprises, bien que l’exposition la plus connue fût celle du 30
août 2001. Les bijoux furent exposés à Hyberabad, en Inde, aux côtés du diamant
Victoria, qui est considéré comme en étant la
pièce centrale. L’exposition s’acheva le 30 octobre 2001
avant de rouvrir en février 2002 et de devenir une exposition
permanente.
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