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Le
récent élargissement de la taxe sur les semences de ferme
(celles que l’agriculteur tire de sa récolte) pose des questions
complexes relatives à la liberté contractuelle, à la
propriété intellectuelle des semenciers… S’agissant
des arbres fruitiers, les agriculteurs n’ont même pas le droit
d’en replanter les pépins… En Allemagne, les länder
interdisent aux particuliers, dans leurs jardins, de planter un arbre
fruitier après avoir abattu un arbre simple. Nos villes et villages
sont dépourvus de fruitiers. Comme si notre civilisation, pourtant
très demandeuse de pommes, était fâchée avec ses
pommiers…
Ceux qui ont
la chance d’en posséder savent pourtant que ces arbres donnent
beaucoup, au prix d’un entretien minime : la joie de la
récolte, une meilleure connaissance de la nature, des confections qui,
à défaut d’être vitales en ces temps
d’abondance, restent appréciées de tous (tartes,
compotes…) et concourent à la sécurité alimentaire
(confitures, conserves, fruits séchés…).
Nos lointains
aïeux en étaient conscients, et associaient les pommes et
l’or, symbole de valeur par excellence. Petit retour trois mille ans en
arrière :
Dans la
mythologie, les précieuses pommes d’or des
Hespérides sont gardées par le dragon d’Héra, la
déesse reine de l’Olympe. L’histoire du jardin des
Hespérides puise sans doute aux mêmes sources archaïques
que la Bible : dans le jardin d’Eden, l’arbre de la
connaissance, arbre fruitier, abrite aussi un dangereux serpent.
Dans les deux
récits, les fruits sont liés à la fécondité :
Héra, divinité tutélaire du mariage, a reçu ces
pommes d’or de son aïeule Gaïa, la Terre nourricière.
Quant à Ève, ayant consommé le fruit défendu,
elle devra enfanter… Plus inattendu, l’idée de travail est
au cœur des deux mythes : Adam est condamné à travailler
la terre à la sueur de son front… tandis
qu’Héraclès, pour accéder aux pommes d’or,
doit réaliser le plus herculéen de tous ses travaux, prendre la
place du géant Atlas pour porter la Terre sur ses
épaules…
Dans la
Genèse, le Créateur a insufflé sa puissance
féconde au cœur-même du monde : puissance double qui
réside dans la matière elle-même (la Nature) mais aussi
dans l’esprit humain, capable de discerner le bien du mal,
l’utile de l’inutile, le beau du laid... Fertilité du
vivant et travail humain doivent se conjuguer, le second
révélant la première. L’intelligence humaine doit
être au service de la vie, non d’elle-même ou de choses
stériles.
Les
« pommes d’Adam » ont une valeur en soi puisque,
pleines de vie, elles se multiplieront. En ce sens ce sont aussi des
fruits d’or. L’homme édénique, libre de tout
tracas mais privé de toute liberté, ne dépend que de
Yahvé. Mais sa rencontre avec l’arbre change tout : il
comprend que l’arbre est fécond, productif, et qu’il
pourra en tirer profit. De même l’homme préhistorique
eut-il, un jour, l’intuition que certaines choses possédaient
une valeur intrinsèque : le pommier est supérieur
au chardon, le chat est supérieur au rat, l’or est
supérieur aux cailloux…
Ces
récits archaïques établissent un lien profond entre la
fertilité de la nature et le métal précieux,
étalon de valeur. Le texte hébraïque dit
littéralement : « l’arbre de la connaissance du bon (tov) et du mauvais (ra) ». De
façon révélatrice, cette mention est
immédiatement suivie de celle du pays de Havilah,
proche d’Eden et abondant en or : « Et l’or de
cette terre est bon (tov) ».
Disposer d’une échelle objective de valeur permet de comprendre
le monde, de maîtriser la nature. Les anciens voyaient dans les fruits,
et dans l’or, de tels supports de valeur objective. Leurs monnaies se
limitaient souvent à l’or, à l’argent, à la
farine et aux semences.
Aujourd’hui,
de même que les pommiers ont déserté nos villes, l’on
nous interdit d’utiliser l’or dans nos échanges.
L’Etat crée du papier-monnaie sans référence
à une quelconque valeur objective. Or c’est uniquement sur le
fondement stable de l’or que les hommes peuvent échanger, et
faire fructifier, sans devoir en référer à Yahvé
ou à tout autre démiurge. C’est donc à la fois la
condition de leur liberté et celle de leur prospérité.
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