La vente de 1’550 tonnes d’or par la Banque nationale suisse au
moment où le cours du précieux métal était au plus bas a suscité bien des
interrogations. Pourtant, des informations de base ont pu échapper à
l’attention du public. Comme, par exemple, le fait que cette décision
aberrante avait été prise par les milieux politiques suisses. La Banque
nationale suisse (BNS) n’avait fait que prendre sur elle la responsabilité
d’une politique voulue par le ministre des Finances Kaspar Villiger et
approuvée par le Parlement…
Le 1er mai de l’an 2000, la Banque nationale suisse démarrait
la vente de quelque 1’300 tonnes d’or à des prix historiquement bas. Le
jour suivant le début de cette grande braderie, la BNS expliquera que tout
ceci se déroulait dans le cadre d’un « accord sur l’or » conclu
avec « 15 banques centrales européennes ».
Sans plus de précisions quant à la finalité de cette démarche pour le
moins radicale !
Bizarrement, l’accord en question, le Central Bank Gold Agreement
(ou « Accord de Washington », car signé au FMI), avait pour but
déclaré de limiter les ventes d’or des pays signataires… Il
ne forçait donc aucunement la Banque nationale à vendre quoi que ce
soit !
Le contexte était le suivant : le largage soudain par la Banque
d’Angleterre, de la moitié de ses réserves d’or venait de faire plonger le
prix du précieux métal à son plus bas niveau depuis vingt ans.
Et pourtant, c’est précisément à ce moment-là que la BNS, présidée par
Jean-Pierre Roth, décidera de se séparer de la moitié des stocks d’or
accumulés par le pays au cours des décennies précédentes !
Mais d’où pouvait donc bien venir une idée aussi saugrenue ?
Ce sont les politiciens qui ont décidé de vendre l’or de la Suisse !
Lors du référendum du 18 avril 1999 sur la nouvelle Constitution fédérale,
bien peu de votants avaient la question de l’étalon-or à l’esprit.
Mais les milieux politiques voyaient les choses beaucoup plus clairement…
Un mois plus tard à peine, le 26 mai 1999, le conseiller fédéral Kaspar
Villiger allait en effet présenter un projet
de refonte de la Loi sur l’unité monétaire, qu’il accompagnait
des explications suivantes :
Avec la nouvelle Constitution, vous avez supprimé la parité-or – et il
était temps – et maintenant cette loi permet concrètement à la BNS de vendre
de l’or.
Et de préciser qu’avait été conclu « avec la Banque centrale
européenne et quasiment toutes les banques centrales de l’UE» un accord
qui prévoyait « la vente par la BNS de quelque 1’300 tonnes d’or »…
Kaspar Villiger ouvre un sommet du G10 à Prague en l’an 2000 (Image :
Wikimedia Commons)
Malgré cette déclaration fracassante, les débats parlementaires tourneront
principalement autour de questions touchant à… l’émission de médailles
commémoratives !
Sur la question de la vente de l’or, en revanche, Kaspar Villiger n’aura
aucune difficulté à s’assurer du soutien du Parlement.
Adoptée par le 22 décembre 1999 (juste avant les fêtes de Noël !), la
nouvelle Loi sur l’unité monétaire entrera en vigueur le 1er
mai 2000. Comme on le sait, les programmes de ventes d’or de la BNS
débuteront le jour-même.
Une BNS indépendante… mais obéissante !
La Banque nationale avait ainsi scrupuleusement exécuté la volonté des
autorités fédérales, alors même que la nouvelle Constitution venait de la
rendre indépendante vis-à-vis du pouvoir politique…
La BNS elle-même allait justifier sa décision, une fois l’opération
terminée, par le fait « qu’auparavant, la position relative de la Suisse
en matière de détention d’or était extrême au sein des pays du G10 ».
Nous voyons que contrairement à ce que M Villiger a bien voulu
dire, l’Allemagne et les Etats-Unis ont maintenu leur stock d’or inchangé.
LHK
A en croire un certain Philipp Hildebrand, futur président de la BNS,
l’institution était également gênée par un
« capital excédentaire qui n’était plus nécessaire à la conduite de la
politique monétaire ».
Aucun lien avec le monde politique, donc. La BNS se considérait tout
simplement elle-même comme trop riche !
Ah oui, sauf que le même Philipp Hildebrand situe la décision
de la BNS de vendre la moitié de ses stocks d’or en juin 1999. Soit un bon
mois après la fameuse déclaration de Kaspar Villiger au Parlement !
La Banque nationale n’a sans doute pas fini d’assumer les décisions de
certains dirigeants politiques, décidément assez prompts à se cacher derrière
leur petit doigt…
Par Vincent Held, Master en Finance (HEC
Lausanne) et auteur du Crépuscule
de la Banque
nationale suisse, publié aux Éditions Xenia.
VENTE DE L’OR SUISSE: CHIFFRAGE D’UN ÉNORME GÂCHIS
D’après un
rapport du Conseil fédéral sur les « circonstances des ventes d’or de la
BNS », les 1’300 tonnes ont été vendues entre 2000 et 2005 à
un prix moyen de 15’604 francs le kilo.
En juin 2007, la BNS annonce que 250 tonnes supplémentaires seraient
vendues à des fins de « renforcement des réserves de devises » de
la BNS.
Selon des « informations fournies oralement à l’Administration
fédérale des finances par la BNS », le prix moyen de cette seconde
tranche s’était établi « à pratiquement 27’000
francs par kilo » au moment de la publication du
rapport.
A titre de comparaison, à la fin 2017, les 1’040 tonnes d’or rescapées de
ce bradage en règle étaient valorisées à quelque 42,5 milliards de francs
dans le bilan de la BNS, soit quelque 40’850 francs par
kilo.
Ajouts LHK:
- Se souvenir de la phrase culte de M Villiger «Je
ne peux malheureusement pas vous dire où les lingots d’or sont stockés,
parce que je ne le sais moi-même pas, que je ne dois pas le savoir et ne
veux pas le savoir». (2003)
- Se souvenir aussi que le parcours de M Villiger s’est
poursuivi à la présidence de UBS. Pour un salaire de…?
« Le
président du conseil d’administration d’UBS, Kaspar Villiger, a dévoilé un
rapport de septante pages sur les pertes colossales subies lors de la crise
des subprimes
L’UBS a fait ce jeudi matin son mea culpa. La banque
admet avoir commis des erreurs stratégiques concernant sa banque d’affaires.
Les énormes bonus qu’elle accordait encourageaient également la prise de
risques.«
·
«  target="_blank";Évolution
des positions-or de la BNS de 1997 à 2013 – Partie I. J-J Antonietti »
|