Concernant le massacre
qui a récemment fait neuf morts sur le campus de l’université de Roseburg,
dans l’Oregon, le Président Obama a déclaré qu’il était temps « de nous
unir pour empêcher ce genre de catastrophe de se reproduire à nouveau ».
C’est un sentiment que nous partageons tous, et après tout, il est du devoir
du Président d’en dire quelques mots. Mais au vu de ce qu’est devenue la vie
dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, nous ne pourrons pas empêcher de tels
scénarios de se présenter encore et encore.
A quoi ressemble la vie
américaine d’aujourd’hui ? Une nation arrangée physiquement de manière à
développer la solitude, arrangée économiquement pour propager un sentiment d’anxiété,
et disposée socialement pour produire une aliénation maximale. Tous les
aspects du rêve américain autrefois tant vanté nous poussent vers la
dépression, la rage, la violence et la mort.
Mais venons-en au sujet
des armes. Je suis d’avis qu’il devrait être plus difficile de se procurer
une arme à feu. Je pense également que certaines armes de guerre, comme les
fusils d’assaut, ne devraient pas être disponibles sur le marché civil. Mais
je pense aussi que l’évolution de notre gouvernement, la collusion d’une
oligarchie corporatiste corrompue et d’un appareil policier et de
surveillance surdéveloppé, représente un tel danger pour la liberté et la
décence humaine que le public doit avoir le droit de pouvoir s’armer pour se
défendre en cas de besoin. Le gouvernement a besoin de craindre le peuple
avec lequel il joue.
Les lois sur le port d’armes
vont de ridiculement laxistes dans certains Etats à très lourdes dans d’autres.
Et pourtant, c’est dans le Connecticut, où elles sont les plus sévères (avec
une note A décernée par l’organisation Brady Campaign), qu’a eu lieu le
massacre le plus horrifiant survenu jusqu’à présent : la fusillade de
2012 à l’école Sandy Hook. A New York City, la loi sur le port d’armes est la
plus sévère du pays – la possession d’armes à feu étant limitée aux officiers
de police et à certaines catégories très restreintes de la population. Il a
fallu mettre en place une politique de fouille au corps pour faire tomber des
armes d’entre les mains des gangs de rue. Et depuis que le maire, Bill de Blasio,
a qualifié cette mesure de « raciste », les meurtres par balle sont
de nouveau en hausse dans cette catégorie démographique.
Ce qui nous mène à la
conclusion qu’il existe déjà un tel arsenal d’armes à feu disponible dans le
pays que toute tentative de réguler le port d’armes ne pourra être qu’un
exercice futile – qui ne fera que stimuler le trafic des armes existantes sur
le marché noir.
Ce qui m’inquiète plus
encore que le port d’armes, c’est la violence extraordinaire et
pornographique des jeunes hommes que leur échec, leur solitude, leur
souffrance et leur colère ont rendu fous. Il existe de moins en moins de
paramètres susceptibles de représenter l’expression normale de la masculinité
aux Etats-Unis – comme par exemple se sentir fier de bien faire quelque chose
ou devenir un bon candidat potentiel au mariage. Les classes sociales les
plus pauvres n’ont quasiment aucun domaine vocationnel sur lequel se
comporter en hommes, exception faite de l’armée, qui les entraîne à devenir
des meurtriers.
Une grande partie de ce
qui était autrefois la classe ouvrière est aujourd’hui devenue une classe
inactive qui ne peut que rêver de ce que signifie être un homme, et qui se
trouve bombardée des rêves médiatiques préemballés et sordides que sont les
jeux vidéo basés sur l’homicide, les fantaisies de puissance narcissiques des
films, les sports professionnels et les tentations frustrantes de la
pornographie gratuite. La dernière chose qu’ils sont capables de faire est
fonder une famille. La situation ne peut fonctionner que s’il existe des
modèles standards d’autorité masculine, notamment des pères et des patrons,
afin de réguler les pulsions des jeunes hommes et leur apprendre à les
réguler par eux-mêmes.
L’organisation physique
du mode de vie à l’américaine composée d’une étendue suburbaine en échec –
quoi de mieux pour faire disparaître l’esprit communautaire ? – fait disparaître
la seconde couche de socialisation après la famille. Voilà à quoi ressemble
la vie dans la jungle de centres commerciaux dans laquelle vivent une
majorité de nos concitoyens. Imaginez faire flotter votre drapeau au-dessus d’une
société sans familles ni communautés dignes de ce nom.
Mais le Président Obama
et les autres figures d’autorité n’en parleront pas. Ils ne disposent pas du
vocabulaire nécessaire. Ils n’en comprennent pas le fonctionnement et ne
savent pas ce qui se passe dans leur propre nation. Beaucoup des facteurs
responsables de nos problèmes représentent ce qu’il reste de notre économie
en déclin : malbouffe, files de voitures interminables, télévision… Et
nous ne faisons rien. Les massacres et les fusillades se poursuivront tout au
long du processus d’effondrement économique dans lequel nous sommes entrés.
Et quand nous atteindront notre destination, qu’une société plus médiévale ou
féodale se sera formée, il sera une fois de plus possible pour nos garçons de
devenir des hommes plutôt que des monstres.