Pourquoi les assouplissements quantitatifs, qui ont engendré la
création de trillions de dollars de monnaie fraîche, n’ont pas débouché sur
une augmentation massive du cours de l’or ? Voici la réponse de cet article
de JP Koning, publié le 6 mars 2018 sur BullionStar.com :
La théorie quantitative de la monnaie
Le raisonnement intuitif portant à croire que l’augmentation de la masse
monétaire doit déboucher sur une augmentation des prix, notamment celui de
l’or, découle d’une très vieille théorie monétaire, à savoir la théorie
quantitative de la monnaie, qui remonte au moins au philosophe David Hume.
Hume demandait à ses lecteurs de s’imaginer ce qu’il se produirait si « tout
le monde en Grande-Bretagne se retrouvait le lendemain avec 5 £
supplémentaires dans sa poche ». Selon Hume, cette
augmentation soudaine de la masse monétaire « ne ferait qu’augmenter
le prix de tout, sans avoir d’autres conséquences ».
Une autre façon d’évoquer la théorie quantitative de la monnaie est la
fameuse équation des échanges, soit :
Masse monétaire x vélocité de la monnaie sur une période
déterminée = prix x biens et services produits sur cette période déterminée
Un adepte lambda de la théorie quantitative de la monnaie part souvent du principe
que la fréquence à laquelle un billet ou un dépôt change de main est assez
stable. Donc lorsque la masse monétaire augmente, un effet de la patate
chaude s’ensuit. Désireux de se débarrasser de cet excès d’argent, les gens
se précipitent sur les magasins pour acheter des biens ou des services qu’ils
ne pouvaient pas se permettre d’acheter auparavant, ce qui crée une pénurie.
Les commerçants transmettent cette patate chaude aux grossistes afin de
remplir leurs stocks. Mais tandis que le temps passe, les marchands
s’adaptent en augmentant leurs prix, ce qui génère de l’inflation.
En août 2008, alors que l’on attendait encore le pire de la crise du
crédit, la FED disposait de 847 milliards de masse monétaire. À savoir de
billets en circulation et de dépôts. Ensuite, 3 rounds successifs de QE ont
eu lieu. 6 années plus tard, la masse monétaire avait grimpé jusqu’à 4,1
trillions de dollars (voir graphique ci-dessous). Les assouplissements
quantitatifs effectués en Europe, au Japon et au Royaume-Uni ont débouché sur
une augmentation similaire de la masse monétaire locale, voire supérieure.
D’où la question du début : si la masse monétaire a augmenté de façon si
spectaculaire, pourquoi les prix n’ont pas suivi ? Ceux qui ont un peu
de mémoire se souviennent que si l’or est passé de 1000 à 2000 $ durant les 2
premiers rounds de QE de la FED, il est retourné à la case départ durant le
QE3. Ce n’est pas vraiment la performance que l’on est en droit d’attendre
d’un actif censé être une assurance contre les excès monétaires.
Comment les politiques monétaires classiques fonctionnent
Je pense que même si les banques centrales ont créé d’énormes quantités de
monnaie, la majorité de cette masse monétaire ne disposait pas du punch
nécessaire pour peser sur la gauche de l’équation. C’est pourquoi il n’y a
pas eu d’effet sur les prix. Pour dire les choses autrement, les QE ont
souffert d’impuissance monétaire.
La majorité de la hausse de la masse monétaire durant les QE a été
provoquée par une augmentation des dépôts auprès de la banque centrale, dans
le cas américain à la FED. (…)
Les politiques monétaires classiques gèrent les dépôts à la banque
centrale afin d’atteindre l’objectif d’inflation. Lorsqu’une banque centrale
veut adopter une politique accommodante, soit augmenter l’inflation, elle se
met à acheter des actifs sur les marchés. L’achat des obligations au secteur
financier permet de créer de nouveaux dépôts auprès des banques. Ces nouveaux
dépôts créent un déséquilibre dans le système bancaire, qui dispose désormais
de davantage de liquidités.
Pour restaurer l’équilibre, un effet de la patate chaude est initié. Une
banque qui dispose de trop de liquidités va tenter de s’en débarrasser, par
exemple en achetant des obligations, des actions ou de l’or. Mais cette monnaie
en surplus ne peut être transmise qu’à d’autres institutions financières, qui
disposent elles aussi d’excès de liquidités. Pour pouvoir convaincre les
autres banques d’accepter ces liquidités, elle doit offrir quelque chose en
contrepartie, à savoir payer un prix supérieur, que ce soit pour une
obligation, des actions ou de l’or. Ces acheteurs chercheront à leur tour une
entité financière désireuse d’absorber les excès de liquidités. L’effet de la
patate chaude ne s’arrête que lorsque les dépôts ont perdu suffisamment de
pouvoir d’achat, autrement dit lorsque les prix ont grimpé
suffisamment si bien que le système bancaire est désormais
satisfait avec les niveaux de dépôts injectés par la banque centrale dans le
système.
Je viens de décrire ici les politiques monétaires classiques. Dans un tel
scénario, les achats d’actifs sur les marchés restent efficaces. Mais que se
passe-t-il en cas d’impuissance ?
L’impuissance monétaire : la mort de l’effet de la patate chaude
Une banque centrale peut générer de l’inflation en achetant des actifs sur
les marchés, mais arrivé à un certain niveau il n’y aura pas d’effet sur les
prix. Lorsqu’une certaine quantité de monnaie a été créée, le marché
n’accordera aucune valeur aux services monétaires qui peuvent être rendus par
cette monnaie additionnelle. (…) Les opérations d’achats d’actifs ne sont
désormais plus qu’un changement de main des obligations.
Lorsque cela arrive, les achats sur les marchés deviennent incapables de
pousser le secteur bancaire vers une situation de déséquilibre. Après tout,
l’argent est devenu tellement abondant qu’il n’a plus de valeur. (…) Vu que
la création monétaire n’a plus d’impact sur le comportement des banques,
l’effet de la patate chaude ne peut se produire. Les QE n’ont alors plus d’impact
sur les prix, notamment de l’or.
Cette impuissance monétaire semble avoir frappé les QE de la FED. Même si,
au début, il y a indubitablement eu des effets, l’argent est vite devenu une
denrée trop abondante. Arrivé à ce point, le système bancaire a accueilli la
création monétaire en bâillant, elle n’a plus cherché à transmettre le plus
vite possible ces nouvelles liquidités, comme une patate chaude.
C’est pourquoi l’or n’a pas atteint les 20.000 $ l’once suite aux QE. L’or
se comporte bien lorsque les gens estiment avoir trop de liquide dans leur
portefeuille, sur leur compte en banque. Mais les QE n’ont pas permis
d’atteindre une telle situation.