Fermer X Les cookies sont necessaires au bon fonctionnement de 24hGold.com. En poursuivant votre navigation sur notre site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir plus sur les cookies...
AnglaisFrancais
Cours Or & Argent en

L’ombre portée de Fukushima s’étend

IMG Auteur
 
Publié le 20 mai 2011
1749 mots - Temps de lecture : 4 - 6 minutes
( 4 votes, 3,3/5 ) , 2 commentaires
Imprimer l'article
  Article Commentaires Commenter Notation Tous les Articles  
0
envoyer
2
commenter
Notre Newsletter...
Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Tenir un journal de bord de Fukushima Daiichi reposait sur un pari. En dépit des zones d’ombres volontaires ou non qui existeraient, le simple déroulé de ce qui était reconnu allait donner la mesure de l’ampleur de cette catastrophe d’un troisième type. Il mettrait en évidence la précarité de la situation et les très grandes difficultés de l’opérateur à reprendre la main, si toutefois il y parvenait. Il recèlerait, grâce à ce qu’il allait relater, une mise en cause des risques démesurés que l’électro-nucléaire faisait prendre quand l’imprévu et l’incontrôlable survenaient.


Il mettrait également en évidence, dans ses détails significatifs, les aléas d’une situation imprévisible dans son déroulement et les difficultés extrêmes rencontrées pour y faire face. La dangerosité spécifique d’une centrale nucléaire ne pouvant être banalisée en la réduisant à un simple incident industriel.


Des hypothèses pouvaient être parallèlement énoncées, se distinguant des propos alarmistes dont Internet est coutumier d’en véhiculer. Faire ce tri est un apprentissage collectif.


Sortir de cet exercice quotidien est nécessaire. Un relais serait souhaitable, pris par les Japonais et ceux qui sont sur place, afin de rendre compte du drame humain que cette catastrophe représente pour des dizaines de milliers de Japonais déplacés de leur lieu de vie et de travail – souvent de naissance – sans espoir de retour garanti ou alors lointain. Cette histoire-là faite de vies brisées reste à écrire et à montrer, dont on ne connait encore que des fragments. Elle est en soi une terrible condamnation de l’électro-nucléaire.


Sur la catastrophe elle-même, considérée sous l’angle restreint de ce qui se passe à la centrale, le journal déborde désormais de son objet initial et ne se contente plus de relater les épisodes d’un sauvetage toujours incertain et plein d’obstacles, ainsi que d’identifier autant que possible les dangers toujours présents. De premiers retours en arrière sont en effet possibles pour l’éclairer, de premières révélations sont disponibles.


Celles-ci montrent que l’on est passé au plus près d’une terrible catastrophe associant fusion du combustible, constitution de corium et percement des cuves des réacteurs, à l’explosion d’un ou de plusieurs réacteurs en raison de surpressions internes aux cuves contenant le coeur des réacteurs. L’enquête ne fait que commencer et il faut espérer qu’elle sera menée en toute clarté, ce qui n’est évidemment pas du tout garanti.


Il est aussi possible d’élargir le champ de vision et de ne pas considérer le seul site de la centrale, mais de tenter d’appréhender sous tous ses angles les conséquences de la catastrophe.


La consolidation financière de l’opérateur de la centrale, Tepco, a été élaborée dans l’urgence, car son écroulement aurait de lourdes conséquences tant en ce qui concerne la maitrise de la situation à la centrale – pourtant très relative – que l’approvisionnement en électricité de toute la région centrale du pays et de Tokyo, qu’en terme de déstabilisation du système financier japonais et de d’atteinte aux fonds de pension détenteurs d’obligations émises par l’entreprise. Autre chose est bien entendu le jugement que l’on peut porter sur le plan gouvernemental de soutien de Tepco, qui n’a pas encore été adopté et comporte de nombreuses zones d’ombre.


S’agissant de la contamination de l’air, des sols et sous-sols, de la mer et de toute la chaîne alimentaire, d’inquiétantes découvertes sont à craindre. Les mesure effectuées risquant de se révéler très partielles ou sous-estimées, le gouvernement ayant adopté comme priorité de rassurer les Japonais, quitte à les exposer plus qu’ils ne devraient l’être. D’ores et déjà les mesures effectuées sont mises en cause par des scientifiques japonais, en raison de la hauteur à laquelle elles ont été effectuées par rapport au sol.


Deux dangers existent dans ce domaine vital : que la routine s’installe et que soit admis par résignation ce qui ne devrait pas l’être : que Tepco ne parvienne pas à contenir le plus rapidement possible les fuites d’une centrale qui est une véritable passoire. Le plus visiblement inquiétant concernant la pollution de l’océan, qui n’est pas exclusif de contaminations en taches de léopard au sein de larges zones.


Fukushima est une catastrophe du troisième type, en ce sens que sa phase proprement critique s’inscrit d’ores et déjà dans une durée exprimée en mois si ce n’est en années. Rien n’est encore réglé, beaucoup peut encore survenir.


Les conséquences de la catastrophe au Japon doivent également être examinées sous les deux autres angles politique et économique. En dépit de l’arrivée au gouvernement, après une longue domination de la droite, d’un parti qualifié de centre gauche, la structure du pouvoir n’a pas été mise en cause. En particulier l’étroite symbiose entre l’industrie nucléaire et l’administration de l’Etat. Des assurances vont être données en matière d’indépendance de la surveillance, mais elles s’annoncent largement formelles.


Que va-t-il en être du plan de développement de l’électro-nucléaire japonais, de l’arrêt d’autres centrales situées dans des zones particulièrement à risque, des réacteurs l’ayant été seulement provisoirement ? Le complexe nucléaire japonais n’est pas propre à ce pays et alimente naturellement la réflexion sur la nature oligarchique  du pouvoir dans les pays occidentaux (pour s’en tenir à eux), parmi d’autres manifestations.


Au plan économique, la réflexion ne peut se limiter à une interrogation sur la durée de la récession dans laquelle le Japon était déjà plongé, depuis approfondie par la catastrophe. L’appareil économique a été profondément perturbé, le maintien de son approvisionnement énergétique à l’identique est en cause, la consommation des particuliers a chuté. Les représentants des milieux d’affaires vivent très mal – et le font savoir – toute remise en cause, même symbolique, de l’électro-nucléaire, car ils en craignent les conséquences. Fonder tous les espoirs sur une relance de l’activité grâce à la reconstruction du pays est bien léger : les problèmes d’enlisement dont le Japon ne parvenait pas à sortir vont être en réalité amplifiés. Son rang de deuxième puissance économique perdu au profit de la Chine, une descente est désormais engagée dans un contexte asiatique très concurrentiel.


Au plan financier, le pays dispose des ressources pour faire face aux besoins de cette reconstruction, mais la question est autre : quelle conséquence cela va-t-il avoir sur le financement de la dette américaine, dont les Japonais sont le deuxième détenteur hors Etats-Unis, après les Chinois ? Dans quelle situation de déséquilibre accrue la banque centrale japonaise va-t-elle être conduite, qui ne cesse de faire fonctionner la planche à billets, ainsi que les banques japonaises, qui continuent d’acheter la dette publique, soutenues par celle-ci. Cette pyramide inversée peut-elle continuer de se développer ainsi longtemps ?


Hors du Japon, les conséquences de Fukushima sont moins dramatiques, mais elles n’en sont pas moins appelées à avoir un large retentissement.


Le parc de centrales électro-nucléaires existant est désormais l’objet de nombreuses suspicions, que les partisans de cette filière tentent d’atténuer afin d’éviter des fermetures en série ou la décision de ne pas en allonger la durée d’exploitation. Les Etats-Unis et l’Europe sont aux premières loges. Des tests européens, qui doivent être menés dans l’urgence, calibrés pour répondre aux besoins des gouvernements plus qu’aux nécessités de la sécurité nucléaire, font l’objet de divergences persistantes quant à la nature même des risques qui vont être testés. Les Britanniques n’ont pas attendu qu’ils soient tenus pour formuler toutes affaires cessantes 26 « recommandations » pour améliorer la sécurité des 19 réacteurs en activité, dix autres étant en projet, avec l’intention d’escamoter la question. Un doute profond s’est répandu dans l’opinion publique dont la traduction est difficile à prévoir.


Parallèlement, il est pleinement confirmé que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), une agence de l’ONU, a totalement failli, incapable de jouer un quelconque rôle. Le champ libre est donc laissé aux régulateurs nationaux, suspects de toutes les connivences avec les mondes qu’ils sont censés surveiller, ce qui nous rapproche aussi bien de celui de la finance que des rapports entre les médias et le monde politique, à la lumière d’une autre affaire en cours. C’est décidément la nature du pouvoir qui est mise à nu ces derniers temps.


Une affaire de très gros sous est sous-jacente. Après avoir connu un creux, l’activité de construction de centrales nucléaires voyait venir à elle de prometteurs marchés. Soit dans les pays émergents dont les besoins énergétiques croissent très rapidement, soit au titre du renouvellement d’un parc vieillissant et obsolète dans les pays occidentaux.


L’alternative que représentent les énergies nouvelles connaît un regain de faveur, d’autant que la hausse du pétrole et du gaz – quelles qu’en soient les raisons – réduit le différentiel de coût avec elles. C’est également le cas avec l’électro-nucléaire, dont le coût exact est sous-évalué, ne prenant pas en compte celui de toute la filière, depuis la recherche jusqu’au démantèlement des centrales et au traitement des déchets de longue durée, sans compter le coût de ses catastrophes. Enfin, les exigences de sécurité montent, en dépit du discours rassurant tenu par les industriels à propos des nouvelles générations de centrales munies de dispositifs faisant défaut aux précédentes. Une raison de plus, d’ailleurs, de les arrêter, sans nécessairement les remplacer.


Très réactifs, les lobbies de l’industrie nucléaire, qui avaient commencé à mettre en scène son retour, sont pris à contre-pied et ont reconsidéré sans tarder leur argumentaire et stratégie de communication.


L’actualité a ses exigences – et ses travers – dans le monde contemporain. Capable de rendre compte de ce qui se passe sur la planète presque dans l’instant et de l’oublier tout aussi vite, pour couvrir une autre dominante. De faire appel à l’affectif en négligeant analyse et mise en perspective de l’information. La mémoire n’en est pas effacée pour autant.


Fukushima a déjà disparu des manchettes et des journaux télévisés, mais le chapitre entamé n’est pas clos. La preuve en est que Tchernobyl a marqué plus qu’on n’aurait pu le croire, le souvenir de l’escamotage du danger qui avait été opéré ravivé par ce qui est en train de se passer. La première réaction est désormais de douter de la version officielle. Facette parmi d’autres d’un déficit de crédibilité qui atteint le monde politique dans son ensemble.


Et-il possible d’attendre, comme si elle était inéluctable, la prochaine catastrophe ?


Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

Données et statistiques pour les pays mentionnés : Etats-unis | Tous
Cours de l'or et de l'argent pour les pays mentionnés : Etats-unis | Tous
<< Article précedent
Evaluer : Note moyenne :3,3 (4 votes)
>> Article suivant
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
Publication de commentaires terminée
  Tous Favoris Mieux Notés  
Pourquoi écrivez-vous : "On est passé au plus près d'une terrible catastrophe "? A ce jour, il se confirme au fil du début de transparence des informations de la Tepco et du NISA que le corium est situé "quelque part" entre le fond des cuves des réacteurs et l'affleurement de la nappe maritime, quelques dizaines de mètres sous le site de Fukushima 1. C'est la pire configuration que l'on puisse imaginer, l'accident maximal sur lequel les scientifiques ne peuvent pas agir. Le corium est une lave "active", qui se régénère de l'intérieur, à la différence d'une coulée de lave classique qui se refroidit au fur et à mesure qu'elle s'éloigne de sa source. Il perce tout, inox de cuve, béton et roche par vaporisation à une vitesse incroyable. Il y a actuellement entre 3 et 4 coriums en activité (source Tepco du 20/5) ce qui représente quelques centaines de tonnes de cette cochonnerie humaine à l’œuvre.

Sans faire de catastrophisme et en pesant mes mots, on est entré dans une configuration inédite de possibilité élevée de pollution majeure. Ou de pire catastrophe écologique mondiale si vous voulez.
Je vais vous faire gagner du temps : commencez à tabler sur le scénario ou la moitié (au moins) de l'île principale du japon n'est plus du tout vivable (pour de longs siècles). Où le commerce sera, localement et globalement, toujours soumis aux compteurs geiger. Où la nourriture aquatique ne sera plus utilisable. Où leur voisins (korée, chine,...) ne leur pardonneront pas/peu.
Dernier commentaire publié pour cet article
Pourquoi écrivez-vous : "On est passé au plus près d'une terrible catastrophe "? A ce jour, il se confirme au fil du début de transparence des informations de la Tepco et du NISA que le corium est situé "quelque part" entre le fond des cuves des réacteur  Lire la suite
jean marie J. - 21/05/2011 à 09:38 GMT
Top articles
Flux d'Actualités
TOUS
OR
ARGENT
PGM & DIAMANTS
PÉTROLE & GAZ
AUTRES MÉTAUX