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« A
quoi bon ? » Telle est la réflexion que se fait un
chroniqueur perplexe contemplant son clavier, sa revue de presse
achevée, après avoir constaté combien sa moisson sombre
dans la routine, ne lui donnant d’autre ressource que de se
répéter.
Au terme de
deux jours de réunion lundi et mardi dernier, pour vainement camoufler
leurs désaccords, les ministres des finances européens
déclaraient faute de mieux s’être mis d’accord sur
le montant des aides que le futur fonds pourra mobiliser en 2013 – si
tant est qu’ils parviennent à en définir les
missions ! La mise au point des têtes de chapitre de leur pacte
de compétitivité, condition préalable à des
mesures financières plus immédiates, nécessite en effet
une tournée européenne des popotes par Herman Van Rompuy, le
président de l’Union européenne pour arriver à un
compromis. Rendez-vous est donc pris pour le 11 mars prochain, date à
laquelle il rapportera devant les chefs d’Etats et de gouvernement de
la zone euro. En attendant, comme l’a déclaré Jean-Claude
Juncker, chef de file de l’Eurogroup, « il n’y a
accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur
tout ».
Cette nouvelle
attente fait trépigner d’impatience certains pays qui s’en
trouvent d’autant plus fragilisés, comme le Portugal, toujours
au seuil de la zone des tempêtes. Tandis que tous les regards sont
tournés vers Berlin, où la politique européenne se fait
désormais, ou plutôt ne se fait pas. La renonciation à la
candidature à la présidence de la BCE d’Axel Weber a
porté un coup à une politique qui procède plus de la
cuisine électorale intérieure que d’une vision de
l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe, renforçant
le camp des partisans du refus de participer plus avant à un mécanisme
européen de stabilisation financière : Axel Weber à
la tête de la BCE était une garantie.
Dans la
confusion ambiante, des rencontres européennes des partis de droite
puis des socialistes vont avoir lieu. Le 4 mars à Helsinki pour les
premiers, les 4 et 5 mars à Athènes pour les seconds. A
défaut d’autre chose, ce sera l’occasion d’entendre
des partis socialistes peu diserts sur la crise et les moyens d’y faire
face, sauf quand ils sont au pouvoir et mènent sans états
d’âme la danse.
Sur le front
du marché obligataire, les émissions se succèdent avec
des fortunes diverses, à des taux qui restent très
élevés, mais la situation reste tendue et incertaine.
D’aucuns n’hésitent cependant pas à saluer une
victoire, précisément en raison de l’apparente accalmie
qu’ils espèrent durable. « Pourvu que cela
tienne ! » semble être la prière collective des
dirigeants européens, puisqu’ils ne seraient pas prêts
dans le cas contraire. Les marchés ne sont pas dupes mais
n’ont pas intérêt à précipiter une nouvelle
crise dont ils risqueraient de subir les contrecoups, comme ils y ont
échappé de peu en Irlande. Cela permet aux Espagnols et aux
Portugais de garder pour le moment le nez hors de l’eau, ce qui arrange
tout le monde.
Les
résultats économiques atteints au 4ème
trimestre 2010 sont – comme on dit dans le langage châtié
– préoccupants, la croissance étant
famélique : +0,3 % pour la zone euro dans son ensemble, soit +0,4
% pour l’Allemagne et +0,3 % pour la France, +0,2 % pour
l’Espagne et +0,1 % pour l’Italie, alors que la Grèce
plonge dans la récession à -1,4 % et le Portugal s’y
installe, à -0,3 %. Que l’on considère la zone euro ou
l’Union européenne, la région est globalement dans une
phase récessive, que les gouvernements préfèrent
qualifier de croissance molle ou modérée.
Si l’on
considère le chômage ou le pouvoir d’achat, des situations
extrêmes sont relevées et s’étendent :
l’Espagne a fini l’année 2010 avec un taux de
chômage de 20,33 %. Celui des Britanniques, pour les 16-24 ans, est de
20,5 % : un jeune sur cinq est sans emploi. En Grèce, les revenus ont
chuté de 9 % en 2010 sous l’effet des mesures
d’austérité, alors que l’inflation s’est
envolée de 4,7 %. Le panorama de la crise sociale
s’élargit au fur et à mesure que sont mis en œuvre
les plans d’austérité destinés à
réduire les déficits publics. Sans autre issue que
l’invocation d’un hypothétique et futur rebond, une
fois que la compétitivité et la confiance des
marchés seront revenues.
La situation
de l’industrie bancaire est de son côté
contrastée. Aux impressionnants résultats des uns – les
banques françaises aujourd’hui jeudi – correspond le
sauvetage laborieux des autres. De quoi se demander, s’il en
était besoin, de quoi ils sont faits dans les deux cas et de continuer
à attendre avec impatience des stress tests, dont il n’est plus
actuellement question.
Après
le cas des Cajas espagnoles, c’est au tour des Landesbanken allemandes
d’être sur la sellette, à l’occasion de
l’annonce du plan de restructuration de WestLB, qui préfigure
à long terme la restructuration et la privatisation de
l’ensemble de ces banques pour l’instant sous tutelle des
régions.
On comprend
qu’en dépit des finesses des montages juridiques et financiers,
les impasses financières restent entières sans pour autant
être reconnues, loin s’en faut. Ainsi, on ne voit pas
comment le gouvernement espagnol pourra éviter de recapitaliser son
réseau de caisses d’épargne, au-delà de
l’appel aux capitaux privés en cours, ni comment le gouvernement
allemand pourra esquiver le renflouement du réseau des Landesbanken,
une fois leurs actifs toxiques transférés dans des bad banks
pour les rendre privatisables. Les établissements espagnols ont
financé leur bulle immobilière nationale, les allemands ont
joué au casino à Wall Street : cela va se payer sur fonds
publics.
Une autre
comédie va être rejouée ce week-end, celle du G20
finances, avec aux manettes le gouvernement français si fécond
en stratégies de communication. Les silhouettes ne correspondent pas
à celles des modèles, mais Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde
vont à cette occasion faire un emprunt à Cervantes et charger
les moulins à vent.
A
l’occasion d’une conférence devant l’Institute of
International Finance (le lobby international des mégabanques), la
ministre de l’économie française a eu des phrases qui en
disent long sur sa détermination : « Nous ne disons pas que
la spéculation nourrit la hausse des prix. Peut-être que
ça l’anticipe un peu, peut-être que ça
l’accélère un peu, il y aura un débat à ce
sujet, peut-être que ça n’a aucun effet, c’est aussi
une éventualité ». Les spéculateurs en tremblent
d’avance.
Emmenés
par Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, dix-huit
hauts fonctionnaires des banques centrales, du FMI et de la Banque des
règlements internationaux – aucun n’étant encore en
activité, à l’exception de la vice-présidente de
la banque centrale chinoise – viennent de formuler un ensemble de
propositions destinées à stabiliser et réformer le
système monétaire international, deuxième grand axe de
la présidence française du G20. Dans
l’immédiat, la mesure phare propose d’adopter des
« indicateurs d’alerte » – non
identifiés – des déséquilibres économiques
mondiaux. Résultant des discussions préparatoires en cours, une
liste de ceux-ci pourrait être adoptée lors du G20 finances de
ce week-end : solde des comptes courants, taux de change réels,
réserves de change, déficit et endettement publics,
épargne privée.
Il y a dans ce
document intitulé « L’initiative de
Port-Royal » – du nom des jardins surplombés par les
locaux de la Banque de France où le groupe s’est réuni
– d’intéressants constats sur la situation, qui font
contraste avec la modestie revendiquée des propositions qu’il
énonce. Il y est notamment fait référence à
« l’essor incontrôlé de la liquidité
mondiale » et à l’absence de «
définitions et d’instruments de mesure communément admis
de la liquidité mondiale », ce qui revient à
reconnaître qu’on ne la connaît pas !
Corrélativement, sont aussi évoquées les
vulnérabilités toujours présentes du secteur financier
« liées entre autres au rôle du ‘système
bancaire de l’ombre’ (shadow banking) ».
Mais à
quoi donc cette réflexion et la réunion de ce week-end
vont-elles pouvoir aboutir ? Les indicateurs adoptés ne seront pas
dotés de seuils, car toute proposition de cette nature ouvrirait la
porte à l’adoption de contraintes et ne pourrait donc être
retenue. L’immobilisme va donc prévaloir.
Au bord de
l’abîme, la gouvernance mondiale va faire un pas de plus en
avant. Et la réforme du système international, l’une des
clés de voûte de tout aggiornamento, va continuer à
être repoussée aux calendes grecques, au nom d’une
stratégie des tout petits pas qui serait la seule possible. En raison
du veto absolu des Américains de ne serait-ce qu’envisager la
perte par le dollar de son statut privilégié.
Tout comme
l’Union européenne, le G20 est, quelle que soit sa
configuration, paralysé. Mais le spectacle doit continuer et les
acteurs rester en scène ! Ceux-ci sont en fait réduits au
rang de spectateurs d’une situation sur laquelle ils ont peu de prise, tentant
selon la phrase célèbre de feindre d’en être les
organisateurs, ce mystère les dépassant.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*)
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reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste
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