Par Julie McCarthy
National Public Radio, Washington
Il est indestructible. Il est
fongible. Et pour les Indiens, l’or – qu’il soit de 18, 22 ou 24 carats – est
semi-sacré.
L’économiste indien distingué
I.G. Patel a observé que « dans la prospérité comme dans le besoin, les
pensées des indiens se tournent généralement vers l’or ».
Aucun mariage n’a lieu sans
que des bijoux en or soient présentés à la mariée. Même les filles des
familles les plus pauvres portent au moins un anneau en or à leur nez.
L’Inde ancienne est connue
sous le nom de « sone ki chidiya »,
ou « moineau d’or ». Très opulents étaient les bijoux de ses
souverains, depuis la dynastie Moghole jusqu’aux états princiers.
Pour
les femmes indiennes qui n’ont pas eu accès à l’éducation, l’or représente
une sécurité sociale. Aujourd’hui, pour les hindous comme pour les chrétiens,
bouddhistes ou musulmans, offrir de l’or à une mariée, selon
l’anthropologiste Nikila Mehrotra,
revient à assurer sa bonne fortune.
« Une femme mariée doit
être une femme d’auspices. Elle représente Lakshmi, la déesse de la richesse.
C’est elle qui apporte la progéniture de la famille et la nourrit. Elle prend
soin de sa famille », explique Mehrotra.
« C’est ainsi que les Indiens voient les choses ».
Mehrotra note que dans l’Inde d’aujourd’hui,
les terres sont dérobées aux femmes. Des femmes ont été défigurées par des
attaques à l’acide qui attribuent à leur assaillant une revendication de la
propriété de leur famille. Mais l’or est un actif que les femmes sont
autorisées, aux yeux de tous, à posséder de plein droit.
« Mon or », explique
Anshu Srivastava, une femme de 38 ans, « est
ma propriété. Il est considéré comme le droit d’une femme ».
Le salon de cette femme au
foyer de New Delhi, tel une caverne d’Ali Baba, ne laisse pas place au doute
quant à son obsession. Chaque touche de décoration – depuis les coussins sur
les canapés aux rideaux – est de couleur or.
Discrètement cachée sous la
manche de Srivastava se trouve une panoplie de bijoux en or. Une montre en or
sertie de diamants est exposée un instant, aux côtés d’une multitude de
bracelets sertis de rubis et de diamants.
Elle les porte en permanence,
même lorsqu’elle sort de chez elle. Ses bijoux l’accompagnent partout.
Et si elle se les faisait
voler ?
« Alors ce serait ma
destinée », répond-elle en haussant les épaules.
Srivastava a déjà déposé de
l’or auprès de sa banque pour le donner plus tard à sa fille. Elle a son
propre bijoutier.
Srivastava ouvre pour nous sa
vaste collection de boîtes à bijoux, révélant de somptueux bijoux offerts par
sa belle-famille et son mari. Mais les plus précieux d’entre eux sont ceux
qu’elle a hérités de sa mère, qui a commencé à collectionner des bijoux à
l’âge de 8 ans.
Ses boucles d’oreilles en or,
ses bagues, ses colliers et ses pinces à cheveux reflètent, en plus d’être
somptueux, le caractère central que joue l’or dans la vie des femmes
indiennes. Il est offert à l’occasion de grossesses, de naissances, ou pour
célébrer le premier repas solide d’un bébé. Il est inscrit dans la culture
du pays.
La tentatrice du blockbuster
Bollywood de 2001, Kabhi Khushi
Kabhi Gham (Parfois
heureux, parfois triste), chante « Mes bracelets chantent, ‘Je suis à
toi’ ».
Le grand classique de
Bollywood « Mother India »
raconte comment l’or permet de racheter l’honneur d’une famille. L’héroïne de
ce mélodrame de 1957 est réduite à mettre ses bijoux en or à gage auprès du
créditeur peu scrupuleux du village pour sauver la ferme de sa famille. Elle
se sépare de ses bijoux, mais jamais de sa dignité.
L'inde est tant attachée à
l’or que les ménages indiens en possèderaient entre 600 et 800 milliards de
dollars, principalement sous la forme de bijoux. C’est quatre fois les
réserves d’or de Fort Knox.
Le droit d'une femme
d'utiliser son or comme elle l’entend varie en fonction des régions. Dans le
nord conservateur, elle doit d’abord demander à sa famille la permission de
disposer de son métal.
Comme l’explique Mehrotra, « ce genre de limitations bénéficie à la
patriarchie, la femme n’est pas totalement libre. Son choix est limité par la
nature de la structure à laquelle elle appartient ».
Lorsque Pooja
Sharma, résident de Delhi, s’est séparée de son mari, ce dernier a gardé le
plus gros de son or. Avec le peu de bijoux qui lui restaient, elle a obtenu
un prêt de 400 dollars pour payer les frais médicaux de son père malade.
Sharma, une conseillère
financière habituée à faire des affaires avec les banques, rit lorsqu’elle se
souvient de l’agonie qu’elle a ressentie lorsqu’elle a laissé son or au
créditeur chargé de le mettre en sécurité jusqu’à ce qu’elle lui rembourse
son dû.
« Je suis allée les voir
à plusieurs reprises, et auprès de plusieurs succursales, pour leur demander
de clarifier les conditions de mon éventuel prêt. Et puis j’ai
investi ».
Des milliers de femmes comme
Sharma franchissent chaque jour le seuil de Muthoot
Finance. Avec 4.000 succursales en Inde, la firme génère plus de 50 millions
de dollars de prêts en or chaque jour, et ses taux d’intérêts s’élèvent entre
12 et 24%. Chez Muthoot, un prêt peut être accordé
en moins de 15 minutes – une rapidité qu’aucune banque ne pourrait surpasser.
Le couple Snigdha
Paul et Sanjeev Dey ont pu ouvrir leur propre
entreprise grâce à un prêt de 500 dollars obtenu grâce à la mise à gage de leur
or. Ils sont maintenant les propriétaires d’une boutique de fleurs au sud de
Delhi, qu’ils appellent un « rêve devenu réalité ».
Dey se tient devant son stand
garni de lis jaunes et d’œillets roses, et se satisfait de sa bonne fortune.
« Cet or m’a beaucoup aidé », dit-il. « Je fais aussi partie
de cette économie ». Il admet que son entreprise est de taille limitée,
mais dit être capable d’employer des assistants.
« Je participe à
l’abolition du chômage », dit-il fièrement.
Un
actif paresseux ?
L'histoire du couple se répète
partout en Inde : les actifs d’une femme sont utilisés pour lancer une
petite entreprise, qui appartient souvent au mari. Avinav
Chaubey, directeur de marketing chez Muthoot Finance, a lancé une campagne de publicité qui
présente une femme poussant son mari à utiliser son or, et contourne ainsi le
tabou qu’est l’idée qu’un homme demande de l’argent à sa femme.
Ces prêts remettent en
question l’idée de l’or comme actif paresseux.
L’économiste Jayati Ghosh pense toutefois
que les achats obsessifs d’or privent l’Inde d’investissements réels.
« L’or est une fuite hors
du système. Il revient un peu à mettre votre argent sous votre matelas. En
fait, il revient à mettre des lingots sous votre matelas », explique Gosh. « Il représente donc un énorme gaspillage pour
une économie qui a besoin d’investissements ».
La banque centrale indienne,
qui est comparable à la réserve fédérale, a éprouvé des difficultés à limiter
les importations en or pour diminuer son déficit de compte courant.
Mais avec des centaines de
millions d’Indiens sans accès à un compte en banque ou une quelconque forme
de crédit, l’utilisation d’or pour réaliser des rêves n’est pas prête de
s’arrêter là.
De retour à Muthoot Finance, la femme de Sanjeev
Dey explique qu’elle mettrait de nouveau sa bague en or à gage si le couple
décidait d’élargir de nouveau son stand de fleurs.
« Si je peux en
tirer quelque chose, pourquoi devrais-je refuser ? »
demande-t-elle. Son mari l’interrompt : « Cet argent rapporte de
l’argent. La monnaie engendre de la monnaie ».
Sa femme ajoute, l’air
confiant : « Après tout, qu’il s’agisse d’or ou de liquide – tout
est à moi. J’en tire plus de bénéfices en retour ».
Snighda apprend plus tard que le créditeur a
retourné sa bague en or et que le prêt du couple est désormais sécurisé
entièrement grâce à l’or de son mari. Elle sourit. « Ses bijoux sont les
miens », dit-elle.
Ce sentiment est le symbole
d’une « nouvelle Inde », au sein de laquelle les ornements de
l’Inde ancienne représentent une nouvelle forme de richesse – pour les
femmes.
http://www.npr.org/blogs/parallels/2014/04/14...ld-obsession...