L’argument
ultime en faveur des impôts consiste à soutenir que
l’impôt fonctionne comme un moyen de redistribuer les richesses
entre les membres de la société. Ceux qui produisent le plus de
richesses doivent contribuer davantage que ceux qui n’arrivent pas
à produire autant.
Il
s’agit d’une combinaison d’arguments économique et
moral. Puisque les richesses produites par les contribuables seront soit
consommées soit investies, alors, peu importe qui consomme ou investit,
l’effet économique sera toujours le même. De plus,
l’État serait capable d’identifier les groupes qui ont le
plus besoin qu’on leur transfère les ressources de ceux qui en
ont le moins besoin.
Faisant
abstraction de l’argument moral, on remarquera tout d’abord que
la redistribution de richesses est loin d’être parfaite. Les
richesses redistribuées ne sont jamais transférées dans
leur intégralité, puisqu’une partie des ressources sera
allouée au fonctionnement de l’administration publique
chargée de prélever l’impôt et de le réallouer.
Cependant, on
pourrait affirmer que les membres de cette administration sont eux aussi les
cibles de la redistribution et donc que rien n’est perdu. Or, ceci ne
change rien au fond du débat à savoir que toute redistribution
implique une perte pour l’économie, qu’elle cible ou pas
les membres de l’administration.
Car toute consommation
et tout investissement ne
résultant pas d’un processus de redistribution implique
l’acquisition au préalable de biens et services. Or cette
acquisition passe nécessairement par l’utilisation du capital
d’un individu. C’est d’ailleurs ainsi que sur un
marché libre, le capital est redistribué en permanence, car la
consommation et l’investissement consistent justement en un processus
continu de redistribution des richesses entre vendeurs et acheteurs.
Le
prélèvement d’impôts implique cependant une rupture
momentanée de ce processus de redistribution réalisé par
les échanges volontaires. Le groupe favorisé par cette
redistribution aura accès à un capital sans rien avoir produit en
échange, ce qui implique une perte sèche pour les contribuables
qui ont fourni ce capital. Il n’est pas suffisant de dire que les
contribuables ont, en contrepartie, un retour en termes de services, car ces
services ne sont pas accessibles à tous les contribuables (par
exemple, certaines aides et allocations) ou ils ne souhaitent pas vraiment
consommer les services en question (des routes ou des librairies qu’ils
ne fréquenteraient, par exemple, jamais).
Ceci est aussi
une perte pour l’économie puisque le même capital circule
tout en produisant moins de biens et services qu’avant. En outre, cette
production réduite implique une production de biens dont la demande
n’est pas justifiée économiquement. Autrement dit, la
consommation et l’investissement sans imposition impliquent toujours
une redistribution plus productive que lorsque cette consommation et cet investissement
résultent d’une imposition.
À ce
stade, on pourrait argumenter qu’en dépit de cette rupture dans
le processus libre de redistribution du capital, l’État se
montre efficace en ce qu’il redistribuerait les ressources à des groupes plus productifs
que les groupes taxés.
Il faudrait cependant
pour cela que l’État adopte et utilise le calcul
économique de façon systématiquement
correcte. Or, nous avons pu voir dans l’article précédent
que c’est institutionnellement impossible car l‘usage rationnel
du calcul économique implique un lien étroit entre l’usage
des ressources économiques et la responsabilité quant au
résultat de celui-ci.
Ce lien est
absent au sein de l’État du fait de la façon dont les
membres de l’administration y sont nommés et du caractère
imposé de son financement. Ils ne sont pas choisis en fonction de leur
capacité à gérer économiquement des ressources,
mais de leur capacité à gagner des élections ou de
s’intégrer au sein de l’appareil bureaucratique de
l’État. En outre, l’administration fait usage de
ressources qu’elle n’a pas acquises par le biais d’une production mais par celui de l’imposition. Enfin,
les revenus de l’État
sont totalement dissociés des résultats de la gestion des
ressources par l’administration publique. Autrement dit,
l’administration n’est pas vraiment responsable de l’usage
de ces ressources en ce qu’ils ne répondent ni juridiquement ni personnellement
des pertes réalisées.
Je tiens
à préciser que mon but, dans cette série
d’articles sur la fiscalité, n’était pas de rejeter
l’existence même de l’impôt ou de l’État. Par exemple, l’offre publique de
services juridiques et de sécurité peut impliquer un gain par
rapport à une situation où, sans impôt, on prendrait le
risque de voir émerger des armées privées spoliatrices.
L’intention
était surtout de montrer que, en dehors de l’offre de certains
services assurant le respect de la propriété et de la liberté
individuelle, il est impossible à un gouvernement de vouloir
défendre de façon cohérente (au moins, d’un point
de vue purement économique) un niveau d’imposition
supérieur à la réalisation de cette offre. De
même, tout discours sur l’augmentation des niveaux
d’imposition est incohérent. Les seuls arguments disponibles sont
alors de nature purement idéologique ou morale. Il faut
néanmoins démontrer qu’une idéologie ou une morale
est objectivement supérieure à une autre. Il faudrait
démontrer, en outre, qu’une idéologie ou morale est
économiquement plus productive qu’une autre.
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