Dans la
foulée de l’affaire Cahuzac, le
gouvernement Ayrault s’est engagé à faire publier les
déclarations de patrimoine de ses ministres. Le choix de la
transparence est compréhensible : il est légitime de se
demander si les hommes politiques obéissent eux-mêmes aux lois
imposées au reste de la Cité. Est-il pertinent pour
autant ? C’est loin d’être évident.
Les limites de la transparence
Pour commencer,
le fait que les Français prennent connaissance d’informations
jusque-là réservées à la « commission
pour la transparence financière de la vie politique » ne
rendra pas la vie plus difficile aux fraudeurs. Prétendre le contraire
serait prêter aux citoyens une intelligence et
une probité supérieures à ladite commission.
Du reste, comme
tous les ministres et élus de la République,
Jérôme Cahuzac avait fait une
déclaration de patrimoine. S’il est aujourd’hui poursuivi,
c’est aussi, rappelons-le, pour avoir fait une fausse
déclaration. Voilà pour la « transparence de la vie
politique ».
C’est
donc pour redonner confiance aux Français que le premier ministre
Jean-Marc Ayrault, lui-même condamné en 1997 pour octroi
d’avantage injustifié, va aujourd’hui plus loin dans la
transparence. Objectif partagé par plusieurs élus
écologistes, socialistes et UMP, qui espèrent ainsi faire la
démonstration de leur honnêteté, et accessoirement
prouver que la majorité de nos représentants sont dignes de
confiance.
Des réticences à gauche
comme à droite
Dans ces
conditions, les réticences d’un Jean-François
Copé, d’un Claude Bartolone, d’un Jean-Louis Borloo ou
encore d’un Daniel Cohn-Bendit sont incompréhensibles pour de
nombreux citoyens-contribuables, qui trouvent normal de savoir ce que les
élus font de leur argent. C’est pourtant loin d’être
aussi simple.
Premièrement,
comme l’ont rappelé Marylise Lebranchu
(ministre de la Fonction publique), Jean-Jacques Urvoas
(président socialiste de la commission des lois à
l’Assemblée) et Jean Arthuis (sénateur UDI), le
patrimoine déclaré est rarement personnel à 100% :
outre qu’il inclut parfois des biens familiaux, il peut appartenir
également au conjoint qui, jusqu’à preuve du contraire, a
droit à la vie privée. La déclaration de patrimoine
d’un homme politique est aussi celle de sa famille.
Deuxièmement,
l’exigence de transparence à l’endroit des hommes politiques
a quelque chose d’incompréhensible. En effet, les bons citoyens
qui aujourd’hui « veulent savoir » ne se
demandent pas, d’ordinaire, comment nos dirigeants utilisent
l’argent du contribuable. Si c’était le cas, la dette
publique de la France n’aurait pas atteint 90% du PIB, la presse
française n’aurait pas touché 516 millions d’euros
de subventions cette année, le budget alloué chaque
année au financement de l’Aide médicale
d’État n’aurait jamais dépassé les 600
millions d’euros et le sacro-saint modèle social
français, dont nos enfants paient le prix avant même
d’être nés, aurait disparu avec le rideau de fer.
Pour
résumer, la publication des déclarations de patrimoine ne
contribue en rien à « moraliser » la vie
politique. Et surtout, l’intérêt des Français pour
le patrimoine de leurs dirigeants est particulièrement suspect. Comme
nous le verrons dans le prochain article, satisfaire cet intérêt
n’est pas sans risque pour la société.
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