Le 30 novembre prochain et sur
l’initiative de « Sauvez l’or de la
Suisse », les Suisses voteront pour déterminer si la constitution de
leur pays devra oui ou non être réformée. L’initiative sur l’or semble être
très largement mal comprise, que ce soit en Suisse comme à l’étranger. Dans
cet article, nous nous pencherons sur ses implications sur l’or, le franc
suisse et la Suisse en général.
Les motivations
derrière cette initiative
Les initiateurs de
l’initiative sur l’or en appellent à la volonté des Suisses de ne pas vendre
« l’argent de famille ». A la fin des années 1990, la Banque
nationale suisse possédait 2.590 tonnes d’or. Depuis lors, 1.550 tonnes ont
été vendues à des prix bien inférieurs aux prix actuels. Bien que les Suisses
puissent apprécier leur or, ils restent fièrement indépendants. C’est un
point à retenir, parce qu’en imposant un plafond au franc suisse face à
l’euro, la Banque nationale suisse a de facto imposé l’euro à son pays et
fait un pas de plus vers l’adoption de l’euro – chose à quoi s’opposent de
nombreux Suisses. Plus important encore, de nombreux suisses pensent qu’il
est inapproprié pour un organisme apolitique comme leur banque centrale que
d’imposer des mesures aux ramifications politiques majeures.
Il n’est pas surprenant que le
gouvernement suisse – qui s’oppose à l’initiative – ne présente pas les
choses sous cet angle, et mette l’accent sur la flexibilité que souhaite la
Banque Nationale Suisse pour mettre en œuvre sa politique monétaire. Il
soulève également la question des « pertes » enregistrées par la
Banque en 2013 suite à la baisse du prix de l’or.
Penchons-nous de plus près sur
cette initiative. Elle vise à réformer la constitution Suisse de manière à ce
que :
• Les réserves d’or de la
Banque Nationale Suisse ne puissent plus être vendues ;
• Les réserves d’or de la Banque Nationale Suisse doivent être
conservées en Suisse ;
• Les réserves d’or de la Banque Nationale Suisse devront doivent représenter
un minimum de 20% du total des réserves de devises de la Banque nationale.
Voici les mesures
transitionnelles proposées :
• La Suisse aura deux ans pour
rapatrier son or ;
• La Suisse aura cinq ans pour atteindre le taux minimum de réserve de 20%.
L’indépendance de la
banque centrale
Le gouvernement suisse affirme
que l’indépendance de la Banque nationale suisse serait mise en danger si
l’initiative était votée. L’ancien directeur de la Réserve fédérale des
Etats-Unis, Alan Greenspan, a eu son mot à dire concernant l’indépendance des
banques centrales : « Je n’ai jamais laissé sous-entendre que les
banques centrales sont indépendantes ». Il n’a pas non plus dit que le
gouvernement dictait à la Fed les politiques à suivre au jour le jour, mais a
clairement exprimé le fait que le gouvernement établissait les règles. Il a
répondu aux accusations selon lesquelles la Fed financerait les déficits du
gouvernement, et expliqué que ceux qui critiquent ce système ont tout compris
à l’envers. La Fed ne fait qu’obéir. Il a ensuite ajouté que les politiques
de la Fed sont influencées par « la culture plutôt que par
l’économie ».
Il ne devrait surprendre
personne que le gouvernement suisse s’oppose à toute forme de restriction
imposée à la Banque nationale suisse, non pas parce qu’elle mettrait en
danger l’indépendance de sa banque centrale, mais parce qu’elle réduirait la
flexibilité du gouvernement. Mais c’est bien évidemment là le principe même
des initiatives constitutionnelles en Suisse.
L’or présente-t-il un risque
pour la Banque nationale suisse ? Le gouvernement du pays maintient que
le déclin du prix de l’or de 2013 a entraîné d’importantes pertes pour la
banque centrale. Il est triste que l’argumentation officielle du gouvernement
Suisse doive avoir recours à la polémique. Eclairons toutefois quelques
points quant à la comptabilité des banques centrales :
• L’or détenu par la Banque
nationale suisse a été acheté à des prix très bas. Si la Banque continuait de
vendre de l’or, elle enregistrerait des gains, et non des pertes.
• Dans son effort pour empêcher la hausse du franc suisse, la Banque
nationale suisse a imprimé énormément de monnaie, - comme le montre le
graphique ci-dessous – presqu’autant que la Réserve Fédérale Américaine !
• Les banques centrales
n’impriment plus de la monnaie de nos jours. Pour créer de la monnaie,
La Fed ou la Banque nationale suisse achètent des valeurs mobilières aux
banques en créditant leurs comptes en quelques clics sur un clavier. De la
monnaie est littéralement créée à partir de rien.
• Ce que la plupart des gens n’imaginent pas, c’est que plus une banque
centrale moderne créée de la monnaie, c'est-à-dire plus elle achète de
valeurs mobilières, plus elle en tire des profits importants. C’est pourquoi
les banques centrales se vantent de la rentabilité de leurs opérations.
• En revanche, bien que la Fed n’ait acheté que des valeurs mobilières
américaines (bons du Trésor et titres adossés à des prêts immobiliers), la
Banque nationale suisse a acheté des valeurs mobilières en euros et en
dollars. Elle fait donc désormais face à un très important risque de
change.
• Toutefois, les banques centrales se soucient peu des pertes qu’elles
peuvent encourir : la Banque d’Israël, par exemple, a une situation
nette négative depuis plus de vingt ans. Pour une banque centrale, des
pertes ne signifient rien de plus qu’un simple problème d’image de marque,
puisqu’elle peut imprimer de l’argent pour satisfaire ç ses obligations. Il
est écrit dans les statuts de certaines banques centrales, telles que la BCE,
que les Etats membres devront augmenter leur capital si elles venaient à
encourir des pertes.
Les crises
nécessitent-elles la vente d’or ?
Selon le gouvernement suisse,
une banque centrale doit pouvoir vendre son or en temps de crise. Mais
réfléchissons-y un instant : une telle « crise » pourrait
survenir si l’effet de levier d’une banque est trop important et que la
banque en question se trouve dans l’obligation d’être refinancée. Pour
faciliter un refinancement, la Banque nationale suisse a des chances de
devoir fournir de la liquidité (imprimer en promettant que ce ne sera qu’une
opération de court terme). Si une banque est insolvable plutôt qu’illiquide,
une augmentation de capital pourra devenir indispensable. Ce capital doit
provenir de quelque part. Si de l’or est vendu pour en générer, c’est l’or du
peuple qui se retrouve vendu. Le gouvernement Suisse voudrait garder la
possibilité de socialiser les pertes.
Nous pourrions affirmer que la
seule condition de l’existence de banques de type « too big to
fail » est que les gouvernements leur viennent en aide et n’ont
aucun problème avec le fait de sacrifier ou dilapider les fonds de leurs
citoyens. Selon les gouvernements, ces mesures sont mises en place pour
le bien commun – parce que les déposants pourraient perdre leur argent placé
en banque. En effet, lorsqu’une banque s’effondre, ce sont les épargnants qui
en ressortent perdants, puisque ce sont eux qui ont prêté leur argent aux
banques.
La bonne manière de protéger
les épargnants, au contraire, serait de mettre en place des politiques
prudentes qui exigeraient de demander à ceux qui prennent les risques de
porter la responsabilité de leurs pertes.
L’or est l’argent du
peuple
L’or est l’argent du peuple,
et non celui du gouvernement. Si une devise est garantie par de l’or, alors
elle représente cet or. L’or n’est pas là pour que le gouvernement en
dispose : c’est pourquoi l’initiative demande à ce que l’or suisse ne
puisse être vendu. C’est pour cette raison que l’or n’a pas besoin d’être
déposé à l’étranger : c’est une réserve de valeur qui sert à garantir la
devise en circulation.
Un taux de réserve
minimum de 20%
Marc Faber, par exemple, a dit
s’être vu demander de soutenir publiquement l’initiative, mais a jusqu’à
présent refusé de le faire. Selon lui, 20% n’est qu’une solution temporaire :
seule une garantie de réserves de 100% vaudrait d’être soutenue publiquement.
De mon propre point de vue, Marc Faber passe à côté des mérites de
l’initiative. Ce taux de réserve minimum combiné au fait que la Banque
nationale suisse ne pourra jamais, jamais vendre d’or a d’importantes
ramifications :
• Imaginons que 20% des actifs
de la Banque nationale suisse soient garantis par de l’or, et que le prix de
l’or chute. La Banque nationale devrait immédiatement acheter plus d’or. Au
fil du temps, ses réserves d’or représenteraient donc plus de 20% de ses
réserves totales. Et au fil du temps, elles pourraient se rapprocher des
100%. A chaque fois qu’une crise se développera et que la Banque nationale
suisse se trouvera tentée d’imprimer de l’argent pour refinancer une
institution, sa flexibilité future s’en trouvera affectée, puisqu’elle finira
par posséder plus d’or qui ne pourra être vendu.
•Une banque nationale suisse
interventionniste qui continuerait d’acheter des valeurs mobilières
étrangères pourrait, au fil du temps, avoir des difficultés à défendre un
plafond pour sa devise. La raison en est qu’un plafond sur sa devise est
similaire à un plan de sauvetage pour le pays dans son ensemble, avec
l’argumentation sous-jacente que la dévalorisation de la monnaie est bonne
pour le pays.
Un franc suisse
compétitif ?
Selon le gouvernement suisse,
un franc suisse fort est un problème pour les exportateurs. Sans rire. Les
autres problèmes sont les concurrents – peut-être devrions-nous aussi nous
débarrasser d’eux ? Sans oublier ces clients qui n’ont pas toujours le
cœur à acheter les gadgets et services fabriqués en Suisse… Restons
sérieux : il n’est plus possible pour une économie avancer de d’être
compétitive en matière de prix. Une économie avancée doit être compétitive en
matière de valeur. Seuls très peu de biens bon marché sont exportés par les
économies avancées.
Prenons la bière, par exemple,
qui est un secteur sur lequel se sont aventurées un certain nombre
d’économies moins avancées grâce à des produits de moindre qualité : la
bière est aujourd’hui considérée être un produit de luxe. Afin d’avoir une
influence sur le prix, il y a dû y avoir une importante consolidation sur le
secteur de la brasserie ces dernières décennies, notamment en Europe, et la
Suisse s’est retrouvée prise de distance – notons qu’il s’agit ici d’une
tendance qui était déjà amorcée avant la crise financière. Un franc suisse
plus faible ne pourrait pas apporter de solution à ce problème. Une
alternative serait de chercher à être profitable à l’échelle locale.
Certaines micro-brasseries qui n’exportent pas ont en effet rencontré un vif
succès sur le marché des bières de luxe.
Les multinationales suisses
ont depuis longtemps appris à mettre en place des arbitrages naturels et à
équilibrer leurs revenus et leurs dépenses sur leurs marchés d’exportation.
Le siège social des sociétés
demeure généralement en Suisse, parfois aussi les départements recherche et
développement. La Suisse a de très nombreux travailleurs saisonniers ;
les législateurs devraient réfléchir à des alternatives, comme de payer les
salaires de ces travailleurs étrangers en euros. Il pourrait être préférable
de rémunérer des travailleurs dans une devise en dépréciation plutôt que de
se débarrasser de ses réserves d’or pour attirer de la main d’œuvre
saisonnière...
Le marché suisse a toujours
été difficile. On entend parfois dire que cela provient du niveau d’exigence
du consommateur Suisse et que si un produit se vend en Suisse, il peut se
vendre n’importe où.
Nous vivons dans un monde qui
croule sous la dette. Les Etats-Unis, l’Union européenne, le Japon, pour n’en
nommer que quelques-uns, n’ont plus les moyens de tenir leurs engagements sur
les promesses faites dans le passé. Comme Alan Greenspan l’a récemment expliqué,
un Etat-providence ne peut pas supporter un étalon or. Il doit déprécier sa
devise au fil du temps afin de pouvoir payer les promesses qu’il a faites.
Il ne sera pas facile de
vendre à des pays qui ont mis en place des politiques qui, comme nous le penson,
appauvrissent leur classe moyenne. La solution, en revanche, n’est pas
d’appauvrir la Suisse à son tour. Les choses ne seront pas simples, mais la
Suisse devra éventuellement réaliser que la dévaluation compétitive n’est pas
dans ses intérêts. Et le plus tôt sera le mieux.
Retour à la réalité
Maintenant que nous savons en
quoi consiste l’initiative sur l’or, remarquez que sa mise en œuvre ne serait
qu’une première étape. A moins que les législateurs n’embrassent l’esprit de
la loi, il pourrait s’agir d’un long combat. Nous avons déjà pu lire un
certain nombre de rapports expliquant comment la Banque nationale suisse
pourrait tenter de contourner ses obligations. La Banque ationale
pourrait également s’engager sur les marchés des produits dérivés pour saper
l’esprit de l’initiative si elle venait à être ratifiée.
N’oublions pas non plus que la
banque centrale aura cinq ans pour parvenir à un taux de réserve en or de
20%. Voilà qui devrait lui permettre de conduire des achats d’or sans trop
influencer les marchés. Sur le court terme, les effets pourraient en être
assez importants : le plafond du franc suisse par rapport à l’euro
pourrait faire l’objet de pressions. De tels plafonds ne peuvent imposés que
lorsqu’ils représentent un engagement inconditionnel. Dès que quelqu’un
bougera un cil, le marché mettra à l’épreuve la résolution des responsables.
La Banque nationale suisse pourrait avoir intérêt à acheter de l’or dès le
tout début si elle accélère ses achats d’euros.
In ultima ratio, personne ne
devrait jamais se reposer sur son gouvernement pour établir un étalon or,
mais mettre en place son propre étalon or personnel.
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