Conclusion des
soirées de la rue S. Lazare
Les
Soirées de la Rue Saint-Lazare: Entretiens sur les lois
économiques et défense de la propriété par M. G.
de Molinari, Paris: Guillaumin et Cie,Libraires,1849
”Il faut
bien se garder d’attribuer aux lois physiques les maux qui sont la
juste et inévitable punition de la violation de l’ordre
même de ces lois, instituée pour opérer le bien.”
[F. Quesnay]
Gustave de Molinari (1819-1912) est décédé
à l'âge de 92 ans le 28 Janvier 1912 à Adinkerke, Belgique. Les Soirées de la rue Saint
Lazare ont été écrites au lendemain de la
Révolution de 1848 quand des politiciens socialistes sont
arrivés au pouvoir et ont essayé de mettre en place le premier État-providence
moderne de l’histoire.
Le conservateur et Le
Socialiste.
Ayez donc
l’obligeance de nous faire ce résumé.
L’Économiste.
Volontiers.
Nous avons pris
l’homme pour point de départ. Sous l’empire de ses besoins
physiques, moraux et intellectuels, l’homme est excité à
produire. Il utilise dans ce but ses facultés physiques, morales et
intellectuelles. L’effort qu’il impose à ses
facultés pour produire se nomme travail. Chaque effort exige une
réparation correspondante, sinon les forces se perdent, les
facultés s’altèrent, l’être humain
dépérit au lieu de se maintenir ou de progresser.
Chaque effort
impliquant une souffrance, chaque réparation ou consommation une
jouissance; l’homme s’attache naturellement, sous
l’impulsion de son intérêt, à dépenser moins
d’efforts et à recevoir plus de choses propres à sa
consommation.
Ce résultat est
atteint au moyen de la division du travail.
Division du travail
implique échanges, relations, société.
Ici se présente
un grave problème.
Dans
l’état d’isolement (à supposer que cet état ait jamais existé) les efforts de
l’homme ont un minimum de puissance, mais l’individu qui les
accomplit s’en attribue tout le résultat. Il consomme tout ce
qu’il produit.
Dans
l’état de société, les efforts de l’homme
acquièrent un maximum de puissance, grâce à la division
du travail, mais le résultat de ses efforts peut-il être
toujours conservé intact à chaque producteur?
L’état de société comporte-t-il, à ce point
de vue, la même justice que l’état d’isolement?
Comment, par exemple, un homme qui passe sa vie à fabriquer la
dixième partie d’une épingle peut-il obtenir une
rémunération aussi justement proportionnée à ses
efforts que le sauvage isolé qui, après avoir abattu un daim,
consomme seul ce produit de son travail?
Comment? Au moyen de
la propriété.
Qu’est-ce que la
propriété? C’est le droit naturel de disposer librement
de ses facultés et du produit de son travail.
Comment
s’opèrent la production et la distribution de la richesse sous
le régime de la propriété?
L’homme produit
toutes les choses dont il a besoin, au moyen de son travail, agissant sur les
matières premières fournies par la nature. Son travail est de
deux sortes:
Lorsque l’homme
accomplit un effort en vue de la production, cet effort se nomme simplement
travail. Lorsque l’effort est accompli, lorsqu’un produit en a
été le résultat, ce produit prend le nom de capital.
Tout capital se compose de travail accumulé.
Or toute production
exige le concours de ces deux agents: travail actuel et travail
accumulé.
C’est entre ces
deux agents de la production que se partage le produit.
Comment se
partage-t-il? En raison des frais de production de chacun,
c’est-à-dire en raison des sacrifices que s’imposent, ou
des efforts auxquels se livrent le propriétaire du travail actuel ou
ouvrier, et le propriétaire du travail accumulé ou capitaliste.
De quoi se composent
les frais de production à la charge du capitaliste?
Ils se composent du
travail accompli par le capitaliste, en appliquant son capital à une
entreprise de production, de la privation qu’il s’impose, et des
risques qu’il court en engageant son capital dans la production.
Ce travail, cette
privation et ces risques constituent les éléments de
l’intérêt.
De quoi se composent
les frais de production à la charge du travailleur?
De la somme
d’efforts que le travailleur dépense en mettant ses
facultés en œuvre. Ces efforts sont de diverses sortes,
physiques, moraux ou intellectuels, selon la nature du travail. Ils exigent
pour être accomplis, sans altérer les facultés
productives du travailleur, une certaine somme de réparations,
variable encore selon la nature du travail.
Ces réparations
nécessaires à l’accomplissement du travail constituent
les éléments du salaire.
La réunion de
l’intérêt et du salaire compose les frais de production de
toute espèce de produits.
Exemple:
En quoi consistent les
frais de production d’une pièce de calicot?
Ils consistent, en
premier lieu:
Dans le salaire des
ouvriers, des contre-maîtres et des
entrepreneurs du tissage.
Dans
l’intérêt du capital mis en œuvre par
l’entrepreneur de tissage.—Ce capital se
compose de bâtiments, de machines, de matières premières,
de numéraire destiné au payement des ouvriers, etc. Le
capitaliste qui s’en est dessaisi reçoit un intérêt
destiné à couvrir son travail de prêteur ou
d’actionnaire, sa privation et ses risques de
détérioration ou de perte.
Premier
intérêt et premier salaire.
Avant
d’être tissé, le coton a été filé.—Pour le filer, il a fallu, de même, mettre
en œuvre du capital et du travail.—Travail des entrepreneurs, des contre-maîtres, des ouvriers de la filature;
capital sous forme de bâtiments, de machines, de combustibles, de
matières premières, de numéraire.
Second
intérêt et second salaire.
Avant
d’être filé, le coton a été
transporté. Pour le transporter, il a fallu le concours des
négociants, des courtiers, des portefaix, des armateurs, des
entrepreneurs de roulage.—Travail des
négociants, des courtiers, des portefaix, des armateurs, des matelots,
des voituriers; capital sous forme de magasins, de bureaux, de chariots, de
navires, de provisions pour l’équipage, de voitures ou de
wagons, de numéraire.
Troisième
intérêt et troisième salaire.
Avant
d’être transporté, le coton a été
cultivé. Pour le cultiver, il a fallu encore du capital et du
travail.—Travail des directeurs d’exploitation, des contre-maîtres, des ouvriers; capital sous forme de
terres rendues cultivables, de bâtiments, de semences, de machines, de
numéraire (Si les travailleurs sont libres, on les paye
communément en numéraire; s’ils sont esclaves, on les
paye, sans libre débat, en aliments, en vêtements et en
logements; dans les deux cas, le prix du coton doit couvrir leur salaire avec
celui de l’entrepreneur et des contre-maîtres,
comme aussi l’intérêt du capital avancé aux
travailleurs avant la réalisation du produit de la récolte).
Quatrième
intérêt et quatrième salaire.
Ajoutez a cela le salaire des marchands, qui mettent les
pièces de calicot à la portée du consommateur et les lui
débitent en détail selon ses besoins, et
l’intérêt du capital mis en œuvre par ces
intermédiaires indispensables, et vous aurez l’ensemble des
frais de production du calicot.
Supposez qu’une
plantation ait fourni mille balles de coton, et qu’on ait
fabriqué avec ces mille balles de coton vingt-cinq mille pièces
de calicot de cinquante aunes chacune. Supposez encore que ces vingt-cinq
mille pièces de calicot se soient débitées en
écru, à raison de 30 centimes l’aune, vous aurez un total
de. . . 375,000 fr.
Cette somme de 375,000
fr. aura été distribuée
à tous ceux qui auront concouru à la production du calicot,
depuis l’esclave et le planteur, jusqu’au débitant et
à son garçon de boutique.
Mais, en vertu de
quelle loi s’est opérée la distribution de cette valeur
de 375,000 fr. entre tous ceux qui ont
contribué à la former? Quelle loi a déterminé le
juste intérêt des capitalistes et le juste salaire des
travailleurs, comme aussi le juste prix du produit qui a fourni cet
intérêt et le salaire?
Cette loi qui est le
véritable régulateur du monde économique, je l’ai
exprimée ainsi:
Lorsque l’offre
dépasse la demande en progression arithmétique, le prix baisse
en progression géométrique, et, de même, lorsque la
demande dépasse l’offre en progression arithmétique, le
prix hausse en progression géométrique.
Sous l’empire de
cette loi, agissant dans un milieu libre, chacun ne peut vendre un
intérêt, un salaire ou un produit au-dessus ni au-dessous de la
somme nécessaire pour mettre au marché cet
intérêt, ce salaire ou ce produit, c’est-à-dire
au-dessus ni au-dessous de la somme des efforts et des sacrifices
qu’ils ont réellement coûtés.
Car, en vertu de cette
loi, le prix courant de toutes choses, intérêts, salaires et
produits, est incessamment et irrésistiblement ramené au niveau
de leurs frais de production.
Comment?
A la fois producteur
et consommateur, l’homme est incessamment obligé, dans une
société où la division du travail a séparé
la plupart des actes de la production, d’offrir ce qu’il produit
pour demander, en échange, les choses dont il a besoin.
Quand on demande une
chose, on ne consulte que l’étendue et l’intensité
du besoin qu’on en a; on ne s’occupe pas de ce qu’elle a pu
coûter à produire. Il peut donc arriver qu’on
s’impose, pour se la procurer, des sacrifices et des efforts, bien
supérieurs à ceux qu’elle a coutés. Au
témoignage de l’expérience, cela arrive lorsqu’un
grand nombre d’individus ont besoin d’une denrée, et que
peu d’individus la produisent, lorsqu’une denrée est
beaucoup demandée et peu offerte. Dans ce cas,
l’expérience atteste encore qu’une faible disproportion
entre la demande et l’offre engendre un mouvement rapide dans le prix.
A mesure que la disproportion s’agrandit en progression
arithmétique, le mouvement du prix croît et
s’accélère en progression géométrique.
Mais, à mesure
que le prix s’élève davantage, il agit plus fortement
aussi pour ramener l’équilibre entre l’offre et la
demande.
Lorsque le prix auquel
une chose se vend dépasse de beaucoup la somme des efforts et des
sacrifices qu’elle a coutés pour être produite,
aussitôt la foule des hommes qui s’adonnent à des
productions moins avantageuses, ou dont les capitaux, les intelligences et
les bras se trouvent momentanément inactifs, sont excités
à produire cette chose. L’excitation est d’autant plus
vive que le prix est plus élevé, que l’écart entre
la demande et l’offre est plus considérable. Sous l’empire
de cette excitation, des concurrents plus ou moins nombreux se
présentent donc pour augmenter la production et satisfaire d’une
manière plus complète à la demande.
Cependant
l’augmentation de la production aura une limite. Quelle sera cette
limite?
Si le prix hausse en
progression géométrique lorsque la demande
s’élève au-dessus de l’offre, il s’abaisse de
même en progression géométrique, lorsque l’offre
dépasse la demande. Si donc, excités par l’appât du
bénéfice, les producteurs augmentent l’offre, un moment
arrive où le prix courant de la denrée tombe au niveau de ses
frais de production. Si l’on continue alors à apporter au marché
des quantités de plus en plus considérables de cette
denrée et si l’augmentation de la demande
n’équivaut pas à celle de l’offre, on voit le prix
courant tomber progressivement au-dessous des frais de production.
Mais, à mesure
que la disproportion s’élargit dans ce sens, les producteurs
couvrant moins leurs frais ont plus d’intérêt à se
rejeter vers les autres branches de la production. A mesure que le prix
s’abaisse davantage il agit plus énergiquement pour ralentir le
mouvement de l’offre, jusqu’à ce que ce ralentissement le
ramène au niveau des frais de production.
C’est ainsi
qu’on voit graviter incessamment et irrésistiblement le prix
courant de toutes choses, travail, capitaux et produits, vers la limite des
frais de production de ces choses, c’est-à-dire vers la somme
des efforts et des sacrifices réels qu’elles ont
coûtés pour être produites.26
Mais si le prix de
toutes ces choses est incessamment et irrésistiblement ramené
à la limite de leurs frais de production, à la somme des
efforts et des sacrifices réels qu’elles ont
coûtés, chacun doit inévitablement recevoir, dans
l’état de société comme dans l’état d’isolement,
la juste rémunération de ses efforts et de ses sacrifices.
Avec cette
différence: que l’homme isolé produisant lui-même
toutes choses, est obligé de dépenser beaucoup d’efforts
pour obtenir un petit nombre de satisfactions, tandis que l’homme en
société, jouissant de l’avantage de la division du
travail, peut obtenir de nombreuses satisfactions en échange
d’un petit nombre d’efforts. Ces satisfactions seront
d’autant plus considérables, ces efforts seront d’autant
plus faibles, que le progrès aura développé davantage la
division du travail, et, par là même, diminué les frais
de production des choses.
Malheureusement, si de
nombreux efforts ont été accomplis pour développer
économiquement la production, de nombreux obstacles ont
été élevés, en même temps, par
l’ignorance ou la perversité humaine, pour entraver ce
développement comme aussi pour troubler la distribution naturelle et
équitable de la richesse.
C’est dans un
milieu libre, dans un milieu où le droit de propriété de
chacun sur ses facultés et les résultats de son travail est
pleinement respecté, que la production se développe au maximum,
et que la distribution de la richesse se proportionne irrésistiblement
aux efforts et aux sacrifices accomplis par chacun.
Or, dès
l’origine du monde, les hommes les plus forts ou les plus rusés
attentèrent à la propriété intérieure ou
extérieure des autres hommes, afin de consommer à leur place
une partie des fruits de la production. De là l’esclavage, les
monopoles et les privilèges.
En même temps
qu’ils détruisaient l’équitable distribution de la
richesse, l’esclavage, les monopoles et les privilèges
ralentissaient la production, soit en diminuant l’intérêt
que les producteurs avaient à produire, soit en les détournant
du genre de production qu’ils pouvaient le plus utilement accomplir. L’oppression
engendra la misère.
Pendant de longs
siècles, l’humanité gémit dans les limbes de la
servitude. Mais, d’intervalle en intervalle, de sombres clameurs de
détresse et de colère retentissaient au sein des masses
asservies et exploitées. Les esclaves se soulevaient contre leurs
maîtres en demandant la liberté.
La liberté!
c’était le cri des captifs d’Égypte, des esclaves
de Spartacus, des paysans du moyen âge, et, plus tard, des bourgeois
opprimés par la noblesse et les corporations religieuses, des ouvriers
opprimés par les maîtrises et les jurandes. La liberté!
c’était le cri d’espérance de tous ceux dont la
propriété se trouvait confisquée par le monopole ou le
privilège. La liberté! c’était l’aspiration
ardente de tous ceux dont les droits naturels étaient comprimés
sous la force.
Un jour vint où
les opprimés se trouvèrent assez forts pour se
débarrasser des oppresseurs. C’était à la fin du
dix-huitième siècle. Les principales industries qui
pourvoyaient aux besoins de tous n’avaient point cessé
d’être organisées en corporations fermées, privilégiées.
La noblesse qui pourvoyait à la défense intérieure et
extérieure, corporation; les parlements qui rendaient la justice,
corporation; le clergé qui distribuait les services religieux,
corporation; l’université et les ordres religieux qui pourvoyaient
à l’enseignement, corporation; la boulangerie, la boucherie,
etc., corporations. Ces différents états étaient, pour
la plupart, indépendants les uns des autres, mais tous se trouvaient
subordonnés au corps armé qui garantissait
matériellement les privilèges de chacun.
Malheureusement,
lorsque l’heure sembla venue d’abattre ce régime
d’iniquité; on ne sut par quoi le remplacer. Ceux qui avaient
quelques notions des lois naturelles qui gouvernent la société
opinaient pour le laisser-faire. Ceux qui ne croyaient point
à l’existence de ces lois naturelles s’élevaient,
au contraire, de toutes leurs forces contre le laisser-faire, et demandaient
la substitution d’une organisation nouvelle à la place de
l’ancienne. A la tête des partisans du laisser-faire figurait
Turgot, à la tête des organisateurs ou
néo-réglementaires figurait Necker.
Ces deux tendances
opposées, sans compter la tendance réactionnaire, se
partagèrent la révolution française.
L’élément libéral dominait dans
l’Assemblée constituante, mais il n’était pas pur.
Les libéraux eux-mêmes n’avaient pas encore assez de foi
en la liberté pour lui abandonner entièrement la direction des
affaires humaines. La plupart des industries matérielles furent
affranchies des liens du privilège, mais les industries immatérielles
et, en première ligne, la défense de la propriété
et la justice, furent organisées en vertu des théories
communistes. Moins éclairée que l’Assemblée
constituante, la Convention se montra plus communiste encore. Comparez les
deux déclarations des Droits de l’homme de 1791 et 1793, et vous
en acquerrez la preuve. Enfin, Napoléon, qui réunissait les
passions d’un jacobin aux préjugés d’un
réactionnaire, sans aucun mélange de libéralisme, essaya
de concilier le communisme de la Convention avec les monopoles et les
privilèges de l’ancien régime. Il organisa
l’enseignement communautaire, subventionna des cultes communautaires,
institua un corps des ponts et chaussées dans le but
d’établir un vaste réseau de voies de communication
communautaires, décréta la conscription,
c’est-à-dire l’armée communautaire; en outre, il
centralisa la France comme une grande commune, et ce ne fut pas sa faute
s’il n’organisa point dans cette commune centralisée
toutes les industries sur le modèle de l’Université et de
la régie des tabacs.27 Si la guerre ne l’en avait empêché,
comme il le déclare lui-même dans ses Mémoires, il aurait
certainement accompli ces grandes choses. D’une autre part, il
ressuscita dans cette France organisée la plupart des
privilèges et des restrictions de l’ancien régime; il
reconstitua la noblesse apanagée, rétablit les privilèges
de la boucherie, de la boulangerie, de l’imprimerie, des
théâtres, des banques, limita la libre disposition du travail
par la législation de l’apprentissage, des livrets et des
coalitions, le droit de prêter par la loi de 1807, le droit de tester
par le Code civil, le droit d’échanger par le blocus continental
et la multitude de ses décrets et règlements relatifs aux
douanes; il refit, pour tout dire, sous l’influence de deux
inspirations venues de points opposés, mais également
réglementaires, le vieux réseau d’entraves qui opprimait
naguère la propriété.
Nous avons vécu
jusqu’à présent sous ce déplorable régime,
encore aggravé par la Restauration (rétablissement de la
vénalité des charges, en 1816, exhaussement des
barrières douanières, en 1822), mais bien loin de lui imputer
les iniquités et les misères de la société
actuelle, c’est la propriété et la liberté
qu’on a accusées. Les docteurs du socialisme
méconnaissant l’organisation naturelle de la
société, ne voulant point voir les déplorables
résultats de la restauration des privilèges de l’ancien
régime et de l’instauration du communisme révolutionnaire
ou impérialiste, affirmèrent que la vieille
société péchait par sa base même, la
propriété, et il s’efforcèrent
d’organiser sur une autre base une société nouvelle. Cela
les conduisit à des utopies, les unes simplement absurdes, les autres
immorales et abominables. Au reste, on les a vus à l’œuvre.
Les conservateurs
opposèrent heureusement une digue à l’invasion
foudroyante du socialisme; mais n’ayant pas plus que leurs adversaires
des notions précises de l’organisation naturelle de la
société, ils ne pouvaient les vaincre ailleurs que dans la rue.
Partisans du statu quo parce qu’ils y trouvaient profit et sans
s’inquiéter du reste, les conservateurs s’opposèrent
aux innovations socialistes, comme ils s’étaient, dans le
courant des années précédentes, opposés aux
innovations propriétaires des partisans de la liberté de
l’enseignement et de la liberté du commerce.
C’est entre ces
deux sortes d’adversaires de la propriété, les uns
voulant augmenter le nombre des restrictions et des charges qui pèsent
déjà sur la propriété, les autres voulant
conserver purement et simplement celles qui existent, que le débat se
trouve actuellement porté. D’un côté apparaissent
M. Thiers et l’ancien comité de la rue de Poitiers; de
l’autre MM. Louis Blanc, Pierre Leroux, Cabet, Considérant,
Proudhon. C’est Necker sons les deux espèces. Mais je ne vois
plus Turgot.
Le Socialiste.
Si la
société est naturellement organisée et s’il suffit
de détruire les obstacles apportés au libre jeu de son
organisation, c’est-a-dire les atteintes
portées à la propriété pour élever le
chiffre de la production au maximum que comporte l’état actuel
d’avancement des arts et des sciences, et rendre la distribution de la
richesse pleinement équitable, il est fort inutile assurément
de chercher encore des organisations factices. Il n’y a autre chose
à faire qu’à ramener la société à la
propriété pure.
Le Conservateur.
Mais combien de
changements à opérer pour en venir la? Cela fait trembler!
L’Économiste.
Non! car toutes les
réformes à accomplir ayant un caractère de justice et
d’utilité ne sauraient offenser aucun intérêt
légitime ni causer aucun dommage à la société.
Le Socialiste.
Au reste, dans un sens
ou dans un autre, pour la propriété ou contre la propriété,
les réformes ne peuvent manquer de se faire. Deux systèmes,
sont en présence: le communisme et la propriété. Il faut
aller vers l’un ou vers l’autre. Le régime mi-propriétaire, mi-communiste
sous lequel nous vivons ne saurait durer.
L’Économiste.
Il nous a
déjà valu de déplorables catastrophes et peut-être
nous en réserve-t-il de nouvelles.
Le Conservateur.
Hélas!
L’Économiste.
Il faut donc en
sortir. Or, on n’en peut sortir que par la porte du communisme ou par
celle de la propriété:
Choisissez!
FIN.
Notes
26 Sans déterminer cette loi, comme aussi sans
bien définir le rôle qu’elle joue dans la production et la
distribution de la richesse, Adam Smith l’a clairement indiquée
dans ce passage:
“Le prix
du marché pour chaque marchandise particulière est
réglé par la proportion entre la quantité qu’on en
apporte au marché et celle qu’en demandent les gens qui veulent en
payer le prix naturel, c’est-à-dire toute la valeur de la rente,
du travail et du profit qui doivent être payés pour
qu’elle vienne au marché.
Lorsque la
quantité d’une marchandise qu’on apporte au marché
est au-dessous de la demande effective, il n’y en aura point assez pour
fournir aux besoins de tous ceux qui sont résolus de payer toute la
valeur de la rente, du salaire et du profit qui doivent être
payés pour qu’elle y vienne. Plutôt que de s’en
passer entièrement, quelques-uns des demandeurs en offriront
davantage. Dès ce moment, il s’établira parmi eux une
concurrence, et le prix du marché s’élèvera plus
ou moins, selon que la grandeur du déficit augmentera plus ou moins
l’ardeur des compétiteurs. Ce même déficit
occasionnera généralement plus ou moins de chaleur dans la
concurrence, selon que l’acquisition de la marchandise sera plus ou
moins importante pour les compétiteurs. De là le prix
exorbitant des choses nécessaires à la vie durant le blocus
d’une ville ou dans une famine.
Lorsque la
quantité qu’on apporte au marché est au-dessus de la
demande effective, on ne peut vendre le tout à ceux qui sont
disposés à en payer le prix naturel ou toute la valeur de la
rente, etc. Il faut en vendre une partie à ceux qui en offrent moins,
et le bas prix qu’ils en donnent fait nécessairement une
réduction sur le prix du tout. Le prix du marché baissera plus
ou moins au-dessous du prix naturel, selon que la grandeur du surabondant
augmentera plus ou moins la concurrence des vendeurs, ou selon qu’il
sera plus ou moins important pour eux de se défaire de la marchandise.
La même surabondance dans l’importation des marchandises qui
peuvent se gâter et se perdre, comme les oranges, occasionnera une
concurrence bien plus animée que ne le feront celles qui sont durables
comme la ferraille.
Si la
quantité portée au marché suffit juste pour fournir
à la demande effective et rien de plus, le prix du marché sera
exactement le même que le prix naturel, ou il en approchera le plus
possible, autant qu’on en peut juger. Toute la quantité
qu’il y en a peut être vendue à ce prix, et pas plus cher.
La concurrence des vendeurs les oblige à la donner pour cela et pas
davantage.
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . .
Ainsi le prix
naturel est, pour ainsi dire, le prix central vers lequel gravitent
continuellement les prix de toutes les marchandises. Divers accidents peuvent
les tenir quelquefois suspendus assez haut au-dessus de ce prix et les faire
descendre même quelquefois un peu plus bas. Mais quels que soient les
obstacles qui les empêchent de s’établir dans ce centre de
repos et de stabilité, elles tendent constamment à s’y
mettre.” (Adam Smith. De la Richesse des Nations, liv. 1, chap. VII.)
27 La fabrication du tabac, rendue libre par
l’Assemblée constituante, fut mise en régie par un
décret du 29 décembre 1810.
Remerciements : David
Hart
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