Nous en étions
restés à l’épisode
précédent : comment Goldman Sachs avait
distribué une émission hors marché d’actions de
2,1 milliards de dollars de Facebook afin de se
remplir les poches, d’en faire bénéficier au passage des
clients privilégiés, et de faire grimper à 50 milliards
de dollars la valorisation de son gros client. Donnant-donnant. Il
n’avait pas fallu plus de cinq mois pour que celle-ci double de valeur,
laissant un peu pantois les observateurs.
En un temps à nouveau
record, moins d’un mois, un nouveau bond de la valorisation a depuis
été enregistré et Facebook est
valorisé à 60 milliards de dollars. Plusieurs grands
investisseurs institutionnels non identifiés ont en effet
manifesté l’intention d’investir dans la
société et le management de Facebook
envisage d’autoriser ses employés à vendre pour un
milliard de dollars d’actions – ce qu’ils n’avaient
pas le droit de faire – afin de répondre positivement à
leur attente. L’opération représente un coup triple :
accroître la valorisation de la société et
récompenser les employés méritants sans bourse
délier, mais aussi réduire le nombre des actionnaires.
En effet, la
réglementation de la SEC – l’autorité de
régulation boursière – impose aux sociétés
dépassant le nombre de 500 actionnaires d’enregistrer leurs
comptes financiers, même si elles ne sont pas cotées en bourse.
C’est d’ailleurs la seconde fois que Facebook
réalise une telle opération de réduction du nombre de
ses actionnaires, ce qui lui permet de reculer l’échéance
fixée par la SEC et de garder toute la confidentialité à
ses données financières. Ce qui a pour but de dissimuler le
désastreux rapport entre son chiffre d’affaires et la
valorisation de son capital, un ratio qui crève tous les plafonds et
met en évidence le caractère artificiel et spéculatif de
cette dernière. Et de poursuivre sa marche triomphale de la création
de valeur à la réalité économique
artificiellement gonflée.
Les manipulations
cautionnées et encouragées par Wall Street ne
s’arrêtent pas là. On apprenait en effet que des rumeurs
d’acquisition de Twitter par Facebook ou par Google contribuaient à valoriser
le site de microblogs entre 8 et 10 milliards de
dollars, qu’un tour de table avait fixé il y a deux mois
à 3,7 milliards de dollars. Devant cette envolée, et
considérant quand même le caractère excessif d’une
telle valorisation – plus de 100 fois son chiffre d’affaires
– des analystes en viennent à s’interroger sur la
réalité de ces volontés d’acquisition et sur
l’origine de ces rumeurs qui font bien l’affaire de Twitter. De là à considérer que les
deux prétendants pourraient être de connivence avec la
mariée pour augmenter sa dote et que cela pourrait être à
charge de revanche…
Une telle hypothèse
relève bien entendu de la pure et simple fiction, mais elle n’en
procure pas moins un éclairage sur la réalité du modèle
économique proprement miraculeux de ces sociétés
phares du monde des nouvelles technologies. Elles ne vivent pas de leur
chiffre d’affaire mais en brûlant le cash qui
résulte de l’augmentation de leur valorisation et de
l’espoir – pour les investisseurs qui se prêtent à
leur porte pour y entrer – que celle-ci va continuer de monter. Une
croyance qui rappelle une certitude qui a fait long feu sur le marché
immobilier, et qui voulait que le prix des maisons n’allait
pas cesser d’augmenter. Avec les résultats que l’on sait.
A ce jeu-là, il est capital
de savoir se retirer à temps, un réflexe que les mégabanques de Wall Street ont pleinement acquis,
comme l’ont montré leurs manipulations financières
précédentes, dont leurs clients ont fait les frais.
S’appuyant sur cette
nouvelle manifestation du génie financier, un nouveau type de
marché est né, celui de plates-formes d’échange de
titres de sociétés non cotées. Elles portent des noms
évocateurs, comme SecondMarket ou SharePost, et l’on peut aisément les trouver
sur Internet. La première d’entre elles, qui n’a que 9
mois d’existence, a enregistré 157,8 millions de dollars de
transactions et compte déjà 47.000 utilisateurs
recensés. La seconde est fréquentée par 55.000
investisseurs.
Leur existence procure au
capital des sociétés qui donne lieu à des transactions
une liquidité qui ferait sinon défaut et permet notamment
à leurs salariés, dont une partie de la
rémunération est faite en actions, de monnayer une partie
d’entre elles au fur et à mesure de l’augmentation de la
valorisation de celles-ci. Ce qui revient à faire payer par les
investisseurs entrants une partie de la rémunération des
salariés. Quant à elles, les plates-formes vivent d’une
commission sur les transactions.
Le nombre élevé
d’investisseurs utilisant ces plate-formes ne
doit pas faire illusion. Seulement environ un cinquième d’entre
eux sont de riches individuels, disposant d’un revenu annuel
supérieur à 200.000 dollars et d’un patrimoine
supérieur à un million de dollar, hors résidence
principale. C’est tout du moins la définition par la SEC de la
notion d’« investisseur accrédité », qui
sert à cet écrémage. Les autres sont des investisseurs
institutionnels, qui fournissent le gros des transactions en volume
financier.
Dans les cuisines des
réseaux sociaux et du microblogging, il se
passe de drôles de choses. Par un curieux télescopage de
l’histoire, les révolutions tunisienne et égyptienne
alimentent involontairement les exercices hautement spéculatifs de la
finance américaine, et réciproquement. Inévitablement,
il y aura des esprits pour en tirer des conclusions hâtives et
erronées. Wladimir Ilitch Oulianov avait dit « on te donne
un fusil, apprends à t’en servir ! »,
il est des armes moins meurtrières et tout aussi efficaces…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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