Un avantage
concurrentiel est une barrière productive
à la concurrence en ce qu’elle traduit qu’un
producteur utilise ses ressources de façon plus efficace que ses
concurrents. Ceux-ci – incapables de faire aussi bien – menacent
néanmoins potentiellement le producteur et l’incitent à
utiliser cet avantage concurrentiel. Cela se traduit concrètement pour
les consommateurs par des baisses de prix ou des améliorations de la
qualité de production. En même temps, les producteurs potentiels
sont aussi incités à trouver et maîtriser un avantage
concurrentiel qui pourrait leur permettre d’accéder au
marché ciblé et peut-être de renverser le pouvoir des producteurs
en place.
Or, on confond
souvent cette barrière productive avec une autre barrière,
celle qui interdit ou
sélectionne arbitrairement les concurrents sur un marché. Dans
certains cas, cette confusion n’est rien d’autre qu’un
signe de naïveté, dans d’autres, elle est clairement le
signe d’un intérêt privé. De nouveaux entrants, incapables
de baisser leurs prix facilement ou d’améliorer rapidement la qualité
de leurs produits, peuvent être tentés de demander un droit
automatique d’accès au marché en question. Ceci est
surtout vrai lorsque les producteurs potentiels sont face à un
monopole naturel.
Le monopole
naturel ne doit pas être confondu avec le monopole public. En effet, le
monopole naturel est exactement celui qui résulte d’un avantage
concurrentiel tellement fort qu’il rend pratiquement impossible
à un nouvel entrant d’accéder au marché en offrant
le même produit. Cela ne
signifie pas pour autant que la situation est gravée dans le marbre.
Au contraire. Généralement, les monopoles naturels ont deux
caractéristiques : un investissement initial conséquent et
l’éventuelle présence d’économies
d’échelle qui permettent au producteur d’augmenter sa
production tout en jouissant de coûts moyens décroissants. Il
est alors pratiquement impossible à un nouvel entrant de faire face
à un monopole naturel qui fait des économies
d’échelle alors que
le premier doit encore mettre en place une structure productive dispendieuse.
Les exemples
typiques de ces monopoles naturels sont le réseau ferroviaire, les
autoroutes, les canaux fluviaux, les réseaux de distribution
d’énergie et de télécommunications.
Si le monopole
naturel bénéfice donc d’un atout dont profitent les
consommateurs, il a aussi un talon d’Achille. En effet, la
« protection » de l’investissement initial
implique qu’il se spécialise dans une structure productive qu’il
sera très difficile de reconvertir à d’autres usages. Les
économies d’échelle incitent aussi le monopole naturel
à se retrancher encore plus dans cette spécialisation. Du coup,
s’il est vrai qu’un concurrent potentiel peut difficilement
battre un monopole naturel en proposant le même type de produit, il
peut cependant parvenir à proposer un autre produit qui rendra un service similaire à celui du
monopole naturel. Ceci est d’autant plus probable que les profits du
monopole naturel sont tellement élevés qu’ils sont une
incitation et une justification au développement d’innovations
capables de battre le monopole naturel.
C’est
ainsi que les chemins de fer ont été développés
pour concurrencer les canaux fluviaux, les autoroutes pour concurrencer les
trains, les voies aériennes pour concurrencer les bateaux et les
trains. De manière similaire, les avantages exorbitants des monopoles
publics et privés de la téléphonie fixe ont
poussé le développement de la téléphonie mobile.
Parfois,
l’incitation concurrentielle permet de créer un nouveau
marché. Par exemple, le marché des ordinateurs personnel a
été développé par des sociétés
comme Apple parce qu’il avait été négligé
par des entreprises comme Xerox ou IBM qui se concentraient sur le
marché des professionnels juteux.
La
différentiation du produit est une autre façon de concurrencer
un monopole naturel. Cela passe souvent par l’exploitation de niches de
marché trop coûteuses pour le monopole naturel car elles ne
permettent pas le déploiement d’économies
d’échelle C’est ce qui explique l’abondance de l’offre
de chaînes et de petites exploitations de fast-food dans le monde
entier coexistant avec des mastodontes comme Mc Donald. Servir une niche
représenterait une adaptation coûteuse de la structure
productive du monopole naturel qui ne se justifierait vu la taille de la
niche. Mieux vaut alors laisser la niche aux petits concurrents et rester
concentré sur un marché plus large.
Autrement dit,
la présence effective de concurrents n’est pas nécessaire
pour faire plier un monopole naturel. La simple menace de pression
concurrentielle peut suffire à inciter le monopole naturel à
maintenir ses prix relativement bas et à améliorer son produit
en continu.
Un exemple
souvent ignoré du grand public est celui du pétrole. Alors que Rockefeller
obtient un monopole quasi-absolu sur la production et la distribution du pétrole
aux États-Unis, il découvre également la pression
concurrentielle potentielle de la Russie et du Mexique. Les schémas visant
à soudoyer les transporteurs et les distributeurs au détail peuvent
fonctionner contre un rival isolé. Mais pas si les rivaux potentiels viennent
de loin ou s’ils sont trop nombreux, la technique échoue et il
ne reste plus au monopole que de continuer à être meilleur. Du
coup, Standard Oil fut obligée de pratiquer
des prix relativement bas en dépit d’un monopole naturel bien
établi. N’en déplaisent aux lois antitrust
américaines qui se sont acharnées contre ce monopole, elles n’ont
pas fait évoluer les prix pour le consommateur qui étaient
déjà sujets à une réelle pression concurrentielle.
C’est
seulement quand le monopole naturel obtient un privilège juridique qu’il
peut dès lors se libérer de la souveraineté du
consommateur et abuser en matière de prix et de qualité. C’est
le cas de la téléphonie fixe qui dans presque tous les pays a
longtemps appartenu à l’État.
C’est aussi le cas aujourd’hui, dans une certaine mesure de la
téléphonie mobile, protégée par des licences
d’exploitation.
J’ose
même affirmer qu’il n’est pas possible de trouver un
monopole naturel qui ait pu abuser de position sans en même temps
détenir un privilège de monopole octroyé par l’État.
|