Le
comportement économique est caractérisé par la
quête de la meilleure (et pas nécessairement de la plus grande)
récompense possible par rapport à un effort donné. Pour
les producteurs – qui cherchent à vendre leurs produits au prix
le plus élevé possible – il s’agit de
différencier le plus possible leurs produits, soit par le prix soit
par la qualité (« perçue » ou
« réelle »). Le comportement économique
des consommateurs se manifeste pour sa part par une recherche continue de
produits accessibles étant donnée la qualité
désirée.
Cette
interaction entre les désirs des producteurs et ceux des consommateurs
exige et justifie l’adoption ou l’abandon de nouvelles techniques
voire la récupération d’anciennes techniques.
Cette
dynamique est clairement visible sur le marché du vin. En effet,
l’évolution de ce marché a été
marquée par un aller-retour permanent entre ce que les producteurs
peuvent offrir et ce que les consommateurs désirent.
Ainsi,
avant la banalisation du procédé de distillation et
l’utilisation à grande échelle du houblon, le vin, en tant que
boisson, régnait pratiquement en maître en Europe.
L’eau
était, en effet, généralement impropre à la
consommation directe. La bière sans houblon se périmait trop
vite. Les autres boissons fermentées comme l’hydromel
étaient trop sucrées et devenaient vite écœurante
pour une consommation régulière. Les boissons stimulantes
telles que le café ou le thé étaient encore inconnues en
Europe et n’allaient faire leur apparition qu’au début du
XVIIème siècle grâce au commerce de marchands
vénitiens et anglais.
Autrement
dit, avant le XVIIème siècle, le vin jouissait pratiquement
d’un monopole naturel sur le marché des boissons en Europe et le
résultat était le suivant : des vins forts en alcool et
souvent de qualité médiocre, tout juste suffisante pour le
préférer à
l’eau plate. Les vins de qualité étaient réservés
aux cours royales et à la très haute noblesse.
L’arrivée
de la concurrence va changer cet état de fait. Avec le
développement de la bière à l’houblon
et des boissons distillées et stimulantes, le consommateur disposera
d’un choix plus vaste, ce qui va pousser les producteurs de vin
à améliorer la qualité de leurs produits.
Le
premier pas a été l’adoption de la bouteille en verre.
Auparavant, le vin vieillissait exclusivement dans des fûts ou tonneaux
en bois. Or, la garde en
fûts présente des défauts au-delà d’un
certain lapse de temps. En effet, elle se traduit souvent par des vins trop
boisés ou dégradés lorsque les tonneaux sont de mauvaise
qualité. La garde en bouteille fermée par un bouchon permet
ainsi de limiter le vieillissement en fût au temps nécessaire
pour donner au vin des arômes boisés. Une fois mis en bouteille,
le vin continue de vieillir par la micro-oxygénation à travers
le bouchon en liège.
Alors
que la garde en fût exclusivement ne permettait de produire que des
vins de qualité moyenne et donc offerts à des prix relativement
bas, l’offre de vins en
bouteille va permettre d’atteindre un niveau de qualité plus
élevé attendu par le consommateur qui se montre
d’ailleurs prêt à le payer plus cher.
L’évolution
dans la production du vin se trouve particulièrement
accélérée en France du fait de circonstances
géographiques et politiques particulières. La région de
Bordeaux est grandement influencée par les Anglais du fait que
l’Aquitaine est restée longtemps sous leur influence à l’époque des
Plantagenets (XIème siècle) et pendant la Guerre de Cents Ans
(1337-1453).
Éloignée
du grand marché parisien, Bordeaux bénéficie
néanmoins du marché anglais, en particulier de la demande de la
cour royale. Cela va pousser les producteurs de vins de Bordeaux à
améliorer la qualité de leurs produits destinés à
l’exportation. Cette qualité continuera de s’améliorer
au fil des ans, poussée par
le développement économique anglais. En dépit des
guerres qui opposeront les deux pays,
ce lien entre demande anglaise et qualité subsistera.
La
région de Bourgogne
connait, elle aussi, une évolution
accélérée par rapport au reste de l’Europe et cela
pour deux raisons. La première tient à l’accès
facile qu’ont les producteurs de cette région aux marchés situés au
Sud, surtout à l’époque où le Pape réside
à Avignon. Il s’agit de consommateurs exigeants en la
matière. La
deuxième raison est l’influence que les ducs de Bourgogne
exercent à l’époque qui atteint les Flandres et les
riches provinces des Pays Bas : une demande toute aussi exigeante que
celle des papes.
Les
vignobles du reste de l’Europe ne connaîtront pas une
évolution de cette ampleur dans la mesure où la demande y
restera longtemps moins exigeante. L’explication est aussi bien
géographique que socio-économique.
L’Espagne,
l’Italie et les pays de l’Europe de l’Est, en dépit
d’une culture ancestrale de la vigne, se sont trouvés trop
éloignés des pays où a émergé une demande
de vins de plus grande qualité.
Ensuite, ces pays sont
restés parmi les plus pauvres de l’Europe, ce qui se traduisait
par un marché certes volumineux, mais moins exigeant en terme de
qualité et plus attentif aux prix. C’est ainsi que les
producteurs n’y hésitaient pas à édulcorer le vin
pour en baisser le coût. En Italie, par exemple, la
traçabilité d’une bouteille ne fera véritablement
son apparition que dans les années 1960 avec la création des
premières appellations d’origine en Italie
C’est lors des
conflits franco-britanniques du XVIIIème siècle que les anglais
ont aidé les portugais à développer le Porto. En manque
de vin français à cause de la guerre et dû à la difficulté
à préserver le vin lors du voyage entre le Portugal et
l’Angleterre, les marchands ont eu l’idée de fortifier le
vin portugais avec de l’eau-de-vie. La réaction des
marchés aux interventions belliqueuses des états a
été la création d’un nouveau rival pour le vin
traditionnel.
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