|
Les
échéances européennes se rapprochent, et leurs
implications vont balayer dans les semaines et les mois qui viennent ce qui a
été péniblement bricolé jusqu’ici et ne
tient pas debout.
Sans attendre
le dîner du 11 mars des dirigeants de la zone euro, ni le sommet
informel de ceux de l’Union européenne des 24 et 25 mars, les
élections irlandaises du 25 février prochain vont lancer la
renégociation des conditions du sauvetage de l’Irlande,
déjà discrètement en cours d’évaluation.
Non sans une certaine logique – quoique involontaire –
puisqu’il vaut mieux se défaire des malfaçons avant de
rebâtir !
Alan Dukes,
ancien ministre des finances et président de l’Anglo Irish Bank
nationalisée, vient de jeter de l’huile sur un feu
déjà bien entretenu par la campagne électorale. Il a
estimé que 50 milliards d’euros, en plus des 35 milliards
déjà décidés dans le cadre du plan de sauvetage,
seraient encore nécessaires pour assurer un niveau adéquat de fonds
propres aux banques irlandaises. Il a également apporté un
éclairage sans complaisance à la situation en annonçant
que ces établissements financiers dépendaient encore à
hauteur de 132 milliards d’euros des prêts de la BCE, sans tenir
compte des 51 milliards d’euros prêtés par la banque
centrale irlandaise, avec l’accord de cette dernière.
Alan Dukes a
reconnu que la BCE jouait un rôle de substitut aux marchés pour
lequel « elle n’a pas été conçue et est
mal équipée ». Il a appelé l’eurozone
à la remplacer, en accroissant les moyens de son fonds de
stabilité, afin que « le système financier et
bancaire irlandais ne mette pas à terre le système dans son
ensemble ». Car, a-t-il expliqué, « d’importantes
banques de l’eurozone ont des expositions significatives à la
dette publique et privée irlandaise. Un défaut sur l’une
ou l’autre aurait de sérieuses répercussions sur toute la
zone. La BCE est parmi les banques qui seraient durement affectées par
un tel défaut, étant donné que la majeure partie de la
dette souveraine et de la dette garantie par l’Etat a atterri à
la BCE et à la banque centrale irlandaise, sous la forme de
collatéraux mis en pension par les banques irlandaises ».
Une autre
impasse est parallèlement évoquée sous un angle
différent, celui d’une restructuration de la dette publique que
de plus en plus de voix considèrent comme strictement
inévitable pour la Grèce (pour commencer). Interrogé par
la commission économique du Parlement européen sur une telle
éventualité deux jours auparavant, Jean-Claude Trichet
s’était adressé publiquement aux gouvernements grecs et
irlandais : « Mon message est simple : il faut
appliquer les programmes. Ce message s’adresse au gouvernement grec,
mais aussi à l’Irlande, afin de retrouver une
crédibilité. Cela prend du temps (…) Les plans
adoptés doivent être exécutés et la
communauté internationale attend que l’on se conduise de
manière appropriée ».
Lorenzo Bini
Smaghi, l’un des gouverneurs de la BCE, n’a toutefois pas
claqué la porte aussi brutalement, évoquant la
possibilité d’une adaptation du plan d’aide à
l’Irlande, un principe qu’il oppose à celui d’une
renégociation. Quant à la Grèce, il a simplement
estimé qu’elle devait passer par « les
procédures normales » de l’Union européenne et
du FMI pour discuter. S’opposant avec virulence à toute
restructuration de dette, peut-être en est-il venu à
l’idée qu’il est préférable pour
l’éviter de faire la part du feu.
Le
débat sur le renforcement du fonds de stabilité
européen, ou à propos de son successeur en 2013, ne pourra pas
éluder la remise à plat désormais
quasi-inévitable des plans mis en œuvre en Grèce et en
Irlande. Mais le fossé s’élargit entre ce qui est tout
juste admis et ce qui va se révéler nécessaire pour ces
deux pays, et qui ferait alors jurisprudence.
Un autre
événement semble s’être produit, qui à lui
seul symboliserait l’échec de l’orientation d’Angela
Merkel et du gouvernement allemand, dont l’application peine pour le
moins. Il s’agirait de la renonciation d’Alex Weber,
président de la Bundesbank, à la candidature pour
succéder à Jean-Claude Trichet à la présidence de
la BCE, fin octobre 2011. Elle n’a toutefois pas été
formellement confirmée par l’intéressé. Avec lui
disparaîtrait la clé de voûte d’un édifice
dont le futur équilibre serait rompu, ce qui explique qu’Angela
Merkel se soit dans l’urgence efforcée de le retenir. La stratégie
préconisée à Berlin n’est qu’une fuite en
avant à la mode allemande, dont l’élan initial est en
train se se briser. Un abandon d’Alex Weber ne ferait que l’illustrer.
D’autres
échéances attendent les dirigeants européens dans les
mois à venir, au Portugal et en Espagne, qui vont également
imposer une reconsidération de la politique « au jour le
jour » qui a jusqu’à maintenant prévalu.
L’Etat
portugais vient de boucler une émission syndiquée
(placée par des banques, sans adjudication sur le marché) de
3,5 milliards d’euros à 5 ans et au taux très
élevé de 6,5 %. Mais il continue d’être poussé
vers un sauvetage européen, alors que le taux de ses obligations
à 10 ans vient de grimper à 7,5 % et que le marché est
déserté à l’achat. Une opération de
refinancement de la dette de 9,5 milliards d’euros doit intervenir fin
juin, une somme qu’il sera difficile de lever dans ce contexte. Le sort
du Portugal pourrait se jouer fin mars au sommet européen, afin
d’éviter un nouveau sauvetage à chaud et un emballement
de la crise touchant l’Espagne, pays qu’il faut à tout
prix protéger.
La bulle
immobilière espagnole semble quant à elle ne rien avoir
à envier à celle des Irlandais, toutes deux constituant les
deux plus grands dangers de déstabilisation financière de la
zone euro. L’Espagne ayant donné fin septembre comme date limite
à ses cajas (caisses d’épargne) pour se
recapitaliser avec des fonds privés, celles-ci se sont engagées
dans leur transformation en banques classiques, afin de pouvoir entrer en
bourse et lever des capitaux. Mais les analystes ont le sentiment de se
retrouver dans une situation à l’irlandaise, où les
pertes sont reconnues au fur et à mesure que les concours sont
recueillis, le trou ne faisant que s’agrandir.
Le
gouvernement espagnol a annoncé qu’il haussait la barre et
réclamait dorénavant à certaines cajas un ratio
de 10 % de fonds propres par rapport aux engagements, mais il sous-estime
toujours le montant de ces derniers et des dépréciations qui
devraient être enregistrées. Cela afin de ne pas avoir à
mettre la main à la poche, dans un contexte de réduction de son
déficit et de ses propres engagements. D’autant que les
difficultés financières des régions, à commencer
par la Catalogne, la seconde en importance, impliquent qu’elles aillent
sur le marché, en contradiction avec la politique définie par
Madrid, le déficit des régions entrant dans le calcul du déficit
national. A elle seule, la Catalogne a besoin de 11 milliards d’euros
cette année. Toutes lesComunidades autónomas frappent
à la porte du gouvernement pour obtenir l’autorisation
d’émettre des obligations. Toutes les coutures craquent :
combien de temps ces fictions vont-elles pouvoir tenir ?
Dans
l’immédiat, le pacte de compétitivité que
les Allemands, suivis par les Français, ont tenté
d’imposer lors du dernier sommet, a suscité une levée de
boucliers – notamment de la Belgique, du Luxembourg, de
l’Autriche et de l’Espagne – imposant à Angela Merkel
de reculer pour en faire une simple « base de
discussion ». La tentative de faire adopter à
l’échelle européenne un ensemble disparate de mesures,
dont certaines lourdes de conséquences sociales, a fait pour
l’instant long feu. L’Europe peut-elle être
façonnée sur le modèle de l’Allemagne ? Cette
étrange et irréaliste conception illustre l’absence de
véritable stratégie européenne de la part de ceux qui
l’impulsent comme de ceux qui la soutiennent du bout des lèvres.
Y a-t-il une
alternative envisagée à ce pacte mort-né ? Aucune,
si ce n’est de rapiécer tant bien que mal, à coups de
compromis qui restent à trouver d’ici fin mars. Sous sa forme
première, le pacte de compétitivité
s’est révélé inapplicable ; à
l’arrivée, il sera de la même portée que la
défunte stratégie de Lisbonne. Les considérations
électorales immédiates qui dominent la réflexion des
gouvernements allemand et français ne peuvent tenir lieu de
stratégie européenne.
Même si
elle est atténuée provisoirement, la logique de
l’éclatement de l’euro est toujours forte. La
préservation de son unité suppose des mécanismes de
solidarité financière qui restent introuvables. Alors que les
mégabanques allemandes, britanniques et françaises, hier trop
heureuses d’acheter de la dette des pays de la zone des tempêtes,
ne savent plus aujourd’hui comment s’en défaire, les Etats
concernés ne pouvant les rembourser. On attend à ce propos avec
curiosité et intérêt les nouvelles – qui se font
attendre – des stress tests devant mesurer leur
résistance et déterminer leurs besoins de recapitalisation. Les
Irlandais ayant tiré les premiers, les Espagnols, les Allemands et les
Français pourraient prendre exemple sur eux…
Pour ces
derniers, cela ne semble pas bien parti. Un rapport sur la prévention
et la résolution des crises bancaires, rédigé par
Jean-François Lepetit, président du Conseil national de la
comptabilité, et Thierry Dissaux, conseiller à la direction du
Trésor, vient d’être remis à Christine Lagarde. Il
va, de son point de vue, à l’essentiel en combattant toute
« surcharge systémique » des banques (des
exigences renforcées de fonds propres), car elle romprait
« l’égalité de concurrence entre
établissements », le principe de la labellisation des
banques en tant qu’établissements systémiques
étant en soi « contestable »… C’est
tout ce qu’ils ont trouvé.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*)
Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste
presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs
et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il
le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
|
|