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L'armée
française vient de déplorer une perte de 10 morts
et 21 blessés en Afghanistan, lors d'un affrontement violent avec des
talibans. Nicolas Sarkozy a, fort justement, évoqué la
dureté de la guerre "contre le terrorisme", et la
nécessité de la poursuivre avec détermination.
Sauf que... Nos
soldats tombés à Kaboul sont bien moins les victimes de la
guerre contre le terrorisme que de celle menée contre la
drogue. Vous ne voyez pas le rapport ? Pourtant...
Alors que,
malgré une résurgence des attaques d'Al Qaeda mi 2007, la
guerre d'Irak, longtemps présentée comme un bourbier par la
plus grande partie de notre presse, est considérée comme
presque gagnée par tous les observateurs objectifs (même libé l'admet),
la guerre d'Afghanistan, où l'o croyait la victoire rapide, est
aujourd'hui en passe de dégénérer en conflit difficile
pour la coalition, tout comme il fut un calvaire pour l'armée rouge
durant les années 80. Pourquoi, alors que tout portait à croire
que la pacification serait bien plus aisée en Afghanistan que sur les
rives du Tigre, la situation s'est elle à ce point renversée ?
La réponse
est simple. En Irak, les américains ont brisé les cellules d'Al
Qaeda et les milices para-islamistes de Moqtada Al Sadr en s'intégrant
à la population, et en se focalisant sur la lutte contre les fauteurs
de troubles dont les irakiens étaient lassés. Forts d'un
soutien populaire croissant, au contraire des terroristes, ils ont pu de plus
en plus facilement repérer et neutraliser les groupes armés
hostiles à la pax americana.
En Afghanistan,
l'inverse s'est produit. Les armées alliées, suite à
leur victoire militaire éclair, furent d'abord accueillies en
libératrices par une grande partie des afghans qui avaient beaucoup
souffert du totalitarisme du régime du mollah Omar. D'un seul coup, la
population, brisée par des années de guerre, l'occupation
soviétique et la dictature islamiste, reprenait espoir, et
accédait à un niveau de liberté individuelle dont elle
n'avait jamais pu rêver auparavant. Pourtant, dès 2004, les
signes d'un retournement de la population étaient mis au jour par
quelques observateurs. Aujourd'hui, les armées alliées sont
perçues par une part croissante de la population comme une
entité ennemie, notamment dans la moitié sud du pays. La
raison ? Les
armées américaines ont voulu adjoindre à l'objectif
prioritaire que constituait la lutte contre les organisations
terroristes fondamentalistes, un second objectif politique majeur de toutes
les administrations américaines depuis les années 80: la lutte
contre la production d'Héroïne. Les
représentants de la DEA se sont lancés dès 2002 dans un
programme de... destruction
massive des champs de pavot dont l'Afghanistan est de très
loin le premier producteur mondial.
Ted Galen
Carpenter, chercheur au Cato Institute, prévenait, dès 2004,
que la guerre contre le terrorisme serait
irrémédiablement perdue en Afghanistan
si les USA persistaient à vouloir s'aliéner les paysans afghans
en coupant leur principale source de revenus. Le Senlis Council, un think
tank indépendant international, a publié de très
nombreux rapports, grâce à un réseau de
plus de 50 correspondants sur place, montrant que la politique de destruction
de champs d'opium jetait dans les bras des talibans des milliers de paysans
des campagnes afghanes. Or, l'Afghanistan est un pays à la fois rural
et montagneux. Les russes l'ont appris à leur dépens: celui qui
y perd le contrôle des campagnes, offre à l'adversaire une base
idéale pour préparer des assauts mortels contre Kaboul et
autres positions stratégiques.
Bien que la
part de la valeur ajoutée du trafic de drogue perçue par
les paysans afghans soit tout à fait négligeable par rapport
aux profits réalisés par les autres acteurs de ce commerce, des
raffineurs aux distributeurs, elle fait souvent la différence entre un
niveau de vie misérable et la capacité de s'offrir une vie
meilleure, au dessus de la "ligne de survie". Dans un pays
où, dans les années 90, 1 enfant sur 5 n'atteignait pas
l'âge de 5 ans, le pavot est le plus souvent la bouée de
sauvetage des familles rurales les plus modestes. Environ 30% de la
population afghane tire une grande partie de ses revenus de la drogue
aujourd'hui.
En aidant les
familles placées en détresse par la destruction de leur moyen
de survie, et en organisant le trafic, les talibans jouent sur du velours.
Là où l'armée régulière afghane paie ses
soldats 40$ par mois, l'argent de la drogue permet aux talibans d'offrir 300$
à ses combattants, et de trouver un soutien populaire leur permettant
de monter des actions militaires de plus en plus ambitieuses contre les
troupes alliées. Aujourd'hui, toujours selon le Senlis Council, leur emprise
sur le "triangle d'or" est importante, pour ne pas
dire majeure. La reprise en main du sud par les talibans n'est pourtant
pas une bonne nouvelle pour une grande part de la population. Les
écoles de filles sont massivement fermées, voire
détruites, des enseignants assassinés, partout où les
obscurantistes islamo-fascistes reprennent le contrôle du pouvoir. Et
la conception de la vie en société des talibans, notamment vis
à vis des femmes, n'a absolument pas évolué depuis leur
chute en 2001.
Cette politique
a-t-elle au moins permis de réduire la production de drogue afghane
à destination de l'occident ? Au contraire. Chaque champ
détruit tend à augmenter le prix de la matière
première, le pavot, et à convertir de nouveaux paysans à
cette culture. De plus, il n'y a pas que les talibans qui tirent profit
de la prohibition. Une grande partie de l'entourage du président
Karzaï participe activement au trafic, en le
protégeant ou en l'organisant. Les saisies d'opium ou
d'héroïne sur le territoire Afghan représentent moins du
quart des saisies totales, alors que l'on estime que 93% de la production
mondiale y est aujourd'hui concentrée. Les prix de détail de la
drogue afghane ne cessent de chuter, signe que la production reste abondante.
Comme tous les pays producteurs, l'Afghanistan est également
confronté à une augmentation de la consommation.
La
politique de prohibition, parce qu'elle multiplie d'un facteur 20 à
100 le prix de détail des drogues par rapport à celui d'un
médicament suivant exactement les mêmes processus de production,
et parce qu'elle place de facto le commerce de ces substances aux mains de
mafias plutôt que dans celle de l'industrie pharmaceutique
civilisée, alimente des conflits, des guerres de gangs, des
guérillas, et des circuits de corruption massive qui ne
déstabilisent pas que l'Afghanistan.
Les FARC
colombiennes, malgré les succès récents du gouvernement
Uribe, bénéficient toujours d'appuis solides dans certaines régions rurales de Colombie.
Dans les 10 dernières années, on estime que 35000 colombiens ont directement trouvé
la mort du fait de la guerre contre la drogue, et que
près de deux millions, généralement de la classe
moyenne, ont fui le pays. Une telle saignée n'est pas sans
conséquence graves sur l'économie... Pour ceux qui sont restés.
La guerre contre
le narco trafic lancée par le président du Mexique Felipe
Calderon depuis fin 2006 a déjà fait près de 5000 morts.
Certaines villes de la frontière américano-mexicaine sont
devenues plus dangereuses que Bagdad. L'immigration clandestine vers les USA
atteint des sommets, même des mexicains aisés cherchant à
fuir l'insécurité montante.
Qui peut
sérieusement oser affirmer que les problèmes de santé
publique liés à la consommation de la drogue, quels qu'ils
soient, justifient des politiques prohibitionnistes qui engendrent de tels
résultats ? D'autant plus que de nombreuses études
montrent que la prohibition ne fait qu'amplifier les problèmes
liés à la consommation de drogue dans nos pays.
Les profits
marginaux énormes promis par le trafic poussent les dealers à
cibler les adolescents les plus fragiles, et ce dès la cour de
l'école. L'âge moyen des toxicomanes a d'ailleurs fortement
augmenté aux Pays-Bas depuis la légalisation de certaines drogues,
signe que les scolaires sont moins touchés. Les drogues vendues dans
la rue, coupées avec des substances non prévues pour un usage
intraveineux (détergents, talc, vernis à bateaux, poudres
plastiques...), se révèlent plus dangereuses du fait de ces excipients
que du principe actif des drogues elles mêmes. Le dosage parfois
aléatoire des drogues provoque régulièrement des
overdoses, dont le nombre officiel est largement sous-estimé.
Les toxicomanes, criminalisés, ne peuvent facilement trouver de l'aide.
Les structures hospitalières ne peuvent pas mener une recherche
efficace sur la drogue, ses effets et ses remèdes, faute de pouvoir
monter des protocoles de recherche légaux. Plus
prosaïquement, les hôpitaux souffriraient d'une pénurie de
morphine légale.
Et surtout, le
budget nécessaire à la consommation de drogues dites dures
pousse de nombreux toxicomanes soit vers la prostitution, soit vers d'autres
activités illégales: braquage, proxénétisme,
etc... Aux USA, 0,7% de la population est sous les verrous, dont plus de 70%
pour des affaires liées, directement ou indirectement, à la
drogue... Et le budget total des prisons atteint 44 milliards de dollars. Stupéfiant !
Imaginons que
demain, la consommation de drogues soit totalement légalisée,
ainsi que la production et la vente sous réserve du respect d'une
réglementation minimale afin d'éviter que l'héroïne
ou le crack ne ne soient vendus à côté des paquets
de bonbons en grande surface (par exemple, en imposant la vente en officines
médicalisées). Le budget moyen d'un toxicomane serait
ramené à quelques dizaines d'euros par mois (une tablette de
morphine légalement produite en Inde a un prix de revient de... 3
cents). La délinquance liée au besoin de drogue serait ramenée
à pratiquement zéro. Les trafiquants disparaîtraient du
paysage, remplacés par des sociétés pharmaceutiques
responsables de leur actes et des distributeurs agréés,
obligés d'informer leurs clients sur les dangers potentiels de leur
produit. Plus aucun dealer ne ferait le siège des collèges,
faute de marges suffisantes.
Les
hôpitaux et les laboratoires pourraient enfin lancer des recherches
à la fois sur les cures efficaces pour toxicomanes, mais aussi sur les
possibilités thérapeutiques offertes par ces substances, aujourd'hui
très sous exploitées. Depuis que les usages
thérapeutiques de la marijuana ont été, sous certaines
conditions, légalisés en Californie, une industrie dynamique
qui ne demande qu'à exploser à vu le jour.
Pour le paysan
Afghan, l'opération serait également profitable: certes, le
prix de la matière première serait plus bas, mais les circuits
de vente aux producteurs de drogues légales ne seraient plus
grevés par le coût d'entretien du service d'ordre taliban, et la
fin du risque de voire sa récolte détruite par des soldats
diminuerait la "prime de risque" qui affecte cette activité.
Il est probable qu'un certain nombre de paysans seraient conduits à préférer
d'autres cultures, comme les épices.
Et surtout, les
talibans perdraient leur principale source tant de financement que de
soutien populaire. Les chances de décollage économique de
l'Afghanistan seraient accrues, du fait des moindres profits réalisables
à travers la corruption des officiels. La démocratie fragile
naissante s'en trouverait renforcée. La fin de la prohibition ne
règlerait pas tous les problèmes de violence dans le monde,
loin s'en faut, mais elle les allègerait grandement.
Et, j'ai failli
dire "accessoirement", nos soldats vivraient encore.
Il est plus que
jamais urgent que les USA et les nations d'Europe s'interrogent sur le
bien fondé de leurs politiques prohibitionnistes. Cela n'a rien
d'impossible. Les témoignages de policiers anti-drogue et de
magistrats qui comprennent que la guerre contre la drogue est de toute
façon perdue se multiplient. Les travaux scientifiques, les
enquêtes montrant les ravages de la prohibition sont innombrables
et commencent à se faire une place dans certains journaux.
Le saviez vous ?
Si les lois américaines étaient appliquées dans toutes
leur rigueur, l'épouse d'un des deux candidats à la maison
blanche, et l'autre candidat en personne, devraient être poursuivis
pour usage de produits illégaux, tout comme 46% des américains
qui disent avoir consommé au moins une fois ces substances.
Faudrait-il donc que Cindy Mc Cain et
Barack Obama soient enfermés pour provoquer une
prise de conscience salutaire ?
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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