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Afghanistan: les soldats français victimes de la guerre contre la drogue

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Publié le 22 août 2008
2119 mots - Temps de lecture : 5 - 8 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

L'armée française  vient de déplorer une perte  de 10 morts et 21 blessés en Afghanistan, lors d'un affrontement violent avec des talibans. Nicolas Sarkozy a, fort justement, évoqué la dureté de la guerre "contre le terrorisme", et la nécessité de la poursuivre avec détermination.

 

Sauf que... Nos soldats tombés à Kaboul sont bien moins les victimes de la guerre contre le terrorisme que de celle menée  contre la drogue.  Vous ne voyez pas le rapport ? Pourtant...

 

Alors que, malgré une résurgence des attaques d'Al Qaeda mi 2007, la guerre d'Irak, longtemps présentée comme un bourbier par la plus grande partie de notre presse, est considérée comme presque gagnée par tous les observateurs objectifs (même libé l'admet), la guerre d'Afghanistan, où l'o croyait la victoire rapide, est aujourd'hui en passe de dégénérer en conflit difficile pour la coalition, tout comme il fut un calvaire pour l'armée rouge durant les années 80. Pourquoi, alors que tout portait à croire que la pacification serait bien plus aisée en Afghanistan que sur les rives du Tigre, la situation s'est elle à ce point renversée ?

 

La réponse est simple. En Irak, les américains ont brisé les cellules d'Al Qaeda et les milices para-islamistes de Moqtada Al Sadr en s'intégrant à la population, et en se focalisant sur la lutte contre les fauteurs de troubles dont les irakiens étaient lassés. Forts d'un soutien populaire croissant, au contraire des terroristes, ils ont pu de plus en plus facilement repérer et neutraliser les groupes armés hostiles à la pax americana.

 

En Afghanistan, l'inverse s'est produit. Les armées alliées, suite à leur victoire militaire éclair, furent d'abord accueillies en libératrices par une grande partie des afghans qui avaient beaucoup souffert du totalitarisme du régime du mollah Omar. D'un seul coup, la population, brisée par des années de guerre, l'occupation soviétique et la dictature islamiste, reprenait espoir, et accédait à un niveau de liberté individuelle dont elle n'avait jamais pu rêver auparavant. Pourtant, dès 2004, les signes d'un retournement de la population étaient mis au jour par quelques observateurs. Aujourd'hui, les armées alliées sont perçues par une part croissante de la population comme une entité ennemie, notamment dans la moitié sud du pays.  La raison ? Les armées américaines ont voulu adjoindre à l'objectif prioritaire que  constituait la lutte contre les organisations terroristes fondamentalistes, un second objectif politique majeur de toutes les administrations américaines depuis les années 80: la lutte contre la production d'Héroïne.  Les représentants de la DEA se sont lancés dès 2002 dans un programme de... destruction massive des champs de pavot dont l'Afghanistan est de très loin le premier producteur mondial.

 

Ted Galen Carpenter, chercheur au Cato Institute, prévenait, dès 2004, que la guerre contre le terrorisme serait irrémédiablement perdue en Afghanistan si les USA persistaient à vouloir s'aliéner les paysans afghans en coupant leur principale source de revenus. Le Senlis Council, un think tank indépendant international, a publié de très nombreux rapports, grâce à un réseau de plus de 50 correspondants sur place, montrant que la politique de destruction de champs d'opium jetait dans les bras des talibans des milliers de paysans des campagnes afghanes. Or, l'Afghanistan est un pays à la fois rural et montagneux. Les russes l'ont appris à leur dépens: celui qui y perd le contrôle des campagnes, offre à l'adversaire une base idéale pour préparer des assauts mortels contre Kaboul et autres positions stratégiques.   

 

Bien que la part  de la valeur ajoutée du trafic de drogue perçue par les paysans afghans soit tout à fait négligeable par rapport aux profits réalisés par les autres acteurs de ce commerce, des raffineurs aux distributeurs, elle fait souvent la différence entre un niveau de vie misérable et la capacité de s'offrir une vie meilleure, au dessus de la "ligne de survie". Dans un pays où, dans les années 90, 1 enfant sur 5 n'atteignait pas l'âge de 5 ans, le pavot est le plus souvent la bouée de sauvetage des familles rurales les plus modestes. Environ 30% de la population afghane tire une grande partie de ses revenus de la drogue aujourd'hui.

 

En aidant les familles placées en détresse par la destruction de leur moyen de survie, et en organisant le trafic, les talibans jouent sur du velours. Là où l'armée régulière afghane paie ses soldats 40$ par mois, l'argent de la drogue permet aux talibans d'offrir 300$ à ses combattants, et de trouver un soutien populaire leur permettant de monter des actions militaires de plus en plus ambitieuses contre les troupes alliées. Aujourd'hui, toujours selon le Senlis Council, leur emprise sur le "triangle d'or" est importante, pour ne pas dire majeure.  La reprise en main du sud par les talibans n'est pourtant pas une bonne nouvelle pour une grande part de la population. Les écoles de filles sont  massivement fermées, voire détruites, des enseignants assassinés, partout où les obscurantistes islamo-fascistes reprennent le contrôle du pouvoir. Et la conception de la vie en société des talibans, notamment vis à vis des femmes, n'a absolument pas évolué depuis leur chute en 2001.

 

Cette politique a-t-elle au moins permis de réduire la production de drogue afghane à destination de l'occident ? Au contraire. Chaque champ détruit tend à augmenter le prix de la matière première, le pavot, et à convertir de nouveaux paysans à cette culture. De plus, il n'y a pas que les talibans qui tirent profit de  la prohibition. Une grande partie de l'entourage du président Karzaï participe activement au trafic, en le protégeant ou en l'organisant. Les saisies d'opium ou d'héroïne sur le territoire Afghan représentent moins du quart des saisies totales, alors que l'on estime que 93% de la production mondiale y est aujourd'hui concentrée. Les prix de détail de la drogue afghane ne cessent de chuter, signe que la production reste abondante. Comme tous les pays producteurs, l'Afghanistan est également confronté à une augmentation de la consommation.

 

La  politique de prohibition, parce qu'elle multiplie d'un facteur 20 à 100 le prix de détail des drogues par rapport à celui d'un médicament suivant exactement les mêmes processus de production, et parce qu'elle place de facto le commerce de ces substances aux mains de mafias plutôt que dans celle de l'industrie pharmaceutique civilisée, alimente des conflits, des guerres de gangs, des guérillas, et des circuits de corruption massive qui ne déstabilisent pas que l'Afghanistan.

 

Les FARC colombiennes, malgré les succès récents du gouvernement Uribe, bénéficient toujours d'appuis solides dans certaines régions rurales de Colombie.  Dans les 10 dernières années, on estime que  35000 colombiens ont directement trouvé la mort du fait de la guerre contre la drogue, et que près de deux millions, généralement de la classe moyenne, ont fui le pays. Une telle saignée n'est pas sans conséquence graves sur l'économie... Pour ceux qui sont restés.

 

La guerre contre le narco trafic lancée par le président du Mexique Felipe Calderon depuis fin 2006 a déjà fait près de 5000 morts. Certaines villes de la frontière américano-mexicaine sont devenues plus dangereuses que Bagdad. L'immigration clandestine vers les USA atteint des sommets, même des mexicains aisés cherchant à fuir l'insécurité montante.

 

Qui peut sérieusement oser affirmer que les problèmes de santé publique liés à la consommation de la drogue, quels qu'ils soient, justifient des politiques prohibitionnistes qui engendrent de tels résultats ?  D'autant plus que de nombreuses études montrent que la prohibition ne fait qu'amplifier les problèmes liés à la consommation de drogue dans nos pays.

 

Les profits marginaux énormes promis par le trafic poussent les dealers à cibler les adolescents les plus fragiles, et ce dès la cour de l'école. L'âge moyen des toxicomanes a d'ailleurs fortement augmenté aux Pays-Bas depuis la légalisation de certaines drogues, signe que les scolaires sont moins touchés. Les drogues vendues dans la rue, coupées avec des substances non prévues pour un usage intraveineux (détergents, talc, vernis à bateaux, poudres plastiques...), se révèlent plus dangereuses du fait de ces excipients  que du principe actif des drogues elles mêmes. Le dosage parfois aléatoire des drogues provoque régulièrement des overdoses, dont le nombre officiel est largement sous-estimé.  Les toxicomanes, criminalisés, ne peuvent facilement trouver de l'aide. Les structures hospitalières ne peuvent pas mener une recherche efficace sur la drogue, ses effets et ses remèdes, faute de pouvoir monter des protocoles de recherche légaux.  Plus prosaïquement, les hôpitaux souffriraient d'une pénurie de morphine légale.

 

Et surtout, le budget nécessaire à la consommation de drogues dites dures pousse de nombreux toxicomanes soit vers la prostitution, soit vers d'autres activités illégales: braquage, proxénétisme, etc... Aux USA, 0,7% de la population est sous les verrous, dont plus de 70% pour des affaires liées, directement ou indirectement, à la drogue... Et le budget total des prisons atteint 44 milliards de dollars. Stupéfiant !

 

Imaginons que demain, la consommation de drogues soit totalement légalisée, ainsi que la production et la vente sous réserve du respect d'une réglementation minimale afin d'éviter que l'héroïne ou le crack ne  ne soient vendus à côté des paquets de bonbons en grande surface (par exemple, en imposant la vente en officines médicalisées). Le budget moyen d'un toxicomane serait ramené à quelques dizaines d'euros par mois (une tablette de morphine légalement produite en Inde a un prix de revient de... 3 cents). La délinquance liée au besoin de drogue serait ramenée à pratiquement zéro. Les trafiquants disparaîtraient du paysage, remplacés par des sociétés pharmaceutiques responsables de leur actes et des distributeurs agréés, obligés d'informer leurs clients sur les dangers potentiels de leur produit. Plus aucun dealer ne ferait le siège des collèges, faute de marges suffisantes.

 

Les hôpitaux et les laboratoires pourraient enfin lancer des recherches à la fois sur les cures efficaces pour toxicomanes, mais aussi sur les possibilités thérapeutiques offertes par ces substances, aujourd'hui très sous exploitées. Depuis que les usages thérapeutiques de la marijuana ont été, sous certaines conditions, légalisés en Californie, une industrie dynamique qui ne demande qu'à exploser à vu le jour.

 

Pour le paysan Afghan, l'opération serait également profitable: certes, le prix de la matière première serait plus bas, mais les circuits de vente aux producteurs de drogues légales ne seraient plus grevés par le coût d'entretien du service d'ordre taliban, et la fin du risque de voire sa récolte détruite par des soldats diminuerait la "prime de risque" qui affecte cette activité. Il est probable qu'un certain nombre de paysans seraient conduits à préférer d'autres cultures, comme les épices.

 

Et surtout, les talibans perdraient leur principale source tant de financement  que de soutien populaire. Les chances de décollage économique de l'Afghanistan seraient accrues, du fait des moindres profits réalisables à travers la corruption des officiels. La démocratie fragile naissante s'en trouverait renforcée.  La fin de la prohibition ne règlerait pas tous les problèmes de violence dans le monde, loin s'en faut, mais elle les allègerait grandement.   

 

Et, j'ai failli dire "accessoirement", nos soldats vivraient encore. 

 

Il est plus que jamais urgent que  les USA et les nations d'Europe s'interrogent sur le bien fondé de leurs politiques prohibitionnistes. Cela n'a rien d'impossible. Les témoignages de policiers anti-drogue et de magistrats qui comprennent que la guerre contre la drogue est de toute façon perdue se multiplient. Les travaux scientifiques, les enquêtes montrant les ravages de la prohibition sont innombrables et commencent à se faire une place dans certains journaux.

 

Le saviez vous ? Si les lois américaines étaient appliquées dans toutes leur rigueur, l'épouse d'un des deux candidats à la maison blanche, et l'autre candidat en personne, devraient être poursuivis pour usage de produits illégaux, tout comme 46% des américains qui disent avoir consommé au moins une fois ces substances. Faudrait-il donc que Cindy Mc Cain et Barack Obama soient enfermés pour provoquer une prise de conscience salutaire ?

 

Vincent Bénard

Objectif Liberte.fr

Egalement par Vincent Bénard

 

Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement, crise publique, remèdes privés", ouvrage publié fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de marché pour y remédier.

 

Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr

 

Publications :

"Logement: crise publique, remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat

Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république, bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc française, avec Pierre de la Coste

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits réservés par Vincent Bénard.

 

 

 

 

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