Le
dernier ressort fait à son tour question : ce que l’on peut
attendre de la BCE devient sujet de discussion. Christian Noyer, le
président de la Banque de France et à ce titre également
gouverneur de la BCE, a mangé le morceau. Il a reconnu que baisser une
nouvelle fois le taux directeur de la BCE – qui vient de le diminuer
à 0,75 % – et mettre à zéro le taux de
rémunération des dépôts bancaires n’a dans
la pratique que peu d’effet. Dans le jargon des banquiers centraux,
cela donne : « nous avons un clair problème de transmission de
la politique monétaire ». Aux yeux des marchés,
constate-t-il, le coût de financement de la dette souveraine prend le
pas sur le taux de base de la BCE dans l’appréciation des taux
qu’ils pratiquent lorsqu’ils prêtent aux banques.
Le
gouverneur ajoute qu’il n’est pas possible d’y
remédier en se reposant sur l’autre instrument
privilégié de la banque centrale – le financement massif
des banques commerciales par des prêts à trois ans – car
cela implique d’accueillir dans son bilan l’équivalent en
liquidités. C’est-à-dire en collatéraux
apportés en garantie et dont la BCE devient propriétaire avant
de les revendre à l’occasion du remboursement des prêts, si
toutefois celui-ci intervient…
Christian
Noyer pourrait être plus explicite à ce sujet, sa remarque
pouvant être formulée autrement. Après avoir
abaissé à plusieurs reprises les seuils
d’acceptabilité des actifs fournis par les banques en garantie
de leurs emprunts, et avoir tenté de diluer le problème au sein
de l’Eurosystème en reportant sur les
banques centrales nationales la charge de les accepter dans leurs bilans, la
BCE est placée devant la perspective de continuer ou non sur cette
voie. Ce qui la conduirait à accepter des actifs de plus en plus
pourris ou bien de la dette souveraine des pays attaqués sur le
marché, dont la valeur diminue quand son taux monte. Rien de
réjouissant quand on s’interroge sur la capacité de son
emprunteur à vous rembourser, même quand on s’appelle BCE.
Certes,
celle-ci se protège en appliquant une décote sur les actifs
pris en pension (c’est l’expression consacrée), mais cela
ne règle pas le problème : plus la décote est forte,
plus les banques doivent puiser dans leurs stocks d’actifs et apporter
des titres de moins en moins bonne qualité.
L’autre
instrument privilégié, la diminution du taux directeur de la
BCE, fait également problème. Il menace les fonds
monétaires en laminant leurs marges et en incitant les investisseurs
à s’en retirer en rachetant leurs actions, ce qui amplifie
l’effet. Le phénomène a déjà pris de
l’ampleur, selon Standard & Poor’s.
En voulant diminuer le coût de l’argent afin de faciliter les
emprunts des banques pour les aider, la BCE prend le risque de mettre en
péril un placement prisé car considéré comme peu
risqué, ce qui ne court pas les rues.
La
décision de la BCE de conseiller aux ministres européens
d’inclure les détenteurs de créances seniors dans le
sauvetage des banques espagnoles, qui n’a pas été
à ce jour suivi d’effet, est un autre élément du
puzzle. Elle aurait été prise pour une fois à
l’unanimité, ce qui incite à se demander pourquoi. Deux
raisons ont été déjà proposées dans cette
chronique : l’une, à court terme, est qu’il s’agit d’éviter
de conforter la demande des Irlandais, des Grecs et des Portugais de
bénéficier rétroactivement du même traitement.
L’autre serait qu’il faut minorer la charge financière
reportée sur les États, déjà proches de sombrer.
Un troisième facteur est toutefois entré en ligne de compte
dans le tournant de la BCE : les moyens du FESF sont limités et ceux
du MES ne seront pas opérationnels avant au mieux la mi-septembre.
L’idée était donc de ne pas trop solliciter le premier.
À
entendre le commissaire européen Michel Barnier ou Christian Noyer, la
BCE est prête à assumer la tâche de supervision des
banques de la zone euro, le second précisant « dès demain
» et le premier se contentant de la fin de l’année. Mais
une chose est de superviser, une autre de disposer des moyens permettant de
faire face aux problèmes détectés. On a vu comment le
renforcement des fonds propres des banques par leurs propres moyens pouvait
être onéreux et enregistré que la BCE ne pouvait pas y
pourvoir de manière illimitée. D’autant qu’il
faudra rembourser dans deux ans et demi maintenant les emprunts massifs qui
ont été effectués auprès d’elle, sauf
à les faire rouler.
Si
le MES est destiné dans ces conditions à être une sorte
de soupape de sécurité, les États prenant donc le relais
de la BCE, faut-il encore qu’il soit suffisamment doté. On peut
fortement en douter, car il a également pour mission de
protéger des effets nuisibles du marché les banques en plus des
États. Or les premières n’étaient pas
originellement prévues dans le dispositif ! Tout cela annonce de
nouvelles discussions difficiles, dans le contexte d’une Allemagne qui
se recroqueville, les Länder les plus riches en venant à mettre
en cause la péréquation nationale des moyens des États
régionaux, dans la suite de cette logique.
Un
dernier débat traverse les édiles européens à
propos du périmètre de la zone de surveillance exercée
par la BCE. Les uns voudraient qu’elle englobe tout le système
financier, les autres qu’elle soit restreinte aux seuls grands
établissements systémiques, ceux qui posent
jusqu’à maintenant le moins de problèmes ! On ne pourra
s’empêcher de penser qu’il s’agit
d’éviter qu’il soit fouillé dans de
vénérables armoires de grand-mères, celles dont les
autorités politiques locales de certains pays opposées à
cet élargissement ont la clé.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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