L’arbitrage
règlementaire consiste à utiliser des techniques tout à fait légales de planification
comptable et financière afin d’éviter ou optimiser le paiement d’impôts,
l’adhésion aux règles comptables contraignantes, la divulgation de détention
des titres et autres coûts règlementaires. Il ne s’agit pas d’évasion fiscale
ou réglementaire, celle-ci étant illégale.
Pour ce faire,
l’arbitragiste règlementaire exploite un vide entre la substance économique
d’une transaction et son interprétation règlementaire. Ce vide provient
de ce que la loi n’arrive pas à bien jauger la complexité d’une transaction
économique et ne concerne alors qu’un aspect assez limité de cette
transaction. L’arbitragiste va donc procéder à cette transaction en se
concentrant sur les aspects non-réglementés tout en évitant les aspects
réglementés, ce qui permet de respecter la loi.
L’utilisation
des niches fiscales et des enveloppes fiscales – par exemple, le livret A, le
PEA, l’assurance-vie – sont un bon exemple d’arbitrage règlementaire pratiqué
au quotidien par bon nombre des Français. Le choix du statut d’auto
entrepreneur plutôt que celui d’une entreprise unipersonnel ou même celui de
salarié pour éviter de payer une partie des cotisations sociales en est un
autre exemple.
L’usage de
l’arbitrage règlementaire par les banques pour « optimiser » leur
respect des règles de Bâle peut être direct ou indirect. Dans le premier cas,
la banque arbitre tout simplement entre les catégories de risque d’actifs
qu’elle peut détenir (voir tableau 1 ci-dessous).
Type d’Actif
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Risque pondéré
|
Cash,
lettres et obligations des pays OCDE
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0%
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ABS
notés AA ou plus
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20%
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Hypothèques
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50%
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Crédit
aux entreprises et à la consommation
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100%
|
Comme expliqué
dans mon
dernier billet, une banque doit maintenir un ratio de capital de 8% par
rapport au montant total de ses actifs pondérés par leur risque. Par
conséquent, plus la banque détient des actifs risqués, plus ces 8%
représenteront un montant important. Elle arbitre donc entre les différentes
catégories de risque en choisissant des actifs considérés moins risqués. Un
élément problématique de ces catégories, c’est qu’au sein de chacune d’elles,
aucune distinction n’est faite entre les différents actifs. Ainsi, dans la
première catégorie à risque zéro, on pouvait retrouver des obligations allemandes
avec un rendement annuel de 3% et des obligations grecques avec un rendement
annuel de 10%. Le risque réel de ces obligations est évidemment très
différent mais était négligé par les catégorisations de Bâle. Dans un
tel cas, la banque n’hésitera pas un seul instant, si elle cherche la
rentabilité, à choisir l’obligation grecque. On retrouve cet arbitrage au
sein de chaque catégorie d’actifs.
Or, le respect
des règles permet à la banque d’obtenir un traitement privilégié de la banque
centrale en termes de couverture, car il devient très difficile d’un point de
vue légal de refuser des liquidités à une banque en péril qui a adhéré à
toutes les règles jusqu’au moment de la crise. Du coup, il n’y a aucune
réelle incitation pour la banque à choisir l’actif réellement moins
risqué et donc moins rentable dans une catégorie si elle peut choisir
d’autres actifs « similaires » et plus rentables au sein de cette
même catégorie, même s’ils sont plus risqués.
Le deuxième
cas d’arbitrage règlementaire est plus complexe. Recomposer son portefeuille
d’actifs en privilégiant les catégories moins risquées implique une moindre
utilisation du levier du crédit bancaire et donc beaucoup moins de recettes
pour une banque. Par ailleurs, concentrer son portefeuille d’actifs sur des
crédits risqués exige une immobilisation de capitaux propres plus
considérable, ce qui limite également la capacité de la banque à créer des
crédits supplémentaires.
La banque a
alors la possibilité de faire usage de la titrisation pour passer les crédits
qu’elle souhaite titriser en profits et pertes et réduire ainsi son total
d’actifs pondéré au risque. Ceci démobilise des capitaux propres et permet
alors à la banque de prendre de nouvelles positions dans son actif.
La figure 1
ci-dessous illustre la procédure par un schéma. Je suppose que la Banque A
opère en zone euro. Elle doit donc respecter un coefficient de réserves
obligatoires de 1%. Le lecteur peut constater qu’avant titrisation, la
Banque A possède 5 millions d’euros en cash pour 95 millions d’euros en
dépôts, ce qui équivaut à un coefficient de réserves de 5,26%. La Banque A se
trouve donc en-dessous de sa capacité maximale de création de crédit. Or,
elle ne peut pas exploiter cette marge de manœuvre car ses capitaux propres
de 10 millions d’euros correspondent à 10% de son total d’actifs pondérés par
le risque (5 millions x 0% + 100 millions x 100% = 100 millions d’euros). Il
s’agit là du ratio de capital minimum imposé par les futures règles de Bâle
III. Pour assumer de nouvelles positions, la Banque A procède donc à la
titrisation de la totalité de ses crédits (un cas extrême, certes, mais
illustratif). Elle transfère alors ses crédits regroupés à un véhicule
spécial d’investissement, ici un Fonds commun de créances. Ce fonds garde ces
crédits à son actif et émet des ABS qu’il vend pour financer l’achat.
Figure
1: Titrisation d'actifs bancaires
Après
titrisation, la Banque A se trouve avec 105 millions d’euros en cash à sa
disposition, tandis que son passif n’a absolument pas changé. La marge de
manœuvre de la Banque A est maintenant énorme, mais peu importe la
recomposition future de ses actifs, celle-ci doit toujours respecter le ratio
de capital de 10%. La Banque A peut choisir, à titre d’exemple, la
recomposition illustrée dans la figure 2 ci-dessous.
Le lecteur
peut constater que le nouveau bilan de la Banque A respecte le coefficient
minimum obligatoire de la zone euro ([2 millions / 185 millions] x 100 ≈ 1%)
et le ratio de capital de Bâle III ([2 millions x 0%] + [53 millions x 0%] +
[50 millions x 20%] + [90 millions x 100%] = 10%).
Grâce à la
titrisation, la Banque A a quasiment pu doubler son bilan. Il est aussi
intéressant de remarquer que même si la Banque A semble
« diversifier » l’actif de son bilan, celui-ci reste avant tout
composé d’instruments de dettes. La Banque reste donc exposée au risque de
défaut. En outre, rien ne garantit que le risque des nouvelles positions
prises par la Banque A soit effectivement inférieur au risque qu’elle
assumait précédemment, objectif des règles de Bâle. Une lettre OCDE peut être
plus risquée qu’un crédit à une entreprise solide avec du collatéral à
pourvoir. La catégorisation du risque par la BIS reste donc purement
arbitraire avec peu de base empirique.
Notons
cependant que pour procéder à cette augmentation du bilan, la Banque a dû
trouver une ou plusieurs autres banques qui lui ont fourni les liquidités
nécessaires via le Fonds commun de créances. Ces autres banques ont
perdu leur capacité à créer du crédit pour acquérir les actifs titrisés de la
Banque A. Autrement dit, ce que la Banque A a gagné, les autres l’ont
perdu. Le système bancaire dans sa totalité n’a pas vraiment créé plus de
crédit.
Si la banque
centrale se met cependant à racheter des actifs titrisés pour refinancer les
banques, alors le système peut créer plus de crédit que ce qu’il ne pouvait
le faire originellement. En conclusion, le problème ne provient pas tant de
la titrisation, mais de la façon dont on finance cette titrisation.
À
suivre : complications règlementaires et crise.
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