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L'annonce, mardi
matin, de possibles nouvelles difficultés de
certaines grandes banques anglaises et d'un
"plan de sauvetage" sans précédent du trésor
britannique ravive les craintes de graves difficultés du
système bancaire dans le monde. L'épargnant est partagé
entre la crainte de tout perdre si les banques s'effondrent, et une confiance
plus ou moins grande dans la garantie des dépôts
réaffirmée avec force par tous les gouvernements.
Bien que cela
puisse paraître curieux pour le libéral qui sommeille en moi -- et cela pose des questions de
fond, mais j'y reviendrai un autre jour...--- , la garantie de
l'état sur les comptes me paraît viable à court terme. A
long terme, c'est une autre histoire, mais chaque chose en son temps.
Au risque de me
planter dans les grandes largeurs -- la
prévision est un art très délicat --, la
période étant propice aux erreurs, voici mes prévisions
à court et moyen terme. Mais ne fondez pas de décision
là dessus sans avoir pris beaucoup d'autres avis, bien sûr.
A court terme:
pas de panique, la garantie est viable.
La
fragilité actuelle des banques est liée à deux facteurs.
Tout d'abord, l'on constate une faiblesse du crédit interbancaire,
encore que les informations de la presse soient assez contradictoires sur ce
sujet (pessimiste : France,
le Figaro,
Optimiste: Usa, Forbes
). Les banques connaissent leur propre faiblesse actuelle, et
évaluent sans peine celle de leurs concurrents et confrères.
Or, au jour le
four, les banques ont besoin de se prêter de l'argent pour financer
leurs opérations. Cela est dû au fait que chaque jour, des
millions d'individus dans des banques différentes échangent des
chèques et autres ordres de paiement par carte de crédit ou
virements, et que ces échanges entre individus conduisent à des
échanges de monnaie entre leurs banques respectives. Chaque jour, les
banques centrales regroupent les transactions interbancaires, et la loi des
grands nombres fait que, par exemple, tel jour, le Crédit Agricole
devra transférer un solde vers la BNP, le lendemain, ce sera le
contraire, etc... Les sommes à compenser au jour le jour peuvent
être importantes, mais les banques, sachant que des mouvements inverses
se produiront dans les jours suivants, se font volontiers crédit
à des taux raisonnables, du moins... en temps normal.
Deuxièmement,
pour financer leurs opérations plus importantes, comme des
crédits bancaires et hypothécaires, les banques recourent
à d'autres outils de refinancement pour faire face à leurs
échéances de compensation: si la banque me prête 100 000
Euros pour acheter une maison, je rembourserais sur 20 ans, mais le
chèque sera donné tout de suite à une personne dont le
compte en banque pourra se situer dans un autre établissement: pour
pouvoir prêter, les banques doivent pouvoir se refinancer.
Elles peuvent
pour cela utiliser plusieurs sources, tels que leurs fonds propres, les
dépôts créditeurs de leurs clients et certains comptes
d'épargne, mais la principale source de refinancement consiste
à émettre des obligations à un taux moins
élevé que celui qu'elles consentent à leurs clients,
achetées par des investisseurs institutionnels (principalement des
assureurs, des FCP, des fonds de pension, etc...). Usuellement, elles émettent
un panaché d'obligations à court, moyen et long terme, le court
terme ne venant qu'en "bouche trou", en ajustement de flux de
trésorerie. Aujourd'hui, seules les émissions à
très court terme (24 h) semblent trouver preneur, et encore. Bref, les
banques contraintes de par leur trésorerie à se refinancer
uniquement par de nouvelles émissions à court terme subissent
un risque de mise en défaut important.
Ces deux
mécanismes de financement qui donnent habituellement leur
liquidité aux opérations bancaires sont aujourd'hui
grippés, parce que, comme je l'expliquai mardi, il existe une classe
d'actifs assez largement répandue dans le portefeuille des banques
dont plus personne ne sait estimer la valeur exacte, et dont les
dernières ventes, très rares, se sont faites à perte, ce
qui oblige les banques à inscrire de fortes
dépréciations dans leurs comptes, à
cause de lois comptables mal conçues.
Or, selon des
sources dignes de foi, les montagnes de liquidités qui autrefois
irriguaient les banques n'ont pas disparu. Simplement, les refinanceurs
potentiels ne prêtent plus aux banques, sauf à quelques
établissements qui inspirent encore confiance comme la BNP. Par
contre, ils prêtent encore aux états, et souvent ne
prêtent plus qu'aux états: ceux ci peuvent lever l'impôt,
ils apparaissent donc comme le seul placement sans risque aujourd'hui,
à tort ou à raison.
Par
conséquent, au moins à court terme et contrairement à
mes prévisions pessimistes d'il y a quelques jours (ça m'apprendra à me
moquer de Stiglitz, tiens), les états, en ce moment, n'ont
aucune peine à emprunter, et à des taux plutôt bas
voire très bas (l'état US arrive aujourd'hui à lever des
fonds autour de 1% !).
Par
conséquent, dans le contexte de folie qui prévaut ces jours ci,
si une banque tombe, il n'y aura aucun problème pour refinancer les
comptes des déposants, soit par consolidation avec une banque saine
(il y en a encore), soit parce que l'état pourra, en oubliant les critères
de Maastricht (les ministres des finances de la
zone Euro viennent de s'asseoir dessus), trouver les
fonds nécessaires pour assumer sa garantie tant que
l'écroulement ne sera pas général.
"Certes, me direz vous, mais justement,
l'écroulement général n'est il pas pour demain ?"
Au risque de me
planter et d'être aussi ridicule que le sieur Joe Stiglitz déjà
éreinté ici (mais je suis beaucoup moins connu,
j'ai donc assez peu à perdre, en somme -- et si ça arrive, vous
aurez d'autres problèmes à gérer que de me le faire
remarquer: je suis tranquille !), je pense que
l'écroulement généralisé n'est pas envisageable
à court terme. Certes, tel ou tel établissement peut tomber,
mais sans menacer l'ensemble, et les épargnants seront alors couverts
par la garantie.
En effet, la
crise actuelle est une crise de trésorerie des banques, mais
même si les liquidités injectées dans le système
par les banques centrales sont porteuses d'inflation à moyen terme, la
valeur des biens et services échangeables par nos titres de paiement
n'a pas disparu du jour au lendemain. Les actifs douteux dans les bilans des
banques ont sans doute perdu de leur valeur, on ne sait pas bien les estimer,
mais ils valent encore une part significative de leur valeur nominale. Bref,
la chute de l'immobilier résidentiel fera des vagues, mais ne nous
engloutira pas.
Qu'enfin les
incertitudes sur la valeur des actifs douteux des banques se lèvent,
et l'huile du crédit interbancaire recommencera à irriguer les
rouages de l'économie: les investisseurs institutionnels
préfèreront demander 4% à la Barclays que 1
à 2% à un état central, et les banques pourront se
refaire crédit entre elles. Par contre, si le brouillard reste dense,
la pénurie de crédit risque d'atteindre aussi des entreprises
non financières qui auront alors des problèmes, parfois graves,
de trésorerie.
J'ai donc
décidé de laisser mon argent dans ma banque, car paniquer
à ce stade serait bien plus risqué que de rester
raisonnablement zen. J'espère vraiment avoir raison, mais je joue avec
mon argent (et j'en ai
assez peu, je suis donc très prudent !), je n'ai pas
réfléchi à la légère, et j'espère
ne pas être contaminé par quelque insidieuse forme de Wishful Thinking.
Moyen et long
terme: grosses inquiétudes pour l'économie
A moyen et long
terme, par contre, il conviendra tant pour les individus que pour les
entreprises d'élaborer une véritable stratégie de crise.
Car si le grand
soir financier, malgré des soubresauts et spasmes violents toujours
possibles, me paraît parfaitement évitable maintenant, la crise
économique qui suivra derrière sera... Dure, voire très
dure. Les banques vont devoir remonter leurs ratios de fonds propres, et
réduire leur "effet de levier".
Par conséquent, elles vont devoir réduire le volume de ce qui
les fait vivre: le crédit. Moins d'offre de crédit pour payer
les salariés et les charges, et un niveau de risque plus
élevé du fait du contexte économique
déprécié: les taux pratiqués par les banques aux
entreprises comme aux particuliers vont augmenter.
Ajoutons que la
baisse de l'immobilier va se poursuivre, ce qui est une très bonne
nouvelle pour les consommateurs de logement en général, mais
qui commence à poser des problèmes à tous ceux qui se
trouvent face à une obligation de vendre pour racheter: les
crédits relais irremboursables apparaissent comme autant de bombes
à retardement qui pourraient encore faire chuter bien des
ménages et plomber le bilan de certains établissements. Ne vous
étonnez donc pas si votre banque se monter tout à coup
très frileuse pour le moindre crédit à la
consommation...
Lorsque le
coût du crédit augmente, seule une baisse
du coût d'accès au capital peut y remédier en permettant aux
entreprises de financer leur développement. Cela suppose une baisse
massive des taux d'imposition marginaux qui pèsent sur les hauts
revenus, ceux qui peuvent former du capital, et les revenus de
l'investissement productif -- en clair, laisser aux entreprises une large
part de l'argent qu'elles arriveront encore à gagner. Une telle
combinaison de capital bon marché et de crédit cher serait
d'ailleurs bien plus saine que l'actuelle structure d'incitations fiscales et
étatiques favorables à l'endettement, même en temps de
bonne santé de l'économie, mais c'est un autre sujet.
Or, malgré
les efforts désespérés des libéraux que nous
sommes pour faire entendre raison aux opinions comme aux politiques qui
vivent de leur crédulité, reconnaissons que les temps sont
extrêmement durs pour nos idées, et pour l'acceptabilité
politique de tout train de réformes libérales.
Alors que les
états, oubliant promptement combien leurs propres règles et
lois ont été nocives, se prétendent plus que jamais les
"sauveurs" d'une finance dont on nous ressasse qu'elle serait
devenue "folle", comment, dans un pays comme la France, quand bien
même il le voudrait, l'état pourrait-il faire comprendre aux
électeurs qu'après avoir sauvé le grand méchant
ultra-libéralisme de ses prétendues tares, il devrait appliquer
des recettes libérales pour guérir de nos maux à long
terme ? D'autre part, comment pourra-t-il réduire les
impôts alors qu'il va accroître sensiblement sa dette, qu'il sera
incapable de promouvoir des baisses massives de dépenses et qu'il
annonce au contraire toujours plus d'interventions
publiques ?
Vous me direz que
je pars perdant, mais nous sommes partis pour vivre une vague interventionniste
de grande ampleur. Là encore, je ne veux pas jouer les Cassandre, mais
si nous parvenons à éteindre l'incendie actuel, le suivant,
dont je ne puis dire quand il se déclenchera -- c'est d'ailleurs
l'inconvénient de toute prévision catastrophiste: si elle ne se
produit pas dans un délai raisonnable après qu'elle ait
été émise, elle vous fait passer pour un abruti
--, risque de nous être fatal: Récession économique,
chute des rentrées fiscales, hausse des dépenses d'assistance
sociale, creusement des déficits... Et dans ce cas, les investisseurs
ne viendront pas sauver l'état en lui prêtant à 1% !
D'autant plus que
l'état nounou garant presque universel des
dépôts et des crédits bancaires,
super-régulateur et ingénieur social de la nation, incitera,
après ce sauvetage, les acteurs du système financier et les
agents économiques (c'est à dire chacun d'entre nous) à
toujours plus d'irresponsabilité, ce qui alimentera de nouvelles bombes
financières à retardement.
Enfin, nous
pourrions avoir la mauvaise surprise de voir que les comptes de nos
régimes d'assurance maladie et de retraite
se dégradent plus vite que prévu. Là encore, en
l'absence de réforme remettant la responsabilité individuelle
au centre de la protection sociale, cette dégradation des
comptes est absolument inéluctable.
Je maintiens
donc, tout en souhaitant vivement me tromper, que dans un délai
indéterminé -- quelques
mois ? une poignée d'années ? --, il y a une
probabilité non négligeable que l'état français
subisse un grand coup de ciseau budgétaire --baisse des recettes, hausse des
dépenses-- qui l'amènera au bord de la banqueroute.
Mon seul très mince espoir est que cette prophétie soit
partagée en haut lieu et se révèle auto-correctrice, le
gouvernement réalisant alors que seul un train de réformes
"à l'Estonienne" puisse nous tirer
d'un tel mauvais pas. Mais autant rêver qu'Olivier Besancenot prenne sa
carte du Parti Libéral
Démocrate.
L'on peut aussi
imaginer que l'Italie, dont les finances sont en bien plus mauvais état
que les nôtres, tombe la première, obligeant les autres pays
d'Europe à réformer franchement après n'avoir subi que
des retombées indirectes moins difficiles à gérer. Ou
que les pays d'Europe qui ont mieux réformé que nous leur
état repartent de l'avant, leur croissance, par effet de bord
résiduel, nous tirant temporairement de l'embarras. Mais un pari
aveugle sur ces hypothèses "favorables" parait aujourd'hui
très spéculatif.
Les leçons
à tirer de l'actuelle crise sont innombrables mais exigeront que
nous sachions garder la tête froide et osions remettre en cause bien
des paradigmes de l'interventionnisme étatique pourtant quasiment
rentrés dans les gènes de nos sociétés. Mais cela
est-il possible dans la France de 2008 ? Je ne pensais pas cela si proche
de nous il y a quelques mois, mais nous devons nous préparer à
vivre des jours économiquement bien sombres, pendant lesquels nos
libertés seront plus que jamais sous la menace de ceux qui
prétendent vouloir faire notre bien à notre place.
En espérant
me tromper...
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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