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Le billet précédent a analysé la capacité
de la nouvelle loi relative à la consommation (dite loi Hamon)
à améliorer la concurrence en déréglementant
certains secteurs d’activité, comme celui de l’optique
correctrice. Nous avions conclu que la nouvelle obligation pour les
ophtalmologues d’inscrire l’écart pupillaire sur les
ordonnances, non seulement n’est pas une véritable dérèglementation
(car les opticiens-lunetiers n’ont actuellement pas un tel monopole),
mais qu’elle introduit en outre un nouveau privilège qui
avantage directement les marchands de lunettes en ligne.
Une question supplémentaire se pose : celle de comprendre quelles
sont les véritables motivations du gouvernement pour légiférer
sur ces produits d’optique correctrice car – en dépit de
ce qui transparait dans les communiqués de presse – ce
n’est certainement pas le pouvoir d’achat des consommateurs. En réalité,
dans les conditions actuelles, une baisse hypothétique des prix des
lunettes laisserait inchangé le pouvoir d’achat des
consommateurs, dans la mesure où ils seront remboursés dans les
mêmes proportions par les mutuelles privées. C’est donc
tout au plus le montant des frais avancés et des remboursements qui
changerait. Cette observation nous laisse entrevoir que le véritable
intérêt du gouvernement de réglementer davantage ce
domaine est surtout lié aux montants remboursés par les mutuelles
privées.
De ce point de vue, il n’est pas anodin que cette démarche
favorisant les opticiens en ligne s’appuie essentiellement sur un rapport de la Cour des comptes publié le 17 septembre 2013, concernant
l’application des lois de financement de la sécurité
sociale. Il mettait en évidence le prix élevé des
lunettes en France par rapport à d’autres pays européens.
Ce rapport avait été suivi par une série
d’articles dans la presse nationale qui fustigeaient les
opticiens-lunetiers pour les prix élevés pratiqués en France.
La loi Hamon s’est précisément proposée
de s’attaquer tout particulièrement à ce problème
de prix des lunettes, en cherchant coûte que coûte à augmenter
la concurrence dans ce domaine.
Mais,
pourrait-on se demander, si les prix des lunettes (aussi élevés
soient-ils) ne creusent pas le déficit de la sécurité
sociale, pourquoi le gouvernement se soucierait-il du remboursement des
mutuelles privées ? Dès lors qu’elles offrent une
couverture généreuse de l’optique correctrice,
c’est certainement qu’elles ont un intérêt
économique à le faire, et tant qu’elles restent viables,
c’est certainement que les clients trouvent un intérêt
dans le payement des primes d’assurance. Les mutuelles privées
ont, en effet, progressivement investi ce domaine de l’optique
correctrice abandonné par la sécurité sociale, et
utilisent l’argument d’une bonne couverture des lunettes pour
attirer des nouveaux clients.
C’est
probablement ce montant généreux des remboursements des
mutuelles privées que le gouvernement regarde avec envie, surtout
à l’aune des déficits abyssaux de la
sécurité sociale. En effet, si on le lit plus attentivement, le
Projet de Loi
sur le Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) précise qu’un décret devrait
précisera « les règles pour
éviter de solvabiliser des pratiques
tarifaires excessives qui contribuent à la dérive des prix de
certains soins ». Cette observation nous amène
à anticiper un nouveau décret pour réglementer la
couverture des assurances privées, qui les pousseraient à
diminuer leurs remboursements d’optique correctrices tout en les
obligeant à prendre en charge des nouveaux actes de santé que
la sécurité sociale ne peut déjà plus prendre en
charge. Ainsi on comprend mieux l’intérêt du gouvernement
dans le domaine de l’optique correctrice, qui va au-delà des
éléments de langage concentrés sur le pouvoir
d’achat des consommateurs.
Si
toutefois le gouvernement suivait ce plan, dans son objectif de
réduire le déficit de la sécurité sociale, il ne
ferait que transférer progressivement les frais médicaux sur
les consommateurs, qui, par exemple, vont devoir commencer à payer les
frais d’optique correctrice, (même si les prix des lunettes diminuent
après le désinvestissement des mutuelles et grâce
à l’émergence de produits d’une qualité plus
faible). En outre, un tel plan qui propose de plafonner les remboursements ne
ferait que collectiviser les assurances santé privées. De ce
fait, il leur promet d’ores et déjà le même sort
que celui de la sécurité sociale.
Somme
toute, on ne déréglemente en réglementant.
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