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Cours Or & Argent

Raymond Aron (1905 - 1983) : un spectateur engagé

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Extrait des Archives : publié le 29 octobre 2013
1414 mots - Temps de lecture : 3 - 5 minutes
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Rubrique : Fondamental

 

 

 

 

Aron est mort il y a trente ans, en octobre 1983. Fondateur de la revue Les temps Modernes avec son complice et ennemi juré Jean-Paul Sartre, éditorialiste au Figaro pendant trois décennies, Raymond Aron est l'incarnation par excellence de l'esprit libre penseur. Au carrefour de la philosophie, de la politique, de l'histoire et de la sociologie, ses réflexions restent de puissants antidotes à la pensée unique et au politiquement correct.


Après son agrégation de philosophie, il s’initie à la sociologie allemande lors d’un séjour en Allemagne. Il assiste aux autodafés organisés par le régime nazi en mai 1933 et prend toute la mesure du danger mortel des régimes révolutionnaires. Dès le mois de juin 1940, Aron part à Londres et s’engage dans le journalisme. Il est éditorialiste au Figaro de 1947 à 1977. En 1955, il revient à l’Université. Il enseignera à la Sorbonne jusqu’en 1967, puis à l’École pratique des hautes études. En 1970, il entre au Collège de France.


Aron a donc mené de front deux carrières :

- celle de journaliste au Figaro puis à l’Express,

- celle d’universitaire, professeur de sociologie d’abord à la Sorbonne puis au Collège de France.


Ce double regard l’a conduit à analyser méthodiquement à travers plus de 30 livres les mutations des sociétés modernes et à participer quotidiennement aux grands combats qui dans le bruit et la fureur de l’histoire ont divisé le monde au temps de la guerre froide.


Éditorialiste commentant l’actualité à chaud, il a toujours su intégrer ses jugements ponctuels dans une vision d’ensemble du monde. Cette vision d’ensemble l’inscrit dans le courant de la pensée libérale, courant tout à fait minoritaire en France aujourd'hui mais qui l’était bien plus encore à l’époque où il a vécu et pensé.


Rappelons que de la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’aux années 1980, le marxisme a été pour l’intelligentsia française l’idéologie dominante et, selon la formule de son « petit camarade Sartre », « l’horizon indépassable de notre temps ». De ce point de vue, Aron a donc occupé une place singulière parmi les intellectuels français en s’opposant à la majorité d’entre eux.


Marcel Gauchet témoigne : « Un très grand professeur, c'est par-dessus tout ce que Raymond Aron a été pour plusieurs générations successives. Il l'a été pour nous. Il l'a été jusqu'au bout, dans la plus haute acception du terme, y compris à travers ses activités extérieures à l'Université. Ce qui lui a donné en effet sa place singulière dans le journalisme français a été d'y avoir importé ce que l'Université a de meilleur. Il a su aller au-delà du classique éditorial d'opinion pour accomplir, sur trente ans, un travail en profondeur, nourri d'informations et d'arguments, privilégiant toujours l'exercice du jugement sur l'engagement de principe. Il aura été le grand éducateur de notre raison politique. À l'âge des spécialistes et de leurs savoirs étroits, Raymond Aron frappait d'abord par l'extraordinaire ouverture de son spectre d'intérêts et sa connaissance intime de domaines éloignés — philosophie, économie, sociologie politique, histoire —, tous indispensables à ses yeux à l'intelligence du présent. Contre la pente française à l'autarcie intellectuelle, il a été, dans son enseignement, mais aussi, on l'oublie trop, par son travail d'éditeur, un initiateur à la culture sans frontières de son temps, de la pensée allemande à la réflexion économique et stratégique des Anglo-Saxons. À l'arrogance du philosophe qui tranche de tout en artiste et dans le dédain des doctes, il a constamment opposé l'éthique du savant et l'éminente dignité de la connaissance. Loin de toutes les facilités, il a incarné, dans toutes ses activités, la parole et l'écrit, une rigueur sans défaillance et la passion de la vérité. » (Le Débat, n° 28, janvier 1984).


Une pensée en constante évolution


L’œuvre d’Aron peut se définir comme une réflexion sur le XXe siècle. À la suite de Marx, il s’intéresse à tous les secteurs de la société moderne, l’économie, les relations sociales, les régimes politiques, les relations internationales. Mais refusant le monisme de Marx qui explique tous les faits sociaux à partir d’une cause unique, la cause économique, Raymond Aron se reconnaît davantage dans la démarche pluraliste de Montesquieu, qui voit « des relations causales dans tous les sens et saisit tous les rapports de solidarité sans en privilégier aucun ». Enfin, il considère qu’il n’appartient pas au sociologue de prédire l’avenir comme un voyant extralucide. Il doit adopter à l’égard de l’histoire et de l’avenir une perspective probabiliste car l’histoire n’a pas un sens prédéterminé.


Nicolas Baverez, dans sa préface de Penser la liberté. Penser la démocratie, inscrit l’œuvre d’Aron dans la tradition du libéralisme politique français. Selon lui, sa conception de l’histoire est réaliste, probabiliste, comparatiste et dialectique :


·         Réalisme : c’est le refus de tout principe transcendant à partir duquel on pourrait juger moralement et abstraitement l’histoire. L’homme est dans l’histoire, l’historien aussi.

·         Probabilisme : c’est le refus du déterminisme historique. Il n’y a pas de nécessité ou de loi qui régit l’histoire. Pas de providence.

·         Comparatisme : c’est le refus de l’essentialisme. Il faut étudier les régimes politiques, non à partir d’une essence a priori mais à partir de la comparaison de leurs points communs et de leurs divergences.

·         Dialectique : c’est le refus du manichéisme ou de la posture idéologique. Il faut assumer la complexité et l’incertitude propres à l’histoire et ainsi refuser de jouer les prophètes.


Selon Baverez, l’épistémologie d’Aron ne verse par pour autant dans un relativisme consistant à dissoudre dans l’histoire toutes les normes et les valeurs. Un tel relativisme ouvrirait la voie à la justification du totalitarisme. Mais il s’agit pour lui de reconnaître le pluralisme, la faillibilité, l’existence de vérités partielles. Son libéralisme n’est pas fondé sur des principes abstraits mais sur une étude des conditions économiques et sociales qui rendent possible ce pluralisme intellectuel et politique. Comprendre avant de juger, telle serait la maxime d’Aron.


Aron a souvent été classé comme libéral de gauche. Son penchant pour la social-démocratie, sa tentative de synthèse des droits formels et des droits matériels ont pu alimenter cette thèse. Pourtant, certaines analyses la remettent partiellement en cause. En effet, le libéralisme aronien a connu une très nette évolution. Dans ses Mémoires il résume sa position dans les années cinquante et soixante :


« Dans l’Essai sur les libertés, pour lequel je garde un faible, je me suis efforcé de mettre en lumière la synthèse nécessaire de deux formes de liberté : le domaine d’autonomie laissé aux individus, les moyens que l’État donne aux plus démunis afin qu’ils puissent exercer les droits qui leur sont reconnus. Les démocraties modernes n’ignorent ni la liberté de choix, ni la liberté-capacité, l’une assurée par la limitation de l’État, l’autre par les lois sociales. En leurs meilleurs moments, les sociétés occidentales me paraissent accomplir un compromis exemplaire. » (p. 1035)


À partir du milieu des années soixante dix, Aron prend un tournant et évolue vers un libéralisme plus classique, moins teinté de socialisme. Ainsi, en 1976, dans la postface à son Essai sur les libertés, il affirme :


« En 1965, il m’importait de montrer que le libéral d’aujourd’hui accepte la critique que l’on appellera indifféremment sociologique ou marxiste. Il ne suffit pas que la loi accorde les droits, il faut encore que l’individu possède les moyens de les exercer. Aujourd’hui, c’est la contrepartie de cette thèse que je mettrais au premier plan. Autant la liberté non-interdiction entraîne par elle-même l’égalité, autant la liberté-capacité exclut l’égalité » (p. 222)


Gwendal Châton, auteur d'un remarquable article sur la question (1), parle d'une évolution tardive tendant vers un pessimisme croissant. Ne faudrait-il pas plutôt parler de réalisme ? Quoi qu'il en soit l'auteur de cet article précise que, sans congédier l’idée d’égalité, Raymond Aron retrouve alors les accents combatifs de la tradition libérale contre un « égalitarisme doctrinaire » qui « ne parvient pas à l’égalité mais à la tyrannie » (Aron, 1965, 1998 : 240). Dans ses Mémoires, il se montre pour le moins sceptique face au concept de justice sociale (Mémoires, p. 1035-1036) : il est alors plus proche de la critique hayékienne du « mirage de la justice sociale » (Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté) que de la théorie rawlsienne de la justice.

 

(1)   Gwendal Châton, « De l’optimisme au pessimisme ? Réflexions sur l’évolution tardive du libéralisme de Raymond Aron », paru dans les actes du colloque international « Raymond Aron : genèse et actualité d’une pensée politique » (ENS/Ulm), aux éditions de Fallois.

 

 

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Damien Theillier est professeur de philosophie. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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Dans ses mémoires, je me souviens qu'il exprime 2 grands regrets. Je ne me souviens plus du premier, mais le second m'a frappé. Nommé enseignant d'Université dans le Sud Ouest en 1939 ( Toulouse ?), il part à Londres en 1940, laissant sa famille sous l'Occupation. Or, le dirigeant de la dite Université ( Recteur, Doyen ?) continue à verser son salaire d'enseignant à son épouse, lui permettant ainsi de survivre , alors que chacun sait qu'il a rejoint De Gaulle. A son retour en France, pris par ses charges à Paris, il ne va jamais remercier le dirigeant en question et en a le regret permanent.
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Monrose - 29/10/2013 à 07:35 GMT
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