Ce qui est en totale contradiction avec le résultat du référendum.
Cette proposition inclut l’abandon d’une série très importante d’engagements
pris par Syriza lors de la campagne électorale qui lui ont permis d’obtenir
une victoire d’une portée historique le 25 janvier 2015. Syriza a engagé sa
responsabilité devant le peuple grec et il serait tragique qu’elle ne la
respecte pas, d’autant que le peuple lui a apporté un appui très clair tant
le 25 janvier que le 5 juillet 2015.
Les concessions faites aux créanciers par le gouvernement grec portent sur
les retraites, avec une nouvelle diminution de leur montant (alors que Syriza
s’était engagé à rétablir le 13e mois pour les retraites inférieures à 700
euros par mois) et un allongement de l’âge de départ, les salaires qui
resteront comprimés, les relations de travail qui seront encore plus
précarisées, l’augmentation des impôts indirects y compris ceux supportés par
les bas revenus, la poursuite et l’accélération des privatisations,
l’accumulation de nouvelles dettes illégitimes afin de rembourser les
précédentes, le transfert des actifs grecs de valeur dans un fonds
indépendant, la poursuite de l’abandon d’éléments importants du droit à
l’autodétermination, la limitation du pouvoir législatif au profit de celui
des créanciers…
Contrairement à ceux qui affirment qu’en échange de ces concessions
néfastes, la Grèce obtiendra trois ans de répit et pourra relancer de manière
importante l’activité économique, la réalité montrera qu’avec le maintien de
la compression de la demande des ménages et de la dépense publique, il sera
impossible de dégager l’excédent budgétaire primaire annoncé dans le plan.
Les conséquences néfastes sont inéluctables : dans quelques mois ou
au début de l’année prochaine au plus tard, les créanciers attaqueront les
autorités grecques pour non-respect de leurs engagements en termes d’excédent
budgétaire primaire et avanceront de nouvelles exigences. Il n’y aura pas de
répit pour le peuple et pour le gouvernement grecs. Les créanciers menaceront
de ne pas débourser les sommes prévues si de nouvelles mesures d’austérité ne
sont pas adoptées. Les autorités grecques seront prises dans l’engrenage des
concessions |1|.
La Commission pour la Vérité sur la Dette publique instituée par la
présidente du Parlement grec a établi dans son rapport préliminaire rendu
public les 17 et 18 juin 2015 que la dette réclamée par les actuels
créanciers doit être considérée comme illégitime, illégale et odieuse. La
Commission a également démontré que son remboursement est insoutenable. Sur
la base d’arguments fondés sur le droit international et le droit interne, le
gouvernement grec peut suspendre de manière souveraine le paiement de la
dette afin que l’audit des dettes soit conduit à son terme. Une telle
suspension de paiement est tout à fait possible. Depuis février 2015, la
Grèce a remboursé 7 milliards d’euros aux créanciers sans que ceux-ci versent
les 7,2 milliards qui devaient l’être dans le cadre du programme qui a pris
fin au 30 juin 2015. D’autres sommes auraient dû être versées à la Grèce et
ne l’ont pas été : les intérêts perçus par la BCE sur les titres grecs,
le solde prévu pour la recapitalisation des banques, etc. Si la Grèce suspend
le paiement de la dette à l’égard des créanciers internationaux, elle
économisera près de 12 milliards d’euros qu’elle est supposée leur rembourser
d’ici la fin de l’année 2015 |2|. En suspendant le paiement de la dette, les
autorités grecques amèneraient les créanciers à faire des concessions. Une
réduction radicale du montant de la dette pourrait en découler soit par la
voie de la négociation, soit par celle de la répudiation.
Il est possible de rester dans la zone euro tout en prenant de manière
souveraine une série de mesures d’autodéfense et de relance de l’économie.
Chacun a pu faire le constat qu’il est impossible de convaincre par la
simple discussion la Commission européenne, le FMI, la BCE et les gouvernements
néolibéraux au pouvoir dans les autres pays européens de prendre des mesures
qui respectent les droits des citoyens grecs ainsi que ceux des peuples en
général. Le référendum du 5 juillet qu’ils ont combattu ne les a pas
convaincus. Au contraire, bafouant les droits démocratiques fondamentaux, ils
ont radicalisé leurs exigences. Sans prendre des mesures souveraines fortes
d’autodéfense, les autorités et le peuple grecs ne pourront pas mettre fin à
la violation des droits humains perpétrés à la demande des créanciers. Toute
une série de mesures devraient être prises à l’échelle européenne pour
rétablir la justice sociale et une authentique démocratie. Techniquement, il
n’est pas compliqué de les prendre mais il faut bien constater que dans le
contexte politique et avec les rapports de force qui prévalent dans l’Union
européenne, les pays avec un gouvernement progressiste ne peuvent pas espérer
être entendus ni soutenus par la Commission européenne, la BCE, le Mécanisme
européen de stabilité. Au contraire, tant ces institutions que le FMI et les
gouvernements néolibéraux en place dans les autres pays combattent activement
l’expérience en cours en Grèce afin de démontrer à tous les peuples d’Europe
qu’il n’y a pas d’alternatives au modèle néolibéral. En revanche, par des
mesures fortes, les autorités grecques peuvent leur arracher de véritables
concessions ou simplement les obliger à prendre acte des décisions prises. Il
est fondamental également de fonder une stratégie alternative en suscitant
des mobilisations populaires massives en Grèce et dans les autres pays
d’Europe. Les autorités grecques pourraient s’appuyer dessus pour empêcher
les tentatives d’isolement que ne manqueront pas d’organiser toutes les
forces opposées aux changements en faveur de la justice sociale. En retour,
une telle démarche du gouvernement grec renforcerait les mobilisations
populaires et la confiance en leurs propres forces des citoyens mobilisés.
A côté de la suspension du paiement de la dette illégitime, illégale,
odieuse et insoutenable, voici quelques propositions à soumettre d’urgence au
débat démocratique car elles sont de nature à aider la Grèce à se relever.
1. Les pouvoirs publics grecs constituent de loin l’actionnaire
majoritaire des grandes banques grecques (représentant plus de 80% du marché
bancaire grec) et devraient donc exercer pleinement le contrôle des banques
afin de protéger l’épargne des citoyens et relancer le crédit interne pour
soutenir la consommation. D’une part, il conviendrait de tirer les
conséquences de la participation majoritaire de l’Etat dans les banques en
leur conférant un statut d’entreprise publique. L’Etat devrait organiser une
faillite ordonnée de ces banques en veillant à protéger les petits
actionnaires et les épargnants. Il s’agit de récupérer le coût de
l’assainissement des banques sur le patrimoine global des gros actionnaires
privés car ce sont eux qui ont provoqué la crise et ont ensuite abusé du
soutien public. Une bad bank serait créée pour isoler les actifs toxiques en
vue d’une gestion extinctive. Il faut une fois pour toutes faire payer les
responsables de la crise bancaire, assainir en profondeur le secteur
financier et le mettre au service de la population et de l’économie réelle.
2. Les autorités grecques doivent réquisitionner la banque centrale. A sa
tête se trouve aujourd’hui Yannis Stournaras (placé à ce poste par le
gouvernement d’Antonis Samaras) qui met toute son énergie à empêcher le
changement voulu par la population. C’est un véritable cheval de Troie qui
sert les intérêts des grandes banques privées et des autorités européennes
néolibérales. La banque centrale de Grèce doit être mise au service des
intérêts de la population grecque.
3. Les autorités grecques ont également la possibilité de créer une
monnaie électronique (libellée en euro) à usage interne au pays. Les pouvoirs
publics pourraient augmenter les retraites ainsi que les salaires de la
fonction publique, payer les aides humanitaires aux personnes en leur ouvrant
un crédit en monnaie électronique qui pourrait être utilisé pour de multiples
paiements : facture d’électricité, d’eau, paiement des transports en
commun, paiement des impôts, achats d’aliments et de biens de première
nécessité dans les commerces, etc. Contrairement à un préjugé infondé, même
les commerces privés auraient tout intérêt à accepter volontairement ce moyen
de paiement électronique car cela leur permettra à la fois d’écouler leurs
marchandises et de régler des paiements à l’égard des administrations
publiques (paiement des impôts et de différents services publics qu’ils
utilisent). La création de cette monnaie électronique complémentaire
permettrait de diminuer les besoins du pays en euros. Les transactions dans
cette monnaie électronique pourraient être réalisées par les téléphones
portables comme c’est le cas aujourd’hui en Equateur.
Le gouvernement pourrait également émettre de titres publics en papier
sous formes de IOU’s (I Owe You), équivalents à des billets d’euro : 10
euros, 20 euros,… pour faire face à la pénurie de billets en circulation. Ils
présentent un avantage par rapport à la drachme car ils laissent la porte
ouverte à la négociation et permettent à la Grèce de rester formellement dans
la zone euro.
4. Le contrôle sur les mouvements de capitaux doit être maintenu de même
que doit être mis en place un contrôle des prix à la consommation.
5. L’organisme chargé des privatisations doit être dissous et doit être
remplacé par une structure publique de gestion des biens nationaux (avec
arrêt immédiat des privatisations) chargée de protéger le patrimoine public
tout en générant des revenus.
6. De nouvelles mesures doivent être adoptées dans un souci de justice
fiscale en vue de renforcer très nettement celles déjà prises, notamment en
décidant de taxer très fortement les 10 % les plus riches (et en
particulier le 1% le plus riche) tant sur leurs revenus que sur leur
patrimoine. De même, il convient d’augmenter fortement l’impôt sur les
bénéfices des grandes entreprises privées et de mettre fin à l’exemption
fiscale des armateurs. Il faut aussi taxer plus fortement l’Eglise orthodoxe
qui n’a versé que quelques millions d’euros d’impôts en 2014.
7. Une réduction radicale des impôts sur les bas revenus et les petits
patrimoines doit être décidée, ce qui bénéficierait à la majorité de la
population. Les taxes sur les produits et services de première nécessité
doivent baisser radicalement. Une série de services de première nécessité
doivent être gratuits (électricité et eau limitées à une certaine
consommation, transports publics, etc.). Ces mesures de justice sociale
relanceront la consommation.
8. La lutte contre la fraude fiscale doit être intensifiée avec la mise en
place de mesures très dissuasives contre la grande fraude fiscale. Des sommes
importantes peuvent être récupérées.
9. Un vaste plan public de création d’emplois doit être mis en œuvre pour
reconstruire des services publics dévastés par des années d’austérité (par
exemple, en matière de santé et d’éducation) et pour poser les premiers
jalons de la nécessaire transition écologique.
10. Ce soutien au secteur public doit être accompagné de mesures visant à
apporter un soutien actif à la petite initiative privée qui joue un rôle
essentiel aujourd’hui en Grèce à travers les micro-entreprises.
11. Réaliser une politique d’emprunt public interne via l’émission de
titres de la dette publique à l’intérieur des frontières nationales. En
effet, l’État doit pouvoir emprunter afin d’améliorer les conditions de vie
des populations, par exemple en réalisant des travaux d’utilité publique.
Certains de ces travaux peuvent être financés par le budget courant grâce à
des choix politiques affirmés, mais des emprunts publics peuvent en rendre
possibles d’autres de plus grande envergure, par exemple pour passer du
« tout automobile » à un développement massif des transports
collectifs, développer le recours aux énergies renouvelables respectueuses de
l’environnement, créer ou rouvrir des voies ferrées de proximité sur tout le
territoire en commençant par le territoire urbain et semi-urbain, ou encore
rénover, réhabiliter ou construire des bâtiments publics et des logements
sociaux en réduisant leur consommation d’énergie et en leur adjoignant des
commodités de qualité. Il s’agit aussi de financer le vaste plan de création
d’emplois proposé plus haut.
Il faut définir de toute urgence une politique transparente d’emprunt
public. La proposition que nous avançons est la suivante : 1. la
destination de l’emprunt public doit garantir une amélioration des conditions
de vie, rompant avec la logique de destruction environnementale ; 2. le
recours à l’emprunt public doit contribuer à une volonté redistributive afin
de réduire les inégalités. C’est pourquoi nous proposons que les institutions
financières, les grandes entreprises privées et les ménages riches soient contraints
par voie légale d’acheter, pour un montant proportionnel à leur patrimoine et
à leurs revenus, des obligations d’État à 0 % d’intérêt et non indexées
sur l’inflation, le reste de la population pourra acquérir de manière
volontaire des obligations publiques qui garantiront un rendement réel
positif (par exemple, 3%) supérieur à l’inflation. Ainsi si l’inflation
annuelle s’élève à 2%, le taux d’intérêt effectivement payé par l’Etat pour
l’année correspondante sera de 5%. Une telle mesure de discrimination positive
(comparable à celles adoptées pour lutter contre l’oppression raciale aux
États-Unis, les castes en Inde ou les inégalités hommes-femmes) permettra
d’avancer vers davantage de justice fiscale et vers une répartition moins
inégalitaire des richesses.
Enfin, les autorités grecques doivent veiller à la poursuite du travail de la
commission d’audit et des autres commissions qui travaillent sur les
mémorandums et les dommages de guerre.
D’autres mesures complémentaires, discutées et décidées d’urgence démocratiquement,
sont bien sûr susceptibles de venir compléter ce premier dispositif d’urgence
qui peut être résumé avec les cinq piliers suivants :
– la prise de contrôle par l’Etat des banques et d’une partie de la
création monétaire,
– la lutte contre la fraude fiscale et la mise en place d’une réforme
fiscale juste apportant à l’Etat les ressources nécessaires pour la mise en
œuvre de sa politique,
– la protection du patrimoine public et sa mise au service de
l’ensemble de la collectivité,
– la réhabilitation et le développement des services publics,
– le soutien à une initiative privée de proximité.
Il est également important d’engager la Grèce dans un processus
constituant avec participation citoyenne active afin de permettre des
changements démocratiques structurels. Pour réaliser ce processus
constituant, il faut convoquer, via une consultation au suffrage universel,
l’élection d’une assemblée constituante chargée d’élaborer un projet de
nouvelle Constitution. Une fois le projet adopté par l’assemblée constituante
qui devra fonctionner en recevant les cahiers de doléances et les
propositions émanant du peuple, il sera soumis au suffrage universel.
En cas d’exclusion de la zone euro provoquée par les créanciers ou en cas
de sortie volontaire de la zone euro, les mesures indiquées plus haut sont
également adaptées, en particulier la socialisation des banques à l’instar de
la nationalisation du système bancaire mis en France à la Libération. Ces
mesures devraient être combinées avec une importante réforme monétaire
redistributive pouvant s’inspirer de la réforme monétaire réalisée après la
Seconde Guerre mondiale par le gouvernement belge. Cette réforme vise à
opérer une ponction notamment sur les revenus de ceux qui se sont enrichis
sur le dos des autres. Le principe est simple : il s’agit, lors d’un
changement de monnaie, de ne garantir la parité automatique entre l’ancienne
et la nouvelle monnaie (un ancien euro contre une nouvelle drachme par
exemple) que jusqu’à un certain plafond.
Au-dessus de ce plafond, la somme excédentaire doit être placée sur un
compte bloqué, et son origine justifiée et authentifiée. En principe, ce qui
excède le plafond fixé est changé à un taux moins favorable (par exemple,
deux anciens euros contre une nouvelle drachme) ; en cas d’origine
délictueuse avérée, la somme peut être saisie. Une telle réforme monétaire
permet de répartir une partie de la richesse de manière plus juste
socialement. Un autre objectif de la réforme est de diminuer la masse monétaire
en circulation de manière à lutter contre des tendances inflationnistes. Pour
qu’elle soit efficace, il faut avoir établi un contrôle strict sur les
mouvements de capitaux et sur les changes.
Voici un exemple (bien sûr, les barèmes indiqués peuvent être modifiés
après étude de la répartition de l’épargne liquide des ménages et adoption de
critères rigoureux) :
1€ s’échangerait contre 1 nouvelle Drachme (n.D.) jusque 200.000 euros
1€ = 0,7 n.D. entre 200.000 et 500.000 euros
1€ = 0,4 n.D. entre 500.000 et 1 million d’euros
1€ = 0,2 n.D. au dessus de 1 million d’euros
Si un foyer a 200.000 euros en liquide, il obtient en échange 200.000 n.D.
S’il a 400.000 euros, il obtient 200.000 + 140.000 = 340.000 n.D.
S’il a 800.000 euros, il obtient 200.000 + 210.000 + 120.000 = 530.000 n.D.
S’il a 2 millions d’euros, il obtient 200.000 + 210.000 + 200.000 + 200.000 =
810.000 n.D.
Une vraie logique alternative peut être enclenchée. Et la Grèce peut enfin
cesser d’être sous la coupe de ses créanciers. Les peuples d’Europe
pourraient retrouver l’espoir dans le changement en faveur de la justice.
Eric TOUSSAINT*
13/7/2015.
Notes
|1| L’auteur remercie Stavros Tombazos, Daniel Munevar, Patrick Saurin,
Michel Husson et Damien Millet pour leurs conseils dans la rédaction de ce
document. L’auteur porte néanmoins l’entière responsabilité du contenu de ce
texte.
|2| 6,64 milliards d’euros et 5,25 milliards d’euros doivent être
respectivement payés à la BCE et au FMI d’ici le 31 décembre 2015.
Source : Wall Street Journal, http://graphics.wsj.com/greece-debt-timeline/
consulté le 12 juillet 2015.
* Eric Toussaint est maître de conférence à l’université de Liège, préside
le CADTM Belgique et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il
est auteur des livres Procès d’un homme exemplaire, Editions Al Dante,
Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie
néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est
coauteur avec Damien Millet du livre AAA, Audit, Annulation, Autre politique,
Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011.
Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du
livre politique de Liège Dernier livre : Bancocratie ADEN, Brussels,
2014. Il est coordonnateur de la Commission pour la Vérité sur la dette
publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.
Source: http://www.legrandsoir.info/une-alternative-e...-bruxelles.html
A lire également: target="_blank" DOSSIER GRECE