Le
président Islandais, M. Olafur Ragnar Grimsson, vient de mettre son
véto à un texte voté par son parlement
concrétisant un accord intergouvernemental
Islando-anglo-Néerlandais, forçant les islandais à
rembourser les états britanniques et bataves qui sont venus au secours
de leurs épargnants piégés par la faillite des trois
grandes banques de l'île nordique. La presse internationale, et
notamment française, présente l'affaire comme un dangereux
reniement de parole et un quasi défaut sur la dette Islandaise, et les
agences de notation dégradent la dette du Pays. Cette
présentation des faits est elle la bonne ? La question est bien plus
complexe qu'il n'y parait, et le président Grimsson ne mérite
pas l'opprobre dont il est couvert hors de son île.
"We're told
if we reject the terms, we will be the Cuba of the North.
But if we accept, we'll
be the Haiti of the North"
Einars Már
Gudmundsson
La presse
économique bruisse (oh, légèrement) de l'affaire
"ICESAVE". Pour le lecteur à qui elle aurait
échappé, en voici les grandes lignes.
Résumé
de l'affaire IceSave
Durant la période récente
de formation de bulle financière de grande ampleur, les trois
"grandes" (à l'échelle du pays) banques islandaises,
qui se trouvaient à l'étroit dans leurs frontières, sont
aller chercher de nouveaux épargnants à l'étranger, et
notamment aux Pays Bas et en Grande Bretagne. Glitnir, Kaupthing, et surtout
LandsBanki ont été particulièrement actives en ouvrant
des succursales étrangères, et surtout en recrutant via
Internet plusieurs milliers de nouveaux clients. Ainsi Landsbanki s'est elle
faite connaître via une filiale en Ligne, IceSave, qui proposait aux
investisseurs des rendements très attractifs, fondés sur les
revenus de produits structurés de crédit et un jeu habile sur
les taux de change.
Seul problème: les placements collatéraux qui alimentaient en
cash IceSave et les autres se sont révélés moins
surs que prévu, et les banques Islandaises ont dû se
déclarer en Faillite en octobre 2008, faute de trésorerie, et
de capitaux propres.
Le gouvernement Islandais a annoncé qu'il ferait jouer, pour ses
citoyens, la garantie législative d'état sur les comptes
bancaires, au mieux de ses possibilités, mais qu'il était hors
de question pour lui de prendre en charge les pertes sur investissements via
les filiales étrangères de ces banques, pertes privées
qui n'avaient pas à être supportées par le contribuable
Islandais.
Sur des arguments juridiques contestés, les dirigeants des
gouvernements anglais et néerlandais, qui se sont portés au
secours de leurs épargnants, ont exigé que les prêts du
FMI accordés à l'Islande soient conditionnés à un
remboursement de 3.8 Milliards d'Euros de l'Islande aux fonds d'assurance
bancaire de Hollande et du Royaume Uni. Cette somme peut paraître
"modeste" et ne modifiera pas les grands équilibres
financiers internationaux, mais la population de l'Islande étant
faible, cela représente tout de même une augmentation de la
dette de 15 000 Euros par Islandais ou 40 000 Euros par ménage. Soit
presque autant que la dette Française, excusez du peu... Beaucoup
d'observateurs pensent qu'un tel poids supplémentaire sur le budget
déjà exsangue de l'Islande ne pourrait à terme que
provoquer un second écroulement de l'économie de l'île.
Pourtant, sous la pression de l'UE, le gouvernement de Reykjavik a fini par
accepter de négocier un accord sur ces bases, en Août 2009. Mais
le premier texte voté par le parlement Islandais à cette
époque a été jugé trop riche d'exemptions par les
gouvernements britanniques et néerlandais, qui ont usé de leur
influence pour obtenir une renégociation de cet accord. De guerre
lasse, le parlement Islandais a fini par voter ce second accord à une
très courte majorité, par 33 voix contre 30, fin
décembre 2009.
Mais le peuple Islandais a beau être petit en nombre, il a sa
fierté. Tout d'abord, les islandais n'entendent pas se laisser plumer
pour des causes dont il ne se sentent en rien responsables, et pour
rembourser des investisseurs qui ont voulu jouer sur des hauts rendements
sans vouloir admettre que des rendements élevés supposaient des
risques plus élevés.
De plus, les Anglais ont commis l'erreur, que dis-je, l'infamie, d'utiliser
une loi destinées aux nations soutenant les terroristes pour bloquer
les avoirs islandais en Grande Bretagne en octobre 2008, parce que le risque
existait que les banques islandaises utilisent les déposits anglais
pour renflouer leurs clients islandais. Or, selon les lois britanniques,
lorsqu'une nation est inscrite sur la liste noire des pays qui aident le
terrorisme, nombre de facilités financières lui deviennent
interdites, ce qui, outre le caractère insultant pour les islandais, a
exacerbé les difficultés des entreprises islandaises et de la
population au plus mauvais moment. Inutile de dire que de tels agissements
ont alimenté un ressentiment émotionnel très fort chez
les Islandais.
Mais c'est la renégociation de l'accord pourtant voté en
Août, sous la menace explicite de couper les robinets du FMI faite par
le royaume uni, qui a été la goutte d'eau qui a fait
déborder le vase. Des pétitions ont été lancées
pour demander au gouvernement de ne pas faire supporter au contribuable
Islandais l'ardoise d'IceSave, et la dernière en date a recueilli la
signature de 25% du corps électoral !
Dans ces conditions, comme le rend possible la constitution Islandaise, et
pour la deuxième fois seulement depuis 1944, le président en
exercice, M. Grimsson, a posé son veto au texte voté par
l'assemblée et a annoncé que le texte de l'accord serait soumis
à référendum.
Naturellement, les réactions courroucées de l'Europe, et pas
uniquement des deux pays qui devaient recevoir les sommes concernées,
ne se sont pas faites attendre. "Un
vote négatif du peuple Islandais sonnerait le glas des espoirs de
l'Islande d'entrer dans l'UE", lit on un peu partout. "Cela va miner la confiance des
investisseurs", entend on également. Fitch a
dégradé la note de l'Islande au niveau d'une Junk bond (BB+).
S&P s'pprête à faire de même. Les ministres des
finances concernés remettent en cause leur accord à l'octroi de
prêts du FMI dont l'Islande a désespérément besoin
pour boucler ses fins de mois.
La morale
Il est très compliqué, à la lecture de la presse, de
savoir qui est dans son bon droit, entre le président Grimsson et les
ministres des finances anglo-néerlandais. De plus, il n'est pas
certain, dans cette affaire, que la morale et le droit se rejoignent.
Du point de vue moral, la position du président Grimsson est
parfaitement défendable: des épargnants ont fait un mauvais
placement, alléchés par des taux élevés, et ont
perdu: c'est malheureux, mais c'est la vie, et on ne voit guère
pourquoi le contribuable Islandais (ni n'importe quel autre, d'ailleurs), qui
a lui même souffert, puisque les banques concernées ont
été incapables de tenir leurs engagements sur leurs comptes
courants et leurs compte d'épargne traditionnels, devrait payer pour
l'incurie de banques privées et d'investisseurs britanniques peu
vigilants. Nous avons suffisamment dénoncé la tonte du
contribuable français dans l'affaire du crédit Lyonnais pour
tenir un autre discours aujourd'hui. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui se
demandent si, au départ, il était normal que les gouvernements
de Londres et la Haye volent au secours de leurs nationaux.
Cependant, du point de vue du droit, la question n'est pas si simple. Et
lorsque le droit et la morale ne se rejoignent pas... Mais n'anticipons pas.
Le Droit
A première vue, la position de M. Grimsson ne pose pas de
problème de droit: la constitution Islandaise parait respectée,
et il est normal qu'un accord engageant internationalement l'Islande sur au
moins deux dizaines d'années soit soumis à un processus de
ratification législative. La constitution Islandaise donne le droit au
président de faire confirmer un vote par référendum.
Point barre ?
Pas si simple. Il est un autre principe tout aussi important qui dit que
toute entité, de droit public ou privé, est engagée par
ses signatures antérieures, et que ni les instances
représentatives parlementaires, ni le peuple, ne peuvent se
délivrer de leurs engagements par un simple vote si cet engagement a
été souscrit et validé suivant un processus
législatif valide.
L'Islande n'est pas membre de l'UE mais a adhéré à l'
European Economic Area, tout comme la Norvège et le Liechtenstein.
Sans cette adhésion, IceSave et lees autres banques Islandaises
n'auraient pu obtenir l'agrément pour opérer depuis Londres ou
Rotterdam. A ce titre, comme les règles de l'EEA l'exigent, les
islandais ont accepté de promulguer une législation de garantie
des comptes bancaires similaire à celle de l'union. L'Islande, au titre
de cette adhésion, se doit d'adopter une législation conforme
à la directive 94/19 (texte), ce
qu'elle a fait en 1999 en créant l'équivalent local de la FDIC
américaine, au nom imprononçable de Tryggingarsjodur.
Mais l'Europe et l'Islande ont une interprétation différente de
la directive sur deux points: d'une part, l'Europe estime que la directive
interdit toute distinction entre la nationalité des déposants
(au sein de l'EEA du moins) dès lors qu'une couverture des comptes est
instaurée, ce qui parait exact en première lecture de la
directive. Reykjavik n'est pas de cet avis, et considère que les
pertes anglaises et néerlandaises de ses banques doivent être
couvertes par le système de couverture de ces pays. Il semble aussi
qu'un certain flou existe aussi sur la nature d'Icesave, succursale ou
filiale de Landsbanki ? Et donc soumise à quel droit ?
D'autre part, l'Islande estime que la directive oblige à couvrir le
risque de défaut d'une banque, pas le risque systémique, alors
que les Européens considèrent que la directive impose de facto
une garantie souveraine de dernier ressort, et que la reprise des actifs et
des comptes en banques des citoyens islandais par le gouvernement en novembre
2008 crée de facto cette garantie.
La Banque Royale de Suède a ajouté à la confusion en
publiant un rapport (cité
par Ambrose Pritchard, du Telegraph) indiquant que selon
eux, la directive européenne était très mal
rédigée, n'obligeait absolument pas de créer une
garantie souveraine fondée sur l'effort des contribuables, et que les
régulateurs anglais et néerlandais, trop heureux d'accueillir
les banques Islandaises quand tout allait bien, étaient autant
à blâmer que celui d'Islande pour son manque de supervision et
de clairvoyance vis à vis de banques opérant sur son sol. Bref,
selon eux, la responsabilité est tout à fait partagée.
Solidarité Nordique ?
Et puis pourquoi les gouvernements néerlandais se sont ils
empressés de voler au secours de leurs épargnants ? Ont-ils eu
peur que leur propre manque de clairvoyance quant au contrôle de
l'activité de banques étrangères opérant sur son
sol n'apparaisse au grand jour ? La question est ouvertement posée par le Wall Street Journal.
Je ne suis pas juridiquement suffisamment au fait de ces questions pour
savoir qui dit vrai, et comment une cour de justice interpréterait le
différend. Mais il existe une probabilité pour que
l'état Islandais soit législativement engagé de par les
traités internationaux qu'il a signés, à couvrir au
moins partiellement (en fait, jusqu'à 20 000 Euros) les pertes des
épargnants européens (et pas seulement anglais et
néerlandais) qui ont souscrit aux placements d'Icesave.
Pour ne rien arranger, l'octroi de prêts par le FMI et d'un prêt
par les gouvernements anglo-néerlandais permettant de faire face aux
difficultés du gouvernement Islandais est soumis à la pression
des gouvernements anglo-bataves quant au règlement de ce
différent. Est également dans la balance l'entrée de
l'Islande dans l'Union, qui serait retardée pour une longue
période si elle venait à annuler l'accord conclu par
référendum.
Mais, solidarité nordique là encore, la Norvège, pays le
plus riche d'Europe par habitant (avec le Luxembourg) vient de
réaffirmer son soutien le plus ferme à Reykjavik, et enjoint le
FMI à continuer son soutient aux islandais. Bref, le droit s'efface,
et l'affaire tourne au rapport de force géopolitique -- pour ne pas parler de pugilat
-- pur et simple entre grandes nations et petit Poucet Islandais. Quant
à la morale...
La politique
Dans cette affaire, deux principes d'une même morale sont apparemment
en contradiction.
Le premier principe, qui est absolument incontournable pour tout état
de droit, est que nul ne peut être tenu de prendre à sa charge
la réparation des dommages causés par autrui... Sauf s'il s'y
est engagé, par exemple en se portant caution. Mais à titre
individuel, aucun Islandais n'a signé un tel engagement.
Le second nous dit que tout engagement pris sans coercition ni tromperie doit
être respecté. Or l'état Islandais, dûment et
démocratiquement mandaté par sa population, a
signé des accords qui l'ont - peut
être - engagé à prendre en charge certaines
pertes qu'il aurait aimé éviter.
Le respect de ces deux principes est absolument fondamental dans la morale
libérale, celle qui permet le fonctionnement d'une
société composée d'individus libres, mais dont la
liberté est limitée par l'exigence de responsabilité.
Mais en l'occurrence, ces deux principes semblent se contredire.
Cette dualité pose problème, puisque le droit est censé
être le prolongement législatif de la morale en vigueur.
Où est l'erreur ?
Cette erreur vient de ce que tant en Grande Bretagne, qu'en Hollande, ou en
Islande, et ailleurs, les états se sont crus obligés de
garantir les dépôts bancaires, exposant par la même, au
nom sans doute de "la solidarité", leurs contribuables
à devoir renflouer les déposants de banques mal
gérées. L'état a-t-il le droit d'exposer ses
contribuables non responsables d'un dommage -i.e., innocentes-,
à en assumer la réparation, au motif qu'il en assume la
représentation issue du suffrage universel et qu'une majorité
de la population le lui demande ? Un état peut-il obliger ses citoyens
à se porter caution pour les mauvaises affaires d'une de ses
entreprises ? Y compris vis à vis des clients étrangers de
cette entreprise ?
Dans ce cas, pourquoi pas une assurance publique des dettes aux fournisseurs
lorsqu'une PME fait faillite ? Pourquoi ne pas demander au trésor
américain de se porter au secours des victimes françaises de
Bernard Maddoff ? Un état, en agissant ainsi, commet un abus contre la
propriété des individus au nom de sa préséance
majoritaire. Ce qui pose une fois de plus la question de la limite
constitutionnelle du champ de la démocratie, débat très
vaste s'il en est.
On le voit, le problème vient de ce que les états, en
créant des garanties publiques des dépôts bancaires,
obligent des personnes juridiquement totalement innocentes vis à vis
des erreurs commises, à prendre en charge le coût de ses
erreurs.
Tout état doit respecter ses engagements, certes. Mais si cet
engagement se révèle immoral car fondé sur une injustice
flagrante, doit il être respecté ? Ou ceux qui ne l'ont pas
signé doivent-ils avoir le pouvoir de le dénoncer ? Le
président Grimsson a visiblement choisi cette seconde option en
proposant l'accord de règlement de l'affaire IceSave au
référendum.
A ce jour, 6 Islandais sur
10 voteraient contre l'accord IceSave. Le
référendum aura lieu avant le 6 mars. Gageons que l'UE va
mettre sur l'Islande une pression qui n'aura rien à envier à
celle mise sur la presque homonyme Irlande pour obliger cet autre peuple,
insulaire et insoumis aux diktats des élites bruxelloises, à
voter "dans la bonne
direction". Pas sûr que cela fasse bonne impression à
Reykjavik !
Victimes
consentantes et responsables de leur propre malheur ?
"Halte là", me direz vous, non sans raison. Le peuple
Islandais a élu les parlementaires qui ont dûment ratifié
l'entrée dans l'EEA, et qui ont, de ce fait, en parfaite connaissance
de cause admis l'applicabilité de la directive imposant la
création de garanties publiques des comptes bancaires, fut-elle la
plus immorale qui soit. Cette entrée dans l'EEA a permis aux Islandais
de réaliser de très juteux profits quand tout allait bien: les
règles communes doivent donc être appliquées (sous réserve de
l'éclaircissement des différends sur l'interprétation du
droit européen).
Que ne se sont ils mobilisés lorsque tout allait bien, me direz-vous,
ces islandais à l'époque si contents de leur expansion, contre
le risque que représentait pour eux cette caution publique des comptes
en banque ?
Vous pourriez rajouter que le fait que l'état se soit rendu redevable
des éventuelles pertes de ses banques a justifié qu'il ait un
droit de regard sur les règles prudentielles de gestion qui leur
étaient et leur sont encore applicables - ce que l'on appelle généralement
"régulation" de nos jours - et qu'en la
matière, l'état Islandais s'est montré particulièrement
mauvais, c'est difficilement contestable. La Banque
Centrale Islandaise est restée trop longtemps sourde à tous les
avertissements lancés par des observateurs extérieurs sur la
trop grande prise de risque des banques de l'Ile, et a même
relâché les standards prudentiels au moment où elle
aurait dû réévaluer à la hausse les exigences de
fonds propres des banques dont elle assure le rôle de prêteur de
dernier ressort.
Mais la régulation, ça
ne peut pas fonctionner sur le long terme. Le
régulateur est moins compétent que le régulé, se
laisse souvent manipuler (voire pire), et la norme supposée
protéger l'entité régulée ou ses clients devient
opérationnellement obsolète bien plus vite que son cycle
politique de renouvellement. On peut toujours réclamer "plus de
régulation", plus d'inspecteurs allant fouiller dans les disques
durs, des règles plus sévères, à terme, la
régulation est condamnée à l'inefficacité, aux
contournements et aux effets pervers non anticipés. Les
régulations issues des accords de Bâle en
sont un des exemples le plus criant.
De plus, les débats européens chez nous (ou plutôt les
non-débats, rapport au non-référendum du traité
de Lisbonne...) ont montré que de toute façon, sur des
questions très techniques, les citoyens se font vendre à peu
près n'importe quoi par la technocratie, et de ce fait, il me parait
difficile d'affirmer que si les gouvernements islandais ont signé de
mauvais accords, et si ils ont mal usé du droit de regard qu'ils se
sont octroyés sur leurs banques, les citoyens de la Terre de Glace
partagent une co-responsabilité morale dans l'affaire, et devraient
donc de ce fait payer les pots cassés.
La protection
publique des dépôts bancaires, immorale, pousse-au-crime, et...
Vouloir protéger les déposants bancaires par une assurance
publique parait à première vue, et à première vue
seulement, louable. Le citoyen de base n'a pas les connaissances
nécessaires pour jauger de la solidité de sa banque simplement
en lisant son bilan (c'est effroyablement complexe).
Mais les moyens législatifs de cette protection deviennent immoraux
lorsqu'ils poussent les politiciens à engager leurs mandants à
couvrir des risques selon des principes que tous les droits civilisés
privés proscrivent: en droit strictement privé, nul ne saurait
être tenu de réparer les fautes dont il n'est pas responsable ou
pour lesquelles il ne s'est pas personnellement porté caution.
Pis même,
et surtout, ces assurances se révèlent "pousse au
crime", puisqu'elles incitent les citoyens à ne pas se montrer
trop regardants sur la sécurité réelle de leurs
investissements, poussant par la même les dirigeants bancaires, eux
mêmes en partie protégés par le parapluie public,
à la surenchère et au mensonge quant au rapport
rendement/sécurité de leurs offres: si une banque veut
être "raisonnable", elle perd ses clients, puisque ceux ci,
"protégés" par l'état, ne se soucient pas
suffisamment du risque supplémentaire représenté par le
taux plus élevé offert par le concurrent.
Rendre redevables
les contribuables, "privatiser les profits et socialiser les
pertes", tend à rendre irresponsables les parties prenantes de
l'échange. C'est ce que la littérature anglo saxonne appelle le
"Moral Hazard", mal traduit par aléa moral en
français.
... Politiquement
incontournable ?
Mais la demande politique pour de telles assurances semble incontournable.
Lorsqu'au plus fort de la crise de Lehman Brothers, on a vu l'Irlande
annoncer qu'elle relevait considérablement sa limite de couverture des
dépôts bancaires, l'Angleterre vit ses banques commencer
à perdre très rapidement ses clients au profit de leurs
concurrentes de Dublin et dut annoncer un relèvement identique pour
éviter un bank run sur ses établissements. En ce domaine, la
mauvaise politique chasse la bonne, et il suffira qu'un état annonce
une mieux disant démagogique en matière de garantie des comptes
bancaires pour que les banques des pays suivant une politique plus orthodoxe
ne souffrent de leur honnêteté, quand bien même les
"garanties" offertes par les états démagogues n'aient
guère plus de valeur que les discours creux des politiciens qui les
ont décidées.
Il me parait, en l'état actuel des opinions, utopique de rêver
un monde où les assurances des comptes bancaires ne seraient pas d'une
façon ou d'une autre sous parapluie public. La psychologie des masses
s'y oppose, et nous devrons bien faire avec. Il convient donc de se demander
sur quel compromis acceptable par les contribuables l'on pourrait s'entendre
pour que cette protection des comptes soit aussi peu porteuse de risque de
spoliation que possible.
La
"solution" européenne, impraticable et dangereuse
La directive EC 94/19, surtout si son interprétation par les
anglo-néerlandais devait être confirmée, pose dans les
faits nombre de problèmes techniques difficilement surmontables, hors
l'aspect immoral déjà évoqué.
Imaginons qu'une juridiction européenne confirme que c'est à
l'état d'origine de la banque de couvrir les pertes des
déposants de toutes l'Union. A l'ère d'Internet, et à
l'ère de l'ouverture au niveau européen des marchés
financiers (qui sera à moyen terme totale), rien n'interdit à
un Européen de placer son argent en Islande, au Luxembourg, ou en
Slovénie, tous pays soumis à la directive. Si on applique le
raisonnement des européens contre l'Islande, une banque slovène
qui aurait réussi à gagner beaucoup de clients en Europe
occidentale, et qui ferait faillite, obligerait la Slovénie à
faire appel à ses contribuables pour renflouer des épargnants
français ? Mais que peut la petite Slovénie dans ce cas ?
Les régulateurs des petits pays seront donc contraints d'interdire
à leurs banques de grandir de façon trop importante à
l'étranger: autant dire que ce principe va totalement à
l'encontre du principe d'ouverture à la concurrence du marché
des services européens. Nul doute qu'au Luxembourg ou en Autriche, le
résultat de l'affaire Islandaise est suivi de très près.
La prise en compte des dommages subis par les déposants en fonction de
leur pays de résidence pose presque autant de problèmes: les
gens qui vont chercher des placements à haut rendement à
l'étranger, parfois en oubliant quelques déclarations fiscales
(oh !), sont des adultes, qui savent ce qu'il font. Pourquoi le père
de famille qui n'a qu'un livret A pour toutes économies devrait il
voir des fonds publics, ou sa part de dette nationale, augmenter dans d'importantes
proportions, pour permettre à l'investisseur mal avisé de
rentrer dans ses frais ?
D'autre part, comment le régulateur anglais pourra-t-il exiger d'une
banque Islandaise opérant sur son sol depuis Reykjavik via Internet
qu'il doit renforcer ses fonds propres ? Et si on donne à chaque pays
le droit d'exiger de certaines banques des changements prudentiels dans leur
gestion, comment s'assurer que ces leviers ne soient pas utilisés
à des fins protectionnistes ? Et comment éviter la cacophonie
des régulateurs ?
La réponse qui vient à l'esprit est celle d'un
équivalent de la FDIC à l'européenne, doté de
pouvoirs trans-frontaliers. C'est dans cet esprit, sans doute, que la
création d'un "régulateur systémique
européen", aux contours encore flous, a été annoncée.
Cet organisme pourraît être alimenté par des primes
d'assurances versées par les banques comme une fraction de leur total
de bilan, avec une modulation en fonction des risques détenus en
portefeuille, sans doute par le biais de la cotation de ces actifs par les
agences de notation. Un tel dispositif reproduirait les qualités et
défauts du système américain de la FDIC, qui, de
très loin s'en faut, n'a pas été efficace pour
prévenir la crise actuelle, est au bord de la cessation de paiement (source bloomberg),
et n'a pas empêché le gouvernement américain de faire
lourdement pression sur ses contribuables pour éponger les pertes des
grandes banques, de Fannie Mae, Freddie Mac, AIG, etc... En outre, ce sont
les banques sans déposants, donc hors du système d'assurance de
la FDIC, qui sont à l'origine des plus gros désastres
financiers de la crise: Bear stearns, Lehman,
Merill. Mais étendre un système semblable à la FDIC
à tous les acteurs de la finance, en plus des banques de
dépôt, augmenterait sans doute les primes d'assurance
versées par les banques dans des proportions insoutenables.
Le système
FDIC ne règle pas le problème des incitations perverses
à l'imprudence des clients et des banquiers précédemment
évoquées, pas plus que la mutualisation des risques n'incite,
individuellement, chaque acteur a être plus responsable. En
contrepartie, les institutions financières hors FDIC et trop peu
importantes pour recevoir un bailout
de l'état s'organisent pour régler
leurs difficultés en ordre.
Un
parallèle peut être établi avec le système du
FIPOL, retenu par l'Europe pour assurer les dommages subis suite à des
marées noires, qui fonctionne sur le même principe de
mutualisation des pertes. C'est ce système que les américains
ont abandonné au lendemain du naufrage de l'Exxon Valdez pour revenir
à une obligation individuelle d'assurance privée pour chaque
navire. Sous le régime du FIPOL, aucun armateur de poubelles des mers
n'est réellement incité à retirer ses pires bateaux de
la circulation puisque le support des dommages est collectivisé, alors
qu'un refus d'assurance de ces bateaux par la Lloyds ou équivalent
vaut refus d'accès aux eaux territoriales américaines. Inutile
de dire que le parc de navires accostant aux USA a été assaini,
ce qui est loin d'être le cas en Europe.
Comment
répondre à la demande politique de protection des comptes
bancaires ?
Il existe d'autres façons qu'une assurance publique d'envisager une
diminution du risque systémique et une bonne couverture des comptes de
déposants contre le risque de "bank run" et de
dépôt de bilan, et qui n'exposent pas les contribuables à
des risques dont ils ne prennent conscience que trop tard.
Ce point mériterait de longs développements, que je reporte
à un autre article. Mais en voici les éléments
essentiels, tous déjà traités
précédemment:
En amont du risque, le retour à
une neutralité fiscale entre rémunération de la dette et
rémunération des capitaux propres permettrait (déjà
évoqué ici et là) de renforcer tant le bilan des banques
que celui des entreprises à qui elles prêtent, ce qui
stabiliserait grandement les chocs dûs aux aléas conjoncturels.
En outre, serait hautement souhaitable la substitution aux réglementations de type Bâle I et II
(ou de leurs équivalents pour les assurances), normatives, d'une
liberté totale du choix des placements par les banques et assurances,
à condition de se montrer absolument transparent sur les "titres
primaires" produisant plus values et intérêts. Cette
transparence serait exigée y compris si ces titres primaires sont
"encapsulés" dans des produits dérivés de type
"structurés". Cela devrait permettre une bien meilleure
évaluation des risques de portefeuille par les investisseurs, et une
meilleure détection en amont d'éventuels problèmes
graves, que le système actuel fondé sur des notations par
des agences peu transparentes -
et discréditées - de produits
dérivés eux mêmes tout à fait opaques,
essentiellement conçus pour contourner les règlementation de
type bâle II (banques) ou NSDIC (compagnies d'assurances US). Une telle
réforme réglementaire ôterait d'ailleurs tout
intérêt à la plupart des produits dérivés
"structurés" d'obligations, qui ont joué un
rôle tellement important dans la mauvaise évaluation
généralisée des risques portés par les banques.
En aval de l'occurrence du risque, une gestion différente des
faillites bancaires permettrait de limiter considérablement les
risques liés à des faillites en cascade. Comme je l'ai
évoqué (notamment dans cet article pour l'AGEFI),
une procédure de "mise en faillite" express des banques en
défaut de paiement avec conversion des dettes en parts de capital
suivant des formules définies à l'avance permettrait à
la banque de faire face à ses échéances de
trésorerie et au nouvel actionnariat de prendre les meilleures
décisions pour éviter de léser les déposants.
Cela permettrait de répartir équitablement entre
détenteurs de capital et détenteurs d'obligation les pertes, et
de dégonfler la pyramide de dettes du système financier.
Je me suis en outre fait l'avocat d'un système d'assurance des comptes bancaires
purement privé, ou plutôt de plusieurs
systèmes assuranciels en concurrence, l'intervention publique se
bornant à en définir le cadre et à le faire respecter.
Naturellement, les détails d'un tel système doivent être
décrits avec plus de précision que je ne saurais le faire
à moi tout seul (je ne connais pas les subtilités du
métier d'assureur) mais l'évaluation des risques d'actifs ne
dépendrait plus de la banque elle même -- qui ne paierait donc plus elle
même l'agence chargée de l'évaluer, ce qui pose tout de
même un important conflit d'intérêt ! -- mais
de son assureur, qui aurait intérêt à ce que ce travail
d'évaluation soit bien fait. Il n'y aurait donc plus besoin d'un
agrément public des agences de notation, mais une sélection par
le marché des meilleurs évaluateurs, internes aux compagnies
assurant les banques ou externalisés, s'opèrerait.
Le système pourrait d'ailleurs être rendu encore meilleur en
obligeant les banques à révéler le coût de leurs
assurances et leurs taux de couverture réel en pourcentage de leur
bilan, ce qui donnerait de précieuses indications aux investisseurs
quant à la solidité des placements. On pourrait même
imaginer que les épargnants aient le choix entre des placements assurés
et d'autres non assurés, mais assortis d'un rendement
supérieur, à eux de faire le choix !
Je ne prétends pas que les
quelques pistes évoquées ci dessus soient les seules, ou qu'il
n'y en ait pas de meilleures. Mais elles montrent qu'il existe des pistes
pour qu'une faillite bancaire, même importante, puisse être
parfaitement "digérée" par le système sans
risque d'écroulement généralisé et sans placement
en position d'exposition à des risques qui leurs sont étrangers
de la plupart des contribuables.
Conclusion
L'affaire islandaise est trop complexe et a trop d'implications
internationales pour que l'on puisse émettre des opinions
réductrices et abusivement simplificatrices après un examen
rapide. D'ailleurs, un élément de droit important a pu
m'échapper, qui remettrait en cause une partie de mon analyse.
Mais en tout état de cause, il me semble que le président
Grimsson ne mérite pas l'opprobre dont les personnalités
politiques européennes se sont empressées de le couvrir. M.
Grimsson n'a fait que prendre en compte le réveil d'une population qui
se rend compte qu'elle a, elle aussi, été conduite sur une
mauvaise voie par sa classe dirigeante, et qui est peut être
prête à sortir de cette voie, quelles qu'en soient les
conséquences immédiates sur les finances de l'état
Islandais et donc sur les prestations qu'il pourra délivrer aux
habitants de l'île, et sur son isolement politique.
Imaginez que demain, la BNP ou la Société
Générale, ayant réussi une percée sur le
marchés de l'épargne des étrangers avec des produits un
peu risqués, se retrouvent par la suite en faillite, et que les
gouvernements des autres pays européens viennent trouver notre
président et lui disent qu'il devrait éponger une ardoise
représentant un doublement de la dette publique française par
ménage, pour renflouer le spéculateur de Francfort ou le
retraité de Wroclaw.
Estimeriez vous devoir payer les pots cassés d'une banque simplement
parce que la France a signé la directive européenne 94/19 et
que cette banque a son siège chez nous ?
Non ? Et bien, les Islandais sont du même avis que vous.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, bientôt la quarantaine,
a une formation d'ingénieur et est un ancien militant syndical de
Force Ouvrière, passé graduellement au libéralisme entre
94 et 2000, ayant fini par déduire de ses multiples expériences
personnelles et professionnelles que l'intervention de l'état ne
résolvait que rarement les problèmes de société
qu'elles prétendait combattre, mais qu'elle était au contraire
en grande partie le problème.
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos