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Quand,
après chaque grande guerre, on parle de démobiliser, on voit
toujours renaître la crainte qu'il n'y ait pas assez de travail pour
tous et que se produise une crise de chômage. Il est exact que,
lorsqu'on rend la liberté à des millions d'hommes à la
fois, il peut s'écouler un certain temps avant que l'industrie
privée ne puisse les réemployer, quoique l'expérience du
passé montre qu'au contraire une telle résorption s'est
opérée avec rapidité plutôt qu'avec lenteur. La
crainte du chômage n'apparaît que parce que l'on ne
considère qu'un côté de la question.
On
se représente les soldats, libérés en masse, envahissant
le marché du travail. D'où va venir le « pouvoir d'achat
» nécessaire pour les employer ? Si nous supposons que le budget
de l'État est en équilibre, la réponse est facile.
L'État n'aura plus à les entretenir. Mais les contribuables
pourront désormais garder l'argent qui était nécessaire
à cet entretien, et le consacrer à s'acheter des biens
nouveaux. La demande, en d'autres termes, sera accrue d'autant pour des fins
civiles, et ainsi pourra fournir du travail à cette main-d'œuvre
supplémentaire que représentent les soldats
libérés.
Si,
au contraire, les forces armées ont été soutenues par un
budget qui n'était pas en équilibre, c'est-à-dire par
des emprunts ou par toute autre espèce de déficit des finances
publiques, le cas est quelque peu différent. Mais cela soulève
aussi un autre genre de problème : celui des finances en
déficit, dont nous étudierons les effets dans un chapitre
ultérieur. Il nous suffit, pour l'instant, de noter que le
déficit financier n'a aucun rapport avec la remarque précédente,
car si l'on doit poser en principe qu'il peut se trouver quelque avantage
à avoir un budget en déficit, on peut précisément
maintenir ce même déficit en réduisant les impôts,
dans la mesure même où on les maintenait pour faire face aux
dépenses de guerre.
Mais
la démobilisation ne nous trouvera pas au point de vue
économique dans la même situation que pendant la guerre. Les
soldats, dont les dépenses étaient couvertes par les
impôts demandés aux civils, ne vont pas devenir des civils
improductifs que d'autres civils entretiendront. Ils deviendront des civils
qui se suffisent à eux-mêmes. Si on avait retenu dans
l'armée des hommes qui n'étaient plus nécessaires
à la défense du pays, cela eût été pur
gaspillage. Ils seraient en effet restés improductifs, et les
contribuables n'auraient bénéficié d'aucun avantage en
échange des sommes qu'ils auraient payées pour eux ; mais
maintenant les contribuables vont consacrer ces mêmes sommes à
payer les démobilisés redevenus des civils, en échange
des biens ou des services que ceux-ci vont apporter à la
collectivité. La production nationale, tout comme la richesse de
chacun, en sera augmentée d'autant.
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Le
même raisonnement s'applique aux fonctionnaires civils quand ils sont
trop nombreux, ou ne fournissent pas à la communauté des
services sensiblement équivalents aux traitements qu'ils
reçoivent. Pourtant chaque fois qu'on fait un effort pour en
réduire le nombre, s'élève une protestation qui qualifie
cette réforme de « déflationniste ». Allez-vous
priver de leurs pouvoirs d'achat tous ces fonctionnaires ? Allez-vous faire
tort aux cultivateurs et aux commerçants à qui ils ne pourront
plus rien acheter ? Vous voulez donc réduire le « revenu
national » et contribuer à créer ou intensifier une crise
?
Là
encore, l'illusion provient de ce que l'on se borne à
considérer les effets que cette mesure aura sur les fonctionnaires
licenciés et les commerçants qui vivent de cette
clientèle. On oublie, là aussi, que si ces fonctionnaires sont
remerciés, l'argent des contribuables qui servait à les
entretenir se trouve libéré. On oublie, là aussi, que le
pouvoir d'achat des contribuables et leur revenu montent dans la mesure
même où descendent ceux des fonctionnaires remerciés. Si
les commerçants qui ravitaillent ces fonctionnaires ont un manque
à gagner, d'autres un peu plus loin augmenteront leurs gains au moins
autant. Washington deviendra une ville moins prospère et fera
peut-être vivre moins de magasins, mais d'autres villes en alimenteront
davantage.
Une
fois de plus pourtant la question ne s'arrête pas là. Non
seulement la pays ne se porte pas plus mal d'avoir renoncé à
ses fonctionnaires en surnombre que s'il les avait gardés, il se porte
beaucoup mieux. Car ces gens sont obligés de chercher des emplois
privés, ou de s'établir à leur compte. Et le pouvoir
d'achat augmenté des contribuables, ainsi que nous l'avons
constaté pour la démobilisation des soldats, va accentuer ce
mouvement. Ces fonctionnaires ne trouveront du travail que dans la mesure
où ils rendront des services à ceux qui les emploieront —
ou plutôt aux clients des patrons qui leur procurent des emplois. Au
lieu d'être des parasites, ils sont devenus vraiment des hommes et des
femmes productifs.
Je
répète qu'en tout cela je ne parle pas des fonctionnaires dont
les services sont indispensables. Les sergents de ville, les pompiers, les
balayeurs, les employés sanitaires, les juges, les
députés, les agents d'exécution — j'entends tous
ceux qui sont nécessaires — rendent des services productifs
aussi importants que n'importe quel membre de l'industrie privée. Ils
permettent à celle-ci de fonctionner dans une atmosphère de
loi, d'ordre, de liberté et de paix. Mais la seule justification de
leur existence réside dans l'utilité de leurs services et
nullement dans le « pouvoir d'achat » qui leur est alloué
par le fait qu'ils émargent au budget.
Cet
argument du « pouvoir d'achat » est inouï quand on y songe
un peu sérieusement. On pourrait aussi bien l'appliquer à un
escroc ou à un voleur qui vous dépouille. Quand il vous a pris
votre argent, il a davantage de pouvoir d'achat. Grâce à cela,
il fera vivre des restaurants, des boîtes de nuit, des tailleurs,
peut-être même des travailleurs de l'automobile. Mais, pour
chaque dépense qu'il fait, la vôtre est diminuée d'autant
puisque vous avez tout cet argent de moins à dépenser. Il en
est de même des contribuables qui ont d'autant moins de travail
à donner que leurs impôts aident à rétribuer
davantage les fonctionnaires. Quand votre argent vous est volé, vous
ne recevez rien en échange. Quand votre argent vous est pris par
l'impôt pour rétribuer des fonctionnaires inutiles, la situation
est exactement la même. Et en vérité, nous avons de la
chance encore quand ces bureaucrates inutiles ne sont que des
fainéants inoffensifs. Mais par les temps qui courent, ils sont plus
probablement des réformateurs inflexibles qui s'emploient à
découvrir et à démanteler la production.
Quand
nous n'avons pas de meilleur argument pour garder un groupe quelconque de
fonctionnaires que celui de leur laisser leur pouvoir d'achat, cela prouve
qu'il est grand temps de s'en débarrasser.
Remerciements
: Hervé de Quengo, et traduction par Mme Gaëtan Pirou
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