Hier, en relation avec ce qu'on dénommait alors "monnaie", les
économistes s'intéressaient aux marchandises qui avaient été échangées par
les gens et qui avaient donné lieu à ... la monnaie.
La
marchandise était une autre façon de parler du marché.
Par
la suite, et ce qu'on dénommait "monnaie" perdant toute réalité à
cause des réglementations imposées dans l'aveugle, les économistes ont
divergé.
Beaucoup
ont perverti de diverses façons ce qu'il convenait d'en penser.
1.
Menger et la vendabilité de la monnaie.
Dans
le but d'expliquer la monnaie, Carl Menger (1840-1921)
avait constaté que, dans le passé, des marchandises avaient donné lieu,
chacune, à une marchandise vendue aisément, pas toujours la même selon les
temps et les espaces, qu'il était quotidien de dénommer "monnaie".
Il l'admettait vendable aisément dans l'avenir et y voyait une marchandise
vendable.
1.a. Vendabilité ou pouvoir de
vente.
Au lieu de marchandise vendable ou de vendabilité
de la marchandise dénommée "monnaie", Menger aurait pu faire
intervenir la "puissance de vente", le"pouvoir
de vente" ou la "force de vente" de la monnaie ainsi cernée.
Il ne l'a pas fait et ne s'est pas confronté ainsi à ce que d'autres
économistes dénommaient, par habitude, pouvoir ou puissance d'achat de la
monnaie (cf. ci-dessous).
1.b. Remarque: marchandise ou service.
Soit dit en passant, la marchandise ne saurait cacher le service.
Le service ne saurait être opposé à la marchandise comme il l'est souvent et
malgré ce que font croire les statisticiens dans leurs travaux.
Service et marchandise sont synonymes d'une façon générale.
Seulement,
à la différence de la marchandise qui est matérielle, le service ne l'est pas
(cf. Bastiat (1801-1850), http://bastiat.org/fr/services.html)
...
A défaut de faire référence à la marchandise, on peut dire aussi que le
service est d'abord synonyme d'acte échangé ou échangeable, l'acte cachant
toujours un coût d'opportunité.
Mais quand on raisonne en termes de résultats d'actes humains et non plus en
termes d'actes humains, les difficultés s'amoncellent.
Il y a, en particulier, l'absurdité, aujourd'hui à la mode, de parler de marchand
et non marchand et d'appliquer ces mots à la notion de
"service".
Selon ces extravagants, il existerait des services marchands et des services
qui ne le seraient pas.
Oubliant qu'il n'y a de service qu'échangé ou échangeable, ils insistent sur
un aspect de ce à quoi le marché des services a donné lieu, à savoir le prix
en monnaie ... quand il y a donné lieu (cf. Léon Walras, 1834-1910, Eléments
d'économie pure, §185 sur la question du marché des services).
Bref, il faut admettre que le service marchand ou la marchandise service est
un pléonasme tandis que le service non marchand est un oxymore.
1.c. Remarque : service et fonction.
Sans
relation avec le service, les "fonctions" de la monnaie sont le
plus souvent mises au premier plan:
- échange,
- unité de compte,
- réserve de valeur.
Mais ce qui est dit des fonctions n'est qu'une façon de parler de tel ou tel
service, sans le dire.
Avec l'essor de la politique monétaire, le chaos devient plus énorme.
En effet, quitte à voir dans la monnaie des fonctions, rien ne justifie de
les limiter à trois: les rôles de la politique monétaire sont des fonctions
de la monnaie dont personne ne parle et dont il faudrait parler pour être
cohérent.
1.d. Remarque : fonction et institution.
La fonction crée l'organe ou l'organisme, ou bien l'inverse: telle était une
grande question du XIXè siècle, entre autres, en
relation avec la biologie.
Qu'à cela ne tienne, depuis la décennie 1930, des économistes ont mis
l'accent sur les institutions, autre façon de parler des organismes.
Ce fut, en particulier, le cas à partir des travaux de R. Coase
(1910-2013) sur la "nature
de la firme" (1937).
Et ils ont vu, depuis lors, dans ce qu'on dénomme aujourd'hui
"monnaie" une institution ou un ensemble d'institutions contre quoi
Jacques Rueff (1896-1978) tendait à s'élever (cf. ce texte de novembre 2013).
2.
Fisher et le pouvoir d'achat de la monnaie.
Malgré
le titre du livre intitulé The
Purchasing Power of Money (1911), qui
laisse penser que le pouvoir d'achat de la quantité de monnaie est le coeur du livre, Irving Fisher
(1867-1947) s'est intéressé d'abord à l'équation des échanges des
marchandises passés.
Après s'être polarisé sur les échanges passés et à la différence de Menger,
Fisher a mis, semble-t-il, sans le vouloir, l'accent sur
- le pouvoir d'achat de la marchandise ou, si on préfère,
- l'achetabilité de la marchandise (... en ligne de
mire de son demandeur).
Cela l'a amené à insister sur le pouvoir d'achat de la monnaie, notion chère
au début du XXè siècle à Ludwig von Mises (1881-1973) pour désigner la
"valeur" de celle-ci.
De l'"équation des échanges", une équation qu'il considérait du
premier degré à une inconnue, Fisher a déduit et calculé l'inconnue qu'il a
dénommée "vitesse de circulation de la quantité de monnaie" et que,
plus tard, les monétaristes (à commencer par Milton Friedman, 1912-2006)
monteront en épingle.
De là, sans explication déterminante, il a expliqué qu'à certaines conditions
en relation avec la vitesse de circulation de la monnaie, primo,
toute variation de la quantité de monnaie dans un sens provoquait une
variation des prix en monnaie ou du "niveau des prix" de même sens
et, secundo, que les effets de la variation de la quantité se
répercutaient sur les prix en monnaie.
Remarque: Pareto et les prix en monnaie.
Pour
sa part, Vilfredo Pareto (1848-1923) était réservé à
l'égard de la notion de pouvoir d'achat de la monnaie (qu'il dénommait aussi
"puissance d'achat", §75 de son cours
d'économie politique de 1896-97) et préférait mettre l'accent sur les
prix en monnaie.
Il considérait ainsi que la monnaie était la marchandise qui servait de prix
aux autres marchandises (ibid., §269).
Soit dit en passant, le "schéma de la boite géométrique des marchandises
échangées" - qu'on peut lire dans son Manuel d'économie politiqueet qui permet
d'expliquer économiquement les échanges synallagmatiques de marchandises
échangées -, sera imputé curieusement, par la suite, à F.Y. Edgeworth et A.L.
Bowley (comme l'expliquent et s'en
formalisent Tarascio (1972)
puis Weatherby (1976)).
Sans le savoir, ces travaux sur Pareto complètent la façon dont ses idées ont
été dénaturées à partir de la décennie 1930 par un certain nombre
d'économistes (... en particulier américains, cf. ce texte de juillet
2009).
3. Marchandise, pouvoir de vente ou pouvoir d'achat et échangeabilité.
Les
notions de vendabilité et d'achetabilité
des marchandises, de pouvoir de vente et de pouvoir d'achat de la monnaie,
sont deux voies opposées qui confortent, chacune, les notions d'offre et de
demande de la marchandise, du marché.
Mais elles peuvent aussi être regroupées dans la notion d'échangeabilité.
En d'autres termes, échangeabilité devient alors
synonyme de marchandise.
Reste qu'à la différence de la marchandise ou du service qui est autant ex
post que ex ante (on ne s'inquiète pas de la durée),
l'échangeabilité suppose l'avenir et est
uniquement ex ante.
4. Cassel et la liquidité comptable d'une créance.
Parallèlement, Gustav Cassel
(1866-1945) s'était intéressé, quant à lui, à la comptabilité des échanges
effectués permise par ce qu'on dénommait "monnaie" et au
remboursement prochain attendu des créances par le propriétaire, en faisant
intervenir la notion de "liquidité".
La
liquidité n'était donc qu'une considération comptable, un rapport de la
créance à la créance à sa maturité prochaine convenue (selon Hutt, 1956).
A ce stade, la liquidité n'avait encore rien à voir avec les synonymes de
marchandise, de service, etc. et d'échangeabilité.
5. Convertibilité des "substituts de monnaie bancaires" en
monnaie or et réglementation.
Au
début du XXè siècle, sans que l'accent fût mis sur
le mot, la convertibilité avait rejoint les notions de vendabilité
ou d'achetabilité.
Comme celles-ci, elle supposait l'avenir et situait ex ante.
Etaient en question les "substituts de monnaie bancaires" (billets
et comptes de dépôt bancaires) en monnaie or.
La réglementation qu'est l'interdiction de la convertibilité des substituts
de monnaie bancaires en monnaie or et qui fut instauré à partir de la
décennie 1930, aura pour conséquence extraordinaire qu'il n'y a pas eu de variation
des règles de la comptabilité bancaire pour autant.
Tout s'est passé en effet comme si cette nouvelle réglementation n'avait pas
eu pour le législateur d'impact sur la comptabilité.
Pour les uns, on ne voulait pas modifier les règles, pour les autres, on ne
savait pas faire.
Et sur ce dernier point, les faits se sont accumulés jusqu'à aujourd'hui
inclus (par exemple, le "hors bilan" des banques).
Simultanément, malgré la nouvelle réglementation sans variation comptable
supposée, les substituts de monnaie bancaires
- ont été pris pour "monnaie" au lieu d'être considérés pour ce
qu'ils devenaient, des "substituts de rien bancaires" et
- sont devenus, pour des économistes orthodoxes, "monnaie interne"
et "monnaie externe" à la suite des travaux de Gurley
et Shaw (1960, cf. ce
texte de novembre 2013).
Soit dit en passant, cette distinction ne doit pas être confondue avec la
distinction qu'évoquait Ludwig von Mises dans un
article de 1917-1918 [repris dans la deuxième édition allemande de Theory of Money and Credit,
puis reléguée par la suite dans une annexe].
Elle a trait à la distinction entre la "valeur interne" (Binnenwert) et la "valeur externe" (Aussenwert) chère aux étatistes comme Lexis, par
exemple.1)
1) Lexis, "Papiergeld," in Handwörterbuch der Staatswissenschaften,
3d. ed.,
vol. 6, pp. 987 ff.
6. Keynes et la liquidité.
Au moment où l'interdiction de la convertibilité commençait à dénaturer ce
qu'on avait dénommé jusqu'alors la monnaie, tout va changer.
La liquidité appliquée à une marchandise allait acquérir un sens d'échangeabilité mais cacher le coût d'opportunité de cette
dernière.
Sans faire référence à ce coût, John Maynard
Keynes (1883-1946) a en effet enfoncé le clou en parlant de
"préférence pour la liquidité" pour désigner une composante de la
demande de monnaie qu'il particularisait ainsi dans le livre intitulé Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936) et qui
s'opposait à la demande de certaines créances/dettes.
Etant donné l'épargne nouvelle et les créances/dettes à long terme, à revenu
fixe, à taux d'intérêt nominal invariable, à quoi il supposait que
s'attendait avec incertitude l'épargnant/investisseur, Keynes a en effet
défini la "préférence pour la liquidité" comme une composante
de la demande des substituts de monnaie bancaires - convertibles ou non en
monnaie or, on ne sait - par opposition à la demande de créances/dettes
longues, à revenu fixe.
La prévision "variation monnaie et créances/dettes à long terme"
dans l'avenir faisait prévoir à l'épargnant/investisseur, en théorie, un gain
ou une perte à court terme selon qu'il choisissait la monnaie ou la
créance/dette.
James Tobin
(1918-2002) a proposé, vingt ans plus tard, une explication
microéconomique faisant intervenir des notions nouvelles, complémentaires
comme celle d'"aversion pour le risque".
7. Trappe
à liquidité
Dans la foulée, un débat a commencé à opposer les économistes sur l'influence
des taux d'intérêt des créances/dettes et la politique monétaire des
autorités.
Par "trappe
à liquidité", il fallait entendre l'influence inefficace de la
politique monétaire, les variations de la quantité de monnaie étant supposées
incapables de faire varier dans le bon sens les créances/dettes, la
production ou le revenu.
8.
Monnaie, liquidité et réserve.
La
liquidité a acquis alors une troisième signification en relation avec la
réglementation.
Au lieu que les mots "monnaie" ou "liquidité" continuent
à être employés, le mot "réserve" leur a été préféré par les
officiels, au prix d'un adjectif complémentaire.
Il y avait déjà :
- les "réserves fractionnaires", rapport entre les substituts de
monnaie bancaires et le crédit,
- les réserves obligatoires des banques de second rang auprès de la banque
centrale imposés par le législateur.
Il y aura désormais les "réserves publiques de change
officiel" de la banque centrale d'un pays étant donné les taux de change
fixes et balance des paiements en équilibre des pays membres (Bretton Woods 1944
). Elles sont aussi dénommées "réserves
internationales".
9. Liquidité, prix en monnaie des
actifs et concurrence .
La liquidité a acquis enfin un
quatrième sens en relation avec les prix en monnaie des
créances/dettes, des créances/dettes (obligations) non distinguées des
actions de société (hypothèse des statisticiens), pour en faire des actifs
homogènes.
Depuis la décennie 1950, les "financiers" parlent ainsi de
"liquidité parfaite" pour désigner une concurrence à élasticité des
"prix des actifs" infinie.
La liquidité est imparfaite quand l'élasticité n'est pas infinie.
10. Hicks et la liquidité.
Suite au rapport Radcliffe (1957), John Hicks (1904-1989) est revenu en
1962 sur la notion de liquidité à quoi il s'était intéressé, en particulier,
en 1935 en relation avec ce qu'il avait dénommé alors "frictions".
Il faut reconnaître que, d'une part, les "frictions" étaient pour
lui une façon de ne pas parler des coûts des actes d'échange ...
D'autre part, elles s'opposaient à la préférence pour la liquidité de Keynes
qui avait laissé de côté le coût d'opportunité des actes d'échange entre
"monnaie" et "créances/dettes".
Elles
étaient une autre façon de parler de l'élasticité prix imparfaite des actifs.
11. Un dernier mot: l'acte d'échange avant la "monnaie".
Bref, au coeur de toutes ces définitions de mots
(marchandise ou service ou fonction ou institution/organisme, pouvoir de
vente ou d'achat, échangeabilité et liquidité de
tel ou tel degré), qui s'articulent sur le mot "monnaie", il y a un
mot important, véritablement économique, qui est rarement évoqué, à savoir
celui de coût d'opportunité de l'acte d'échange humain, hormis peut-être par le
groupe de Bellagio.
Sans le dire, tous les mots précédents tournent autour de ce coût et,
surtout, autour de sa diminution dont ils ne semblent pas avoir idée et à
quoi donne lieu ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui.
Ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui cache en effet le coût
d'opportunité des actes d'échange de situation de chacun.
Le problème de la monnaie n'est pas d'abord sa quantité, mais son existence
(expliqué par la boite de Pareto) et le coût d'opportunité de l'acte
d'échange humain (quand on ne se limite pas aux résultats observables) que ce
qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui contribue à diminuer.
Bref, la monnaie n'est pas première comme beaucoup s'en accommodent, mais au
mieux deuxième, elle est conséquence des actes d'échange des êtres humains et
non pas cause.