LES DEFICITS comptent-ils ? Au moment même où les
missionnaires anglais passaient en revue la toute première bible
chinoise, l’empire britannique se trouvait face à un
problème de traduction un peu plus embêtant.
Exporter la langue de Shakespeare en Chine -- et un peu de foi
Quaker -- s’est avéré bien plus facile que
d’exporter des produits britanniques pendant les années 1830.
Les importations de l’étranger, par contre,
continuèrent de croitre avec l’essor de la révolution
industrielle en Grande-Bretagne -- le tabac, le sucre, le café, les
tissus, la porcelaine et la soie devenant très prisés par les
consommateurs.
Bien sûr, la Grande-Bretagne possédait les
plantations des Antilles et les usines du Bengale. Ces déficits ne
comptaient donc pas car elles n’existaient même pas. Mais «
les Britanniques échouèrent de manière spectaculaire
à trouver des produits que désiraient ou dont avaient besoin
les Chinois », comme le notait Jonathan Spence, professeur
d’histoire à Yale, dans ses Reith Lectures pour la BBC en
début de semaine.
Ainsi « il y avait un problème de
déséquilibres commerciaux ». Ne pouvant trouver des
produits de consommation à livrer à travers les océans,
les marchands londoniens se trouvaient obligés à régler
en espèces.
Pour les Britanniques, la monnaie était synonyme d’or,
tout comme c’était le cas jusqu’au dernier soupir du Gold
Standard cent ans plus tard. Mais les Chinois voulaient de l’argent
(métal).
(En fait, ils n’utilisèrent jamais l’or.
Et tandis que la Grande-Bretagne se remit rapidement de la Grande
Dépression en abandonnant l’or pour la
monnaie-crédit en 1931, la théorie demeure que la Chine
s’en esquiva entièrement, se tenant à son standard
argent…)
Au début du 19ème siècle donc, traduire la
livre britannique pour le yuan chinois voulait dire vendre de l’or pour
de l’argent, et cela impliquait la négoce sur le marché
des métaux précieux d’Europe. Payer une commission aux
négociants d’or de Paris ou de Prusse -- ainsi que
tout le va-et-vient associé à la livraison -- ne faisait
qu’ajouter aux frais de ce déficit commercial béant.
Que faire ?
Un peu du coton brut de l’Empire britannique trouva un
marché en Chine, mais ce n’était certainement pas
suffisant pour combler le déficit commercial. L’orcontinua
à ‘déserter’ Londres, enrageant les
économistes et décideurs, aussi connus sous le nom de
‘mercantilistes’. Ils craignaient que l’envoi d’or vers
la Chine résulteraient en une pénurie de pièces de
monnaie de l’économie britannique, en plus d’une chute de
la valeur internationale de la livre sterling…fournissant par la
même occasion du travail aux laboureurs étrangers, en payant les
profits à leurs maîtres étrangers…tout en laissant
les caisses de Londres appauvries si elles devaient financer une
défense militaire dans le pays.
Et donc « ce fut cet échec mélancolique de
la balance commerciale qui mena au lancement du business de l’opium en
Chine », explique le Professeur Spence. L’opium cultivé en
Inde « commença à être vendu aux Chinois par les
marchands Britanniques, et plus tard les marchands Américains, car
l’Occident ne pouvait tout simplement pas, à
l’époque, trouver assez de produits pour attirer les Chinois
dans un système de troc ».
La consommation répandue de drogue et
l’effondrement social qu’elle entraîne rejoint rarement la
politique gouvernementale -- pas au niveau national, en tout cas.
L’opium avait été depuis longtemps interdit, par
décret impérial, à Nanjing. Mais après avoir
essayé pendant dix ans de se parer des trafiquants de drogue sans
nuire à l’aflux d’argent, les autorités
impériales Qin n’en pouvaient plus et décidèrent
de prendre position.
Le gouverneur chinois saisit 20 000 caisses de drogue -- quelque
1 200 tonnes-- débarqué à Guangzhou. Londres
répliqua avec une canonnière. La Guerre de l’Opium de
1839 qui suivit prit fin 3 ans plus tard avec le traité de Nanjing, en
vertu duquel la Grande-Bretagne -- grâce à sa puissance
militaire -- acquit l’île de Hong Kong, la réduction des
droits de douane, la non-soumission de ses expatriés à la loi
chinoise, ainsi que le statut de « nation la plus favorisée
».
Quelles que soient les concessions ou droits commerciaux que la
Chine accorderait dans le futur, l’empire Britannique en profiterait
aussi. Et même si l’opium ne figurait pas explicitement dans le
traité, le déficit commercial fut réduit par la drogue
plutôt qu’en espèces.
En prenant en compte l’histoire, comment les Etats-Unis
pourront-ils réduire leur déficit commercial avec la Chine ?
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