Grégoire
Canlorbe : Pourriez-vous
commencer par nous rappeler votre parcours intellectuel, universitaire
et professionnel ? En particulier pourriez-vous revenir sur les raisons
qui vous ont successivement poussée à fonder l’Institut Economique Molinari, à
mettre en place l’Université
d’Automne en économie autrichienne et à écrire vos deux essais respectifs
sur le développement
durable et sur le modèle
français ?
Cécile
Philippe : Après
un bac B d’économie, j’ai intégré l’université Paris-Dauphine afin d’y faire
ce qu’on appelait à l’époque une maîtrise de sciences de gestion. Je n’y ai
pas trouvé mon bonheur. Entre le modèle IS-LM, la théorie néoclassique et la
théorie de la valeur travail chez Marx, je n’arrivais pas à trouver de
réponse à ma grande question : comment fonctionne le monde et nos
institutions. Du coup, j’ai multiplié les démarches entrepreneuriales en
suivant le cursus création d’entreprise, en participant à un raid humanitaire
en Afrique et en voyageant en Asie. C’est alors que j’ai eu l’idée de suivre
- toujours à Dauphine, un Desup de gestion des entreprises dans les pays en
développement. Grand bien m’en a pris. Car outre le fait d’être entourée dans
le cadre de ce diplôme d’élèves de différentes nationalités – notamment
africains et asiatiques – aussi intéressants que sympathiques, j’ai eu aussi
la chance cette année là (en 1998) de découvrir l’école d’économie
autrichienne.
En
effet, le professeur Pascal Salin enseignait alors un cours d’économie
internationale et il nous mentionna des auteurs comme Friedrich A. Hayek,
Ludwig von Mises, etc. Ce fut comme un déclic. Moi qui n’avais qu’une chose
en tête depuis mon entrée à l’université – la quitter pour trouver un
job - je ne pouvais plus envisager de m’arrêter en si bon chemin..
Il fallait que j’en sache plus maintenant que j’avais trouvé ce qui faisait
sens pour moi.
Du coup, j’ai
enchaîné avec un DEA au Centre d’analyse économique de l’université
Aix-Marseille III. J’y ai passé une année passionnante avec des professeurs
comme Gérard Bramoullé, Jacques Garello, Jean-Pierre Centi et cela m’a décidé
à faire une thèse à Paris sous la direction de Pascal Salin. En toute
dernière année de thèse, je me suis vu offrir une bourse privée (la Rowley
Fellowship) par le Mises Institute et il n’en fallu pas plus pour que je
m‘envole vers les Etats-Unis. Je suis restée à Auburn (Alabama) environ un an
et demi et cette expérience au sein d’un think-tank a été très marquante pour
moi. En effet, cet institut fêtait en 2002 ses 20 ans et je restais ébahie
devant le travail accompli. Ayant moi-même une fibre intellectuelle et
entrepreneuriale, je me suis alors dit que l’idéel serait de conjuguer les
deux en créant à mon retour en Europe un think-tank qui serait dédié aux
questions d’analyse des politiques publiques. C’est ce que j’ai fait en
2003 : en même temps que je soutenais ma thèse, je créais l’institut
économique Molinari.
Après, tout
est question d’opportunité et de rencontres. Au Mises Institute, j’ai eu la
chance de rencontrer Guido Hulsmann qui depuis est devenu professeur à
l’université d’Angers. Dès la création de l’IEM, j’ai par ailleurs crée un
séminaire Action humaine qui consistait à décortiquer et analyser l’ouvrage
de Ludwig von Mises. Il rassemblait des personnes comme Marian Eabrasu,
Gabriel Gimenez-Roche, Nikolay Gertchev, etc. avec lesquels j’ai noué des
liens amicaux et intellectuels durables. Ensemble, avec le soutien du
créateur du site Internet 24hgold tout aussi féru que nous d’économie
autrichienne, nous avons pu réaliser un rêve : mettre sur pied une
université d’automne visant à initier les jeunes et les moins jeunes à ce
courant de pensée économique sans doute trop méconnu et que je crois
néanmoins fondamental à la compréhension du monde qui nous entoure.
Grégoire
Canlorbe : En
panne depuis trente ans le marché du travail français fait l’objet d’une
attention particulière de votre part dans votre récent ouvrage Trop tard
pour la France ? De nos jours il semble être communément admis que le
chômage, d’une manière générale, doit sa raison d’être à deux phénomènes bien
distincts. Le chômage dit classique résulte de la décision prise par les
entreprises de limiter les embauches, au motif qu’elles jugent le coût du
travail trop élevé ou les rigidités sur le marché du travail trop
importantes ; et ce, malgré la demande potentiellement soutenue qui leur
est adressée.
Coexistant
avec ce premier type de chômage le chômage dit keynésien provient quant à lui
de débouchés anticipés insuffisants. Dans les limites imposées par les
capacités de production disponibles, le volume de la production s’adapte en
effet au volume de la demande qui est anticipé par les entreprises. Il n’est
pas garanti que ce volume anticipé par les entreprises soit suffisant pour
embaucher tous ceux qui souhaiteraient trouver du travail au taux de salaire
en vigueur.
A cet égard le
remède qui s’impose pour résorber le chômage (notamment en France) est de relancer
la demande – via la manipulation des taux d’intérêt, la hausse des dépenses
publiques ou la redistribution des revenus ; et non point simplement
d’assouplir les contraintes juridiques pesant sur le marché du travail.
Comment
résumeriez-vous votre position sur cette vision des choses mainstream ?
Cécile
Philippe :
Effectivement, je consacre un chapitre entier au marché du travail français.
Je suis d’ailleurs convaincue que s’il est une réforme à faire en premier,
c’est bien de s’attaquer à ses trop nombreuses rigidités. Il n’est pas
surprenant que la France soit classée en la matière en 113ème
position sur 142 pays par le Forum économique mondial. Notre marché du
travail cumule tous les handicaps : un Smic élevé, une durée légale du
travail stricte, un monopole de l’assurance chômage, un niveau de protection
de l’emploi extrême sans oublier des charges sociales et des aides élevées.
Ma position
concernant la vision que vous exposez est de rappeler qu’il y a en fait une
certaine compatibilité entre ce que Keynes écrivait et ce que vous appelez la
vision classique. En effet, les keynésiens partent du principe qu’il y a une
certaine rigidité des salaires à la baisse. Par conséquent, il faut en
quelque sorte leurrer les travailleurs en leur offrant des salaires nominaux
plus élevés mais qui au final se révèlent des salaires réels plus faibles,
permettant aux entreprises de « sauver les meubles. » Sauf que ce
n’est qu’une façon d’avouer que le marché du travail ne fonctionne justement
pas comme un marché.
Les offres et
les demandes ne se rencontrent pas librement, ce qui empêche l’émergence de
contrats satisfaisant les attentes des employeurs comme des demandeurs
d’emploi. La liste des atteintes portées par l'actuel droit du travail à la
liberté contractuelle et à la liberté d’association est extrêmement
longue : « La liberté du travail est supprimée avant seize ans et
après un âge variable selon les catégories mais autoritairement fixé ;
les clauses du contrat de travail sont définies à l’avance ; le travailleur
est obligé subséquemment de cotiser à un régime d'assurance vieillesse dont
les termes lui sont imposés et de participer à un système de protection
contre le chômage ; les heures de travail sont définies par le
législateur […] ; le contrat individuel n’a pas force obligatoire si ses
clauses diffèrent de celles du contrat type des conventions collectives, qui,
de plus, peuvent être étendues par décision administrative à des entreprises
qui ne sont initialement pourtant pas parties – l'existence même de ces
conventions constituant en soi une atteinte à la liberté du travail
puisqu'elles imposent des ententes horizontales obligatoires entre
travailleurs et firmes. »
Si on arrivait
à faire fonctionner le marché du travail normalement, on parviendrait sans
doute à diminuer fortement le chômage, au point de l’amener à ce qu’on
appelle son niveau naturel, comprenant le chômage dit volontaire.
De plus, les
remèdes préconisés par Keynes créent sans doute beaucoup plus de problèmes
qu’ils n’en résolvent puisque la manipulation des taux d’intérêt est à
l’origine des cycles économiques et des graves crises financières qui
secouent nos sociétés. Nous y reviendrons.
À suivre
|