Les problèmes actuels de la Grèce, et à terme d'autres pays de la zone
euro, ne traduisent pas des difficultés de financement global de celle-ci,
mais plutôt l'absence d'une véritable politique économique commune.
En outre les coûts juridiques, financiers et politique à long terme pour
un pays qui souhaiterait sortir de la zone Euro, sont trop élevés, comme l'a
démontré l'économiste américain Barry Eichengreen.
Les pays de la zone Euro sont donc condamnés à s'entendre ou à dépérir
économiquement ensemble : en résumé, une tragédie grecque dont l'auteur
pourrait être Sophocle.
Une vraie "fausse solution" : le premier acte de la
tragédie.
Pour faire face à la faillite de la Grèce, due pour l’essentiel à un
énorme déficit commercial et budgétaire (12,9% de son PIB), les instances
européennes ont décidé de mettre en place un plan d’aide, sur trois ans, qui
portera sur une somme d’environ 45 milliards de d'euro (la première année) et
qui prendra la forme pour les 2/3 de prêts bilatéraux et pour le 1/3 restant
de prêts du FMI.
Celui-ci ne sera activé « qu’en dernier recours », c’est à dire
si la Grèce n’arrive pas à se financer à un taux raisonnable (ce qui est
flou) et tiendra compte du risque (le taux pour les prêts bilatéraux devrait
se situer à environ 5%).L'Allemagne exige, en outre, que la situation de
l'euro soit globalement menacée.
La BCE devra juger la requête justifiée et il faudra, en outre, obtenir
l'assentiment des ministres des finances de la zone euro. Enfin une
commission centralisera les prêts et la BCE sera l'agent payeur.
La Grèce s'est engagée, en contrepartie de l'aide accordée, à réduire son
déficit budgétaire de 4% en 2010 puis de le ramener, en 2013, à 3% du PIB.
L'idée était d'offrir ainsi une garantie à la Grèce afin qu'elle puisse
emprunter à un taux raisonnable. Le problème est qu'Eurostat a annoncé
aujourd'hui (22 avril) que le déficit grec était en réalité de 13,6 du PIB,
ce qui a eu pour conséquence que le taux des obligations grecques à 10 ans a
atteint un sommet de 8,5% (soit trois fois plus que le taux allemand). Selon
le Wall Street Journal la Grèce aurait, en réalité, besoin de 80 milliards
d'euro (et non pas 45) afin d'éviter la faillite.
D'un point de vue économique, le déficit budgétaire est la conséquence du
déficit commercial et non pas le contraire. Il faudrait donc, en outre, que
la Grèce réduise ses coûts de production dont les coûts salariaux de 17 à 20%
sur un période de trois ans.
La seule solution envisageable serait donc un moratoire de la dette
accompagné de transfert conséquent en provenance de l’Union européenne, mais
comme cela n’est pas possible. Il reste donc à envisager « un défaut de
paiement ordonné ».
Chronique d’un défaut de paiement annoncé ? : deuxième acte de la
tragédie.
Dans un remarquable ouvrage (« This time is different : Eight
centuries of financial folly) Kenneth Rogoff explique que le phénomène
récurrent, le plus significatif, est qu’une crise bancaire internationale est
le plus souvent suivi d’une vague de défauts sur la dette souveraine qui a
pour conséquence une restructuration de celle-ci.
Reprenons donc l'équation économique grecque à partir de ce qui précède.
Elle doit réduire son déficit budgétaire de 4% en 2010 (ce qui est
possible) et le ramener à 3% en 2013, en réduisant ses dépenses et en faisant
augmenter ses impôts, ce qui est impossible.
Elle doit, en outre, réduire ses coûts de production dont les coûts
salariaux de 17 à 20% sur 3 ans afin de restaurer sa compétitivité.
Si on tient compte de la variable politique, c’est à dire de l’acceptation
de ces mesures économiques par la population grecque. La seule et l’unique
solution « c’est le défaut de paiement ordonné » à la manière de
l’Uruguay ou plus récemment du Kazakhstan, qui lui permette de renégocier sa
dette et d’obtenir un abandon de celle-ci à hauteur de 30 à 50% de la part de
ses principaux créanciers (banques françaises et allemandes).
Elle pourra ainsi recapitaliser son système bancaire qui souffre, en
outre, de la fuite des capitaux.
A partir du problème grecque, on peut poser celui de la zone euro.
L’existence de deux zones euro: la zone eurofranc et la zone euromark qui
n’ont pas des intérêts convergents.
La politique du passager clandestin :
La zone euro est constituée, d’une part, de pays qui ont des excédents
commerciaux(l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas : la zone euromark) et une
demande interne faible; et, d’autre part de pays qui ont des déficits
commerciaux (significatifs voir énormes : La France, l’Italie, L’Espagne, le
Portugal, la Grèce qui forment la zone eurofranc) et une demande interne
forte.
Les excédents des uns sont les déficits des autres, c’est ce qui
permettait, avant la crise, que le niveau de la demande globale soit
satisfaisant dans la zone euro.
Si on veut être plus précis, avant la crise, le déficit des secteurs
privés de l'Europe du sud correspondait aux excédents des secteurs privés de
l'Europe du nord.
Dans ce schéma économique le déficit budgétaire est la conséquence du
déficit commercial. La réduction de la dépense publique consiste donc à
traiter la conséquence (le déficit budgétaire) et non pas la cause (le
déficit commercial).
Le problème, c'est qu'après la crise, les secteurs privés des pays de la
zone Euro sont revenus à l'équilibre, laissant subsister d'importants
déficits et excédents de la balance courante.
Si la zone Euro souhaite arriver à un niveau satisfaisant de demande
globale, il faut que les pays déficitaires réduisent leurs déficits puisqu'il
est la cause des déficits budgétaires qui deviennent intenables, mais il faut
aussi (et surtout) que les pays excédentaires stimulent leurs demandes
internes (essentiellement l'Allemagne).Or l'Allemagne refuse de mener ce type
de politique.
En effet la bonne tenue de la balance commerciale allemande est due à une
montée en gamme des entreprises, à l'assainissement de leurs bilans et à la dérégulation
du marché du travail. Mais aussi à une politique d'outsourcing
(délocalisation de segments entiers de la production vers des pays émergents)
ainsi que de réduction des coûts de production, notamment salariaux.
Cette stratégie économique induit une dépendance accrue vis à vis des pays
émergents (notamment un déficit commercial) mais est compensée par la
conquête de part de marché à l'intérieur de la zone Euro. Ainsi le déficit
bilatéral de la France vis à vis de l'Allemagne est passé de 13,5 milliards
d'euros en 2006 à 17,5 milliards en 2007.
Il s'agit bien de la politique du passager clandestin, car si tous les
pays de la zone Euro avaient mené un politique similaire à celle de
l'Allemagne, on aurait abouti à un énorme déficit vis à vis des pays
émergents et à une déflation de la demande intérieure.
En définitive le handicap de la zone Euro est de ne pas être "une
véritable nation".
De l’inconvénient de ne pas être une nation : troisième et dernier
acte de la tragédie.
Le handicap structurel de la zone Euro est qu'il ne s'agit pas d'une
véritable Union économique et monétaire(UEM). En effet pour être efficiente
une UEM doit s'appuyer à la fois sur une politique monétaire commune mais
aussi sur une politique budgétaire et fiscale commune (critère de Mundell) ou
du moins coopérative (ce qui implique aussi la mise en place d'une politique
sociale commune).
Or la zone Euro, telle qu'elle est, permet la spécialisation des régions
puisqu'il y a libre circulation des biens, du capital et monnaie unique; mais
il n'y a pas de mobilité du travail ni de fédéralisme fiscal ou social,
puisque les transferts sociaux et les dépenses publiques restent financés sur
une base nationale.
Dès lors la principale justification économique de l'Union européenne
disparaît. Elle repose sur la théorie des grands marchés qui consistent à
amener l’ensemble des pays vers un standard économique commun et à traiter
les problèmes d ’emploi et de croissance non pas sur une base nationale
mais à l’échelle du marché de l’Union européenne, ce qui est impossible sans
une politique budgétaire et fiscale commune.
Les politiques d’ajustement économique proposées aux PIGS (Portugal,
Italie, Grèce et Espagne) auxquels il faut ajouter : l’Irlande, la France et
le Royaume Uni, ne sont rien de moins que les politiques d’ajustement
structurels qui étaient naguère proposées aux pays en voie de développement
("le consensus de Washington") et qui ont partout échoué car elles
soumettent les pays à un choc asymétrique (ils doivent réduire leurs dépenses
publiques au moment où ils en ont le plus besoin), elles ne tiennent pas
compte des effets des faillites ainsi que des problèmes de gouvernance
d’entreprise. En un mot, elles accentuent les effets de la récession.
Le principal risque pour la zone Euro, c’est le risque de la contagion qui
est amplifié par les CDS qui accentuent les prises de positions spéculatives
sur la dette souveraine.
A cause des CDS, on peut craindre que la crise ne s’étende à Espagne et au
Portugal, puis à Irlande et l’Italie, enfin au Royaume-Uni. L’Europe risque
donc une nouvelle récession.
Il faudrait d‘ailleurs plutôt parler « de contagion à l’œuvre »
puisque l’agence Fitch a baissé la note du Portugal de « AA » à
« AA- » avec perspectives négatives. Quant à l’agence Moody, elle
envisage de retirer à la France la note « AAA » ainsi qu ’à
l’Espagne.
Si l'Union européenne était « une véritable nation », elle
serait dans une bien meilleure situation que les États-Unis puisque sa dette
publique est inférieure à celle des États-Unis et son déficit budgétaire est
équivalent à la moitié du déficit américain.
Ajoutons à cela, afin de mesurer le gâchis, que l’Union européenne est la
première nation économique du monde.
En conclusion : L’Union européenne est devenue le laboratoire de
la crise actuelle.
Ce que montre la crise de la dette souveraine, dans la zone euro, c’est
qu’il est très difficile, voire impossible, de mettre en place des politiques
économiques coopératives, même pour des pays qui sont passés par un long
processus d’intégration économique.
On voit mal, donc, comment il serait possible de mettre celles-ci en
oeuvre dans le cadre du G20, d’autant plus que les pays riches et les pays
émergents se livre une véritable partie de poker menteur.
En effet les dirigeants des pays riches (ou anciennement riches) ont
compris que la mondialisation n'est souhaitable que dans le cadre d’ensemble
régionaux groupant des pays économiquement et politiquement associés, et de
développement économique et social comparable. Ils vont donc utiliser le
réchauffement climatique et l'économie verte, dans une optique politique,
afin d'utiliser les normes environnementales comme un moyen de protéger leurs
économies contre la concurrence des pays émergents ( qui représentent 52% du
PIB mondial).
Les pays, émergents qui ont très bien compris cette stratégie, entendent
quant à eux réserver la forte croissance de leurs marchés intérieurs à leurs
entreprises (comme l'illustre la loi chinoise sur "l'innovation
indigène" qui réserve aux entreprises chinoises de haute technologie,
les appels d'offre de l'administration chinoise).
La montée du protectionnisme, à moyen terme, parait donc inéluctable.
Dans ce contexte le calcul allemand est un calcul à court terme. Les
Allemands, qui sont des gens intelligents, ont compris que la croissance
serait faible dans la zone euro (1% selon le FMI en 2010), afin de
sauvegarder leur modèle économique qui est basé sur d'importants excédents
commerciaux, il envisage de recentrer leur stratégie économique sur les pays émergents
où la croissance est forte (10% en Chine, 8,8% en Inde et 5,5% au Brésil en
2010 selon les prévisions du FMI).
Alors que la seule manière, pour les pays de la zone euro, d'affronter le
monde nouveau (postérieur à la crise) est de se doter d'une politique
budgétaire et fiscale commune. Dans le cas contraire, certains pays
connaîtront une régression économique rapide (par exemple la Grèce) et
d'autres une régression lente (la France et l'Allemagne).
Enfin la crise de la dette souveraine, dans la zone euro, est le symptôme
d’une crise monétaire international à venir, si on suppose que la dette
américaine n’est plus finançable, dans ce cas on évincerait les autres dettes
souveraines au bénéfice de cette dernière.
Nous sommes dans une situation assez semblable, à celle que nous avons
connue, lors de la faillite de la banque Bear Stern.