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1. Les
forces motrices de l'économie
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Lorsqu'on suppose une économie à l'état statique, c'est
pour apporter une aide temporaire à la pensée et non pour
embrasser exactement la réalité. Sans cet artifice de
pensée nous n'arriverions pas à connaître
scientifiquement les lois des changements économiques. Pour
étudier le mouvement, il faut nous représenter d'abord un
état où il manque: cet état d'équilibre vers
lequel tous les objets de l'activité économique nous semblent
tendre à l'instant, et qu'ils atteindraient se de nouveaux faits n'intervenaient
pas pour amener un autre équilibre. Dans cet état
d'équilibre qu'imagine la pensée, toutes les parcelles des
facteurs de production sont employées de manière
répondant le mieux aux besoins de l'économie. Il n'y a aucune
raison de les soumettre à des changements quelconques.
Sans doute il est
impossible de se représenter une économie socialiste vivante,
c'est-à-dire changeante, parce qu'une économie sans calcul
économique est impossible. Mais il n'est pas impossible de se figurer
une économie socialiste à l'état statique. À
condition qu'on ne demande pas comment on en est arrivé à cet
état statique. Si l'on fait abstraction de cette question, on peut
très bien s'imaginer la situation d'une communauté socialiste.
Toutes les théories et utopies socialistes ont toujours en vue un
état de choses immuable.
2. La
jouissance du Travail et la peine du Travail
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Les écrivains socialistes dépeignent la communauté
socialiste comme un pays de Cocagne. C'est Fourier avec son imagination
déréglée qui s'aventure le plus dans ces conceptions
paradoxales. Dans l'État idéal de l'avenir, les bêtes
nuisibles auront disparu et auront été remplacées par
des animaux qui aideront l'homme dans son travail, ou feront même tout
le travail à sa place. Un anti-castor se chargera de la pêche,
une anti-baleine remorquera les navires sur la mer les jours de calme plat,
et un anti-hippopotame les bateaux sur les fleuves. À la place du
lion, il y aura un anti-lion, coursier d'une rapidité merveilleuse sur
lequel les cavaliers trouveront une assiette aussi moelleuse que sur les
coussins d'une voiture bien suspendue. « Ce sera un plaisir
d'habiter ce monde quand on aura de tels serviteurs. »(1) Godwin ne tient pas pour impossible
qu'après l'abolition de la propriété, les hommes
deviennent immortels(2). Kautsky nous apprend qu'avec
la société socialiste « naîtra un nouveau type
d'homme... un surhomme, un homme sublime. »(3) Trotski
entre encore plus dans le détail: « L'homme sera beaucoup
plus fort, beaucoup plus perspicace, beaucoup plus fin. Son corps sera plus
harmonieux, ses mouvements plus rythmiques, sa voix plus musicale. La moyenne
humaine s'élèvera au niveau d'Aristote, de Goethe, de Marx. Et
au-dessus de cette crête de montagnes s'élèveront de
nouveaux sommets. »(4) Et les oeuvres
des écrivains qui écrivirent de telles calembredaines ont eu de
nombreuses éditions, ont été traduites dans plusieurs
langues et ont fait l'objet de travaux détaillés de la part de
ceux qui étudient l'histoire des idées!
D'autres
écrivains, plus prudents dans la forme, partent cependant de
conceptions analogues. Les théories marxistes ont comme fondement
latent, l'idée, plus ou moins confuse, que les facteurs naturels de la
production n'ont pas besoin d'être économisés. Cette
conclusion s'impose fatalement avec un système pour qui le travail est
le seul et unique élément du coût de la production, qui
ignore la loi du rendement non proportionnel, qui conteste le principe
malthusien de population, et qui abonde en imaginations fumeuses sur la
possibilité d'accroissement indéfini de la productivité
du travail(5). Il est inutile d'insister. Il suffit
de constater que dans la communauté socialiste aussi les facteurs
naturels de la production ne seront disponibles qu'en quantité
restreinte, de sorte qu'il faudra bien les employer avec économie.
Le second élément
de l'économie est le travail. Faisons tout à fait abstraction
de la différence de qualité du travail. Le travail n'est
disponible qu'en quantité restreinte, parce que l'individu ne peut
fournir qu'une certaine mesure de travail. Même si le travail était
un plaisir, il faudrait quand même en user économiquement avec
lui, parce que la vie humaine est bornée dans le temps et que les
forces humaines ne sont pas inépuisables. Même celui qui ne vit
que pour son plaisir et qui n'a pas besoin d'économiser son argent,
est forcé de répartir son temps, c'est-à-dire qu'il doit
choisir entre plusieurs possibilités de l'employer.
Il faut une gestion
économe parce que pour des besoins illimités le total des biens
de premier ordre fournis par la nature ne suffit pas. D'autre part les biens
d'ordre supérieur, étant donné un certain niveau de la
productivité du travail, ne peuvent être utilisés pour la
satisfaction des besoins qu'avec une consommation de force croissante; et
enfin l'augmentation de la masse du travail – qui du reste ne peut
être réalisée que jusqu'à une certaine limite
– est liée à un accroissement de peine.
Fourier et son
école croient que la peine du travail est une conséquence
d'institutions sociales absurdes. Elles seules sont cause que ces mots
« travail » et « peine » soient
synonymes. Le travail par lui-même ne serait pas repoussant. Au
contraire, tous les hommes éprouveraient le besoin d'être
actifs. Le désoeuvrement engendre un insupportable ennui. Si l'on veut
rendre le travail attirant, il faut qu'il soit accompli dans des ateliers
propres et sains, il faut réunir les ouvriers dans une agréable
camaraderie qui augmente la joie au travail, il faut faire naître entre
les ouvriers une joyeuse émulation. Mais la cause principale de la
répulsion qu'inspire le travail provient de sa continuité. On
se fatigue même des jouissances lorsqu'elles durent trop longtemps. On
devrait laisser accomplir aux ouvriers à leur guise des travaux
différents, alternés. Le travail deviendrait alors une joie et
ne provoquerait plus de répulsion(6).
Il n'est pas difficile
de montrer la faiblesse de cette argumentation qu'ont approuvée les
socialistes de toute nuance. L'homme sent en lui le besoin de manifester son
activité. Même si ses besoins ne le poussaient pas à
travailler, il ne passerait pas son temps à se rouler dans l'herbe et
à se chauffer au soleil. Les jeunes animaux et les enfants, qui ont
des parents pourvoyant à leur nourriture, agitent leurs membres,
dansent, sautent, courent pour employer en jouant les forces que ne requiert
encore aucun travail. Se remuer est un besoin physique et psychique.
Et
c'est ainsi qu'en général un travail, qui tend vers un but,
procure une jouissance. Jusqu'à une certaine limite toutefois, au
delà de laquelle il devient une peine. Dans le dessin ci-contre, la
ligne OX, sur
laquelle nous reportons le rendement du travail, sépare la peine du
travail et la jouissance procurée par la manifestation de
vitalité, jouissance que nous appellerons: jouissance directe du
travail. La courbe a b c p représente
la peine du travail et la jouissance du travail dans leur rapport avec le
rendement du travail. Quand le travail commence, il est ressenti comme une
peine. Lorsque les premières difficultés sont
surmontées, et que le corps et l'esprit se sont adaptés, la
peine du travail baisse. En b, il n'y a
ni peine de travail ni jouissance directe du travail. Entre bet c, une
jouissance directe de travail est ressentie. Au-delà de c, la peine
du travail recommence. Pour d'autres travaux, la courbe pourra affecter un
autre tracé, par exemple Oc1p1 ou Op2. Cela dépend de la nature
du travail et de la personnalité de l'ouvrier. Nettoyer un canal ou conduire
des chevaux ne demande pas le même travail est autre avec un homme
indolent ou avec un homme ardent(7).
Pourquoi continue-t-on le travail, quand la peine causée par sa
continuation l'emporte sur la jouissance de travail directe? Justement parce
qu'il y a encore autre chose que la jouissance du produit du travail. Nous
l'appellerons jouissance de travail indirecte. Le travail est continué
tant que le sentiment de déplaisir qu'il provoque soit balancé
par le sentiment de plaisir qu'éveille le produit du travail. Le
travail est interrompu seulement au point où sa continuation
créerait une peine plus grande que le plaisir résultant de
l'accroissement des biens.
La méthode par laquelle Fourier veut enlever au travail son
caractère antipathique, part d'une observation juste, mais se trompe
complètement dans le jugement porté sur les quantités et
les qualités. Une chose est certaine, c'est que la quantité de
travail qui procure encore une jouissance de travail directe ne satisfait
qu'une parcelle infime des besoins. Or les hommes tiennent ces besoins pour
si importants qu'ils leur consacrent, pour arriver à les satisfaire,
tout un travail provoquant uniquement de la peine. Mais, c'est une erreur de
croire qu'en faisant souvent changer de travail les ouvriers, on
remédierait à cet état de choses. Premièrement,
en changeant souvent de travail les ouvriers seraient moins
entraînés à leur tâche et moins adroits; en outre,
à chaque changement d'équipe, il y aurait une perte de temps;
de plus les déplacements des ouvriers causeraient des frais et
diminueraient d'autant le rendement du travail. Deuxièmement, il faut
noter que lorsque la peine du travail l'emporte sur la jouissance directe du
travail, le dégoût de l'ouvrier pour le travail où il est
occupé n'entre que pour une très faible part dans cette peine
du travail, et qu'il est faux qu'il conserve intacte sa faculté
d'éprouver à un autre travail une jouissance directe. La
majeure partie de la peine du travail doit être mise au compte de la
fatigue générale de l'organisme et à un besoin de se
libérer de toute nouvelle contrainte. L'homme qui a passé des
heures assis devant son bureau, aimera mieux fendre du bois pendant une heure
que de faire encore une heure de travail à son bureau. Mais ce qui lui
rend le travail pénible ce n'est pas tant le manque de changement que
la longueur du travail. C'est seulement en accroissant la productivité
que l'on pourrait raccourcir la durée de la journée de travail
sans nuire au rendement. L'opinion très répandue qui
prétend qu'il y a des travaux qui fatiguent seulement l'esprit et
d'autres qui fatiguent seulement le corps est fausse, comme chacun peut le
constater sur soi-même. Un travail, quel qu'il soit, fatigue tout
l'organisme. On se trompe souvent, parce qu'en observant le travail des
autres, on ne voit d'ordinaire que la jouissance directe du travail. Le scribe
envie le cocher, parce qu'il aimerait un peu s'amuser à conduire des
chevaux. La chasse et la pêche, l'alpinisme, l'équitation,
l'automobile sont pratiqués en tant que sports. Mais le sport n'est
pas un travail au sens économique. Les hommes ne peuvent pas s'en
tirer avec la petite quantité de travail qui procure encore une
jouissance directe de travail. C'est cela – et non pas la mauvaise
organisation du travail – qui rend nécessaire l'acceptation par
l'homme de la peine du travail.
Il est évident qu'en travaillant les conditions extérieures du
travail on peut en accroître le rendement, tout en laissant subsister
la même peine de travail, et l'on peut aussi diminuer la peine de
travail tout en laissant subsister le même rendement. Cependant, ce
n'est qu'à grands frais que les conditions extérieures du
travail peuvent être améliorées au point qu'elles
dépassent le niveau dans la société capitaliste. Que le
travail accompli en commun accroisse la jouissance directe du travail, est un
fait connu depuis longtemps, et le travail en commun est indiqué
partout où il peut être réalisé sans que cela
nuise au produit net.
Sans doute il y a des natures exceptionnelles qui dépassent le niveau
courant. Les grands génies créateurs, qui vivent leur vie dans
leurs oeuvres et leurs hauts faits, ne connaissent pas ces catégories
de peine du travail et de jouissance du travail. Pour eux, créer est
la plus haute joie et la torture la plus amère, et surtout une
nécessité intérieure. Ce qu'ils créent n'a pas
pour eux la valeur d'un produit. Ils créent pour le plaisir de
créer, non pour le plaisir d'un rendement. Leur production ne leur
coûte rien à eux-mêmes, parce que, quand ils travaillent,
ils ne renoncent pas à quelque chose qui leur serait agréable.
Leur production ne coûte à la société que ce
qu'ils pourraient produire par un autre travail, c'est-à-dire bien peu
de chose au prix de leurs créations. Le génie est, en
vérité, un don de Dieu. Tout
le monde connaît la vie des grands hommes. Aussi peut-il arriver
aisément que les réformateurs sociaux soient tentés de
considérer comme des phénomènes généraux
ce qui est rapporté de ces grands hommes. On retrouve toujours cette
tendance à prendre le style de vie des génies pour le type de
vie habituel u plus simple camarade d'une communauté socialiste. Mais
chaque homme n'est pas un Sophocle ou un Shakespeare, et tisser à un
métier est autre chose qu'écrire les poésies de Goethe
ou créer les empires de Napoléon.
Cela permet de juger
la valeur des illusions auxquelles s'abandonne le marxisme touchant le
rôle du travail dans l'économie du plaisir et de la peine des
camarades de la communauté socialiste. Ici, comme dans tout ce qu'il
écrit de la communauté socialiste, le marxisme suit la voie
tracé par les utopistes. Engels, s'en référant
expressément à Fourier et à Owen, entend rendre au
travail « tout l'attrait que lui a fait perdre la division du
travail » en changeant fréquemment le genre des travaux,
qui ne seront que de courte durée. « Dans l'organisation socialiste
le travail productif, au lieu d'être un moyen d'asservissement sera un
moyen de libération; il offrira à chacun l'occasion de
développer et de manifester en tout sens toutes ses facultés,
physiques et spirituelles, et ainsi au lieu d'être une charge le
travail deviendra un plaisir. »(8) Marx
parle d'« une phase supérieure de la société
communiste, où, avec l'abolition de l'asservissante subordination des
individus due à la division du travail, disparaîtra aussi
l'opposition entre le travail physique et le travail intellectuel. Alors le
travail ne sera plus un moyen pour vivre, il sera devenu le premier besoin de
la vie. »(9) Max Adler promet que la
société socialiste « ne fera, pour le moins, pas
faire aux individus un travail qui pourrait provoquer leur
déplaisir. »(10) Ces
déclarations ne diffèrent des déductions de Fourier et
de ses disciples qu'en ce qu'elles n'essaient même pas d'apporter de
preuves.
Fourier et ses
disciples préconisent, outre le changement de travail, un second moyen
pour rendre le travail plus attrayant: l'émulation. Les hommes sont
capables du plus bel effort, lorsqu'ils sont animés par
« un sentiment de rivalité joyeuse ou de noble
émulation ».(11) Eux qui
autrement vitupèrent la pernicieuse concurrence en découvrent
tout d'un coup les avantages. Si des ouvriers travaillent mal, il suffit de
les répartir en groupes; aussitôt commencera une lutte ardente
entre les divers groupes, qui décuplera l'énergie de chaque
ouvrier et éveillera soudain chez tous « un acharnement
passionné au travail ».(12)
Que l'émulation
accroisse le rendement est une observation juste, mais superficielle.
L'émulation n'est pas un soi une passion humaine. Les efforts que font
les hommes dans cette lutte ne sont point faits pour la lutte même,
mais pour le but auquel ils pensent qu'elle leur permettra d'arriver. Un
combat est mené à cause du prix qui doit couronner le vainqueur
et non pour le combat lui-même. Dans la communauté socialiste,
quels prix pourraient stimuler l'émulation des ouvriers? Les titres
honorifiques, les prix d'honneur sont, comme chacun sait, assez peu
prisés. Des biens matériels, qui améliorent la
satisfaction des besoins, ne peuvent pas être donnés en prix; la
répartition est indépendante du travail accompli par
l'individu, et l'effort accru d'un ouvrier augmente si peu la quote-part
qu'on ne peut guère en tenir compte. La satisfaction qu'éprouve
l'individu pour avoir fait son devoir ne saurait non plus être un
stimulant. C'est justement parce qu'on ne peut se fier à l'impulsion
donnée par ce sentiment qu'on cherche d'autres stimulants. Et du
reste, si ce stimulant était efficace, le travail n'en resterait pas
moins une peine; il ne serait pas devenu attrayant en soi.
Pour résoudre
le problème social, le fouriérisme considère comme le
point essentiel de sa doctrine, la volonté de transformer en joie la
torture du travail. Malheureusement les moyens qu'il indique sont tout
à fait impraticables. Si Fourier avait vraiment montré comment
on peut rendre le travail attrayant, il aurait alors mérité
l'idolâtre vénération que ses disciples avaient pour lui(13). Cependant, toutes ses doctrines, si
fêtées, ne sont que les imaginations d'un homme à qui
manquait le sens de la réalité.
Dans la
communauté socialiste, comme ailleurs, le travail éveillera des
sentiments de déplaisir et non de plaisir(14).
Mais si l'on reconnaît ce fait, l'un des principaux piliers de
l'édifice socialiste s'écroule. Aussi comprend-on que les
socialistes s'accrochent opiniâtrement à l'idée que par
nature les hommes ont un penchant inné au travail, qu'en soi le travail
engendre la joie, et que ce sont seulement les conditions de la
société capitaliste qui ont changé cette joie en peine(15).
À l'appui de
cette affirmation, on recueille soigneusement les déclarations
d'ouvriers d'usines touchant le plaisir qu'ils ont à travailler. On
les interroge, on leur pose des questions suggestives et l'on est très
content lorsqu'ils répondent ainsi que l'interrogateur le
désirait. On oublie de demander si entre les actes de l'ouvrier
interrogé et ses réponses il n'y a pas une contradiction qui
aurait besoin d'être élucidée. Si le travail procure de
la joie, pourquoi l'ouvrier en est-il dédommagé par un salaire?
Pourquoi n'est-ce pas l'entrepreneur qui reçoit un salaire de
l'ouvrier pour lui avoir procuré l'occasion de travailler? D'ordinaire
on ne paie pas celui à qui l'on procure des joies; cela devrait donner
à réfléchir. Par définition le travail ne peut
pas procurer directement de plaisir. On appelle précisément
travail quelque chose qui ne procure pas directement de plaisir et qui est
accompli justement pour provoquer des sentiments de plaisir au moyen du
rendement, au moyen du produit du travail, sentiments de plaisir qui contrebalancent
les sentiments préalables de déplaisir(16).
Pour nous conformer
autant que possible au langage usuel des écrivains socialistes –
langage du reste tout empreint de passion –, nous appellerons aussi
joie du travail ce sentiment que l'on met en avant pour prouver que le
travail provoque plaisir et non déplaisir. Or ce sentiment repose sur
trois sentiments différents.
D'abord il y a la joie
que le travailleur éprouve à faire mauvais usage de son
travail. Si un fonctionnaire, extérieurement et formellement correct
dans ses fonctions, abuse de sa position pour se procurer une satisfaction de
son instinct de puissance, ou pour laisser libre cours à ses tendances
sadiques, ou à ses désirs érotiques (qui ne sont pas
forcément justiciables des règles du code ou de la morale), des
joies naissent qui ne sont certes pas des joies du travail, mais des joies
dues à certaines circonstances. On trouve pour d'autres travaux des
phénomènes analogues. Dans les ouvrages de la psychanalyse, il
a été montré à plusieurs reprises combien de
telles considérations influaient sur le choix d'une profession. Pour
autant que ces joies contrebalancent le déplaisir du travail, elles
exercent une influence sur le taux du salaire. L'afflux vers telle ou telle
profession en fait baisser le salaire. La « joie » dans
ce cas-là est payée par l'ouvrier sous la forme d'une
diminution de son revenu.
Deuxièmement,
on parle aussi de la joie du travail, lorsqu'elle résulte de
l'achèvement d'un travail. Or ce n'est pas là une joie due au
travail, mais au contraire une joie procurée par la délivrance
du travail. Nous avons ici un des nombreux cas d'une joie que l'on retrouve
partout, la joie d'en avoir fini avec quelque chose de pénible, de
désagréable, de fatigant, la joie de pousser un soupir de
soulagement. Le romantisme socialiste et le socialisme romantique
prônent le moyen-âge comme une époque où la joie du
travail pouvait se donner libre cours. Nous n'avons pas de témoignages
sûrs des artisans et des paysans du moyen âge sur leur joie du
travail, mais l'on peut présumer qu'elle provenait aussi du travail
accompli et du plaisir qu'ils éprouvaient à avoir des heures de
loisir et de repos. Des moines du moyen-âge qui copiaient des
manuscrits dans la tranquillité contemplative du cloître nous
ont laissé des témoignages plus authentiques à la fin de
ces beaux manuscrits: Laus tibi sit Christe, quoniam liber explicit
iste(17), c'est-à-dire: Que Dieu soit
loué, car le travail est achevé; ce qui ne veut pas dire que le
travail lui-même ait procuré de la joie.
Enfin la
troisième source, la plus importante, de joie du travail, et qu'il ne
faudrait pas oublier, c'est la satisfaction éprouvée par le
travailleur en constatant qu'il réussit bien dans son travail et qu'il
pourra gagner ainsi ce qui est nécessaire à sa subsistance et
à celle de sa famille. Cette joie du travail a évidemment pour
racine une joie du travail indirecte. L'ouvrier se réjouit parce qu'il
voit dans sa faculté de travailler et dans son habileté
à travailler le fondement de son existence et de sa valeur sociale. Il
se réjouit d'avoir pu atteindre dans la concurrence sociale une
position meilleure que celle d'autres hommes. Il se réjouit parce que
sa faculté de travail lui apparaît comme le sûr garant de
succès économiques futurs. Il est fier de pouvoir faire quelque
chose de « bien », c'est-à-dire un travail que
la société apprécie et qui par conséquent est
payé sur le marché du travail. Aucun sentiment ne fortifie
davantage la confiance en soi. Il est la source de la fierté
professionnelle et du désir de ne rien faire à demi, ou d'une
manière négligente ou insuffisante. Dans quelques cas assez
rares, ce sentiment poussé à l'extrême et jusqu'au
ridicule, amène certaines gens à se croire indispensables.
À l'homme de bon sens, ce sentiment donne la force de s'accommoder
d'une nécessité inéluctable: c'est qu'on ne peut satisfaire
ses besoins qu'au prix de peine et d'effort. Ainsi l'homme, comme on dit,
quelquefois, prend son mal par le bon côté.
Des trois sources de
ce sentiment qu'on peut appeler joie du travail, la première ne
manquera certainement pas dans la communauté socialiste, à
savoir celle qui provient d'un abus de pouvoir dans les conditions du
travail. Naturellement, comme dans la société capitaliste, elle
restera là aussi bornée à un cercle assez étroit.
Les deux autres sources de joie du travail seront, selon toute apparence,
entièrement taries dans une communauté socialiste. Si la
liaison entre le résultat du travail et le revenu de l'ouvrier est
rompue, comme c'est forcément le cas en régime socialiste,
l'individu aura toujours l'impression qu'on l'a relativement chargé de
trop de travail. Il se développera alors cette antipathie
fiévreuse, neurasthénique, contre le travail, qui se manifeste
presque sans exception dans les emplois publics, ou dans les entreprises régies
par l'État. Dans ces entreprises où le salaire est
réglée d'une manière schématique, chaque individu
croit qu'il est vraiment surchargé de travail, et d'un travail
désagréable et que son travail n'est ni estimé à
sa juste valeur ni suffisamment rétribué. Ce
mécontentement se change bientôt en une haine sourde du travail
qui ne laisse plus même s'épanouir la joie que procure
l'achèvement du travail.
La communauté
socialiste ne doit donc pas compter sur la joie du travail.
4.
L'impulsion nécessaire pour surmonter la peine du travail
|
Le devoir de chaque camarade est de travailler de toutes ses forces et
capacités pour la communauté. En revanche, il a droit d'exiger
de la communauté sa quote-part dans la répartition. Celui qui
prétend se soustraire sans motif justifié à l'obligation
du travail est contraint à l'obéissance par les moyens
habituels de répression étatique. Le pouvoir dont la direction
économique disposera vis-à-vis de l'individu sera si grand,
qu'il serait presque impossible de se montrer longtemps récalcitrant.
Mais il ne suffit pas
que les camarades arrivent ponctuellement à leur travail et y passent
le nombre d'heures prescrites. Il faut que pendant ce temps ils travaillent
vraiment.
Dans la
société capitaliste, le taux statique ou naturel du salaire est
fixé assez haut pour que l'ouvrier touche le produit de son travail,
c'est-à-dire une somme équivalent à la part imputable
à son travail dans la production(18).
L'ouvrier a ainsi intérêt à ce que le rendement de son
travail soit le plus fort possible. Et cela n'est pas seulement vrai du
travail à la tâche. Le montant du salaire au temps dépend
aussi de la limite de productivité finale du genre de travail.
À la longue, la forme technique et commerciale servant à
l'établissement du salaire ne change rien au montant du salaire. Le
taux du salaire a toujours tendance à revenir au salaire statique. Et
le salaire à la journée ne fait pas exception.
Le salaire au temps
nous permet déjà d'observer ce que donne le rendement quand
l'ouvrier a le sentiment qu'il ne travaille pas pour lui-même, parce
qu'il n'y a pas de liaison entre le travail accompli par lui et le salaire
qui lui revient. Avec le salaire à la journée, l'ouvrier habile
n'est guère porté à faire plu que le minimum
exigé de chaque ouvrier. Le salaire à la tâche incite
à un rendement maximum, le salaire au temps à un rendement
minimum. Dans la société capitaliste, le contrecoup social de
cette tendance du salaire au temps est très atténué,
parce que les taux de salaire pour les différentes catégories
de travail sont très nettement gradués. L'ouvrier a tout
intérêt à chercher une place où le minimum de
rendement exigé représente pour lui le maximum de ce qu'il peut
fournir de travail, car plus le minimum de rendement exigé est
élevé et plus élevé est aussi son salaire.
C'est seulement dans
la mesure où l'on s'écarte de la gradation du taux de salaire,
gradation proportionnée au rendement du travail, que le salaire au
temps freine plus ou moins la production. Cela apparaît nettement pour
les personnes employées par l'État et les communes. Depuis
trente ou quarante ans, d'une part le rendement minimum exigé de
chaque travailleur n'a cessé d'être abaissé, et d'autre
part on a supprimé l'élan qui poussait chaque travailleur
à obtenir un meilleur rendement, à l'époque où
les différentes classes d'employés étaient traitées
différemment, et où les travailleurs zélés et
capables jouissaient d'un avancement plus rapide que les autres. Le
résultat de cette politique des dernières années a
montré que le travailleur ne fait d'effort sérieux que
lorsqu'il en attend un profit personnel.
Dans la
société socialiste, il ne peut y avoir pareille connexion entre
le travail accompli et la rémunération de ce travail. Sous ce
régime, il est impossible de calculer la contribution productive des
différents facteurs de production. Aussi il fallait s'attendre
à un échec de tous les essais tendant à déterminer
le rendement individuel et à y adapter le salaire. La
communauté socialiste peut bien faire dépendre la
répartition de certaines considérations extérieures au
travail effectué, mais une telle différenciation repose sur
l'arbitraire. Admettons que pour chaque branche de la production on fixe un
minimum de rendement. Admettons qu'on prenne pour base de ces estimations ce
que Rodbertus propose sous le nom de « journée de travail
normale ». Pour chaque métier, on fixe le temps pendant
lequel un ouvrier peut travailler d'une manière continue avec une
force et une fatigue moyenne, et en même temps l'on fixe le rendement
auquel peut arriver pendant ce temps un ouvrier d'habileté et de
zèle moyens(19). Faisons abstraction des
difficultés techniques que chaque cas concret présenterait,
lorsqu'il s'agirait de juger si ce rendement minimum a été
réellement atteint. Il y a une chose certaine, c'est que cette
estimation générale ne saurait être qu'arbitraire. Jamais
n n'arrivera à une entente entre les ouvriers des différents
corps de métiers. Chacun prétendra que par suite de cette
estimation il a été surchargé de travail et il cherchera
à faire diminuer la tâche qui lui a été
imposée. Qualité moyenne de l'ouvrier, habileté moyenne,
force moyenne, fatigue moyenne, zèle moyen sont des idées
vagues que l'on ne peut fixer exactement.
Mais il est
évident qu'un minimum de rendement calculé d'après un
ouvrier de qualité, d'habileté et de force moyennes ne peut
être atteint que par une partie, mettons la moitié des ouvriers.
Le travail des autres sera d'un moindre rendement. Alors comment
établir si c'est par paresse ou par incapacité qu'un ouvrier
est resté en deçà du rendement minimum? Ou bien on
laissera une grande latitude au libre jugement des organes administratifs, ou
l'on se résoudra à établir un certain nombre de points
de repère. Ce qu'il y a de certain, c'est que la quantité du
travail effectué diminuera de plus en plus.
Dans la
société capitaliste, chaque individu jouant un rôle actif
dans l'économie prend bien soin qu'à tout travail revienne le
bénéfice entier de ce qu'il a produit. L'entrepreneur qui
congédie un ouvrier méritant bien son salaire, se nuit à
lui-même. Le contremaître qui congédie un bon ouvrier et
en garde un mauvais, nuit au résultat commercial de la section qui lui
a été confiée et donc à lui-même
indirectement. Dans ces cas, il n'est pas nécessaire d'établir
de points de repère permettant de limiter le pouvoir de
décision de ceux qui jugent le rendement du travail. Dans le
régime socialiste, il faut en établir, parce qu'autrement les
supérieurs pourraient abuser arbitrairement des droits qui leur sont
attribués. Et alors aucun ouvrier n'a plus d'intérêt
à effectuer un travail d'un bon rendement. Son intérêt se
limite à remplir les conditions imposées pour ne pas être
punissable.
L'expérience de
milliers et de milliers d'années, à l'époque du travail
forcé des esclaves, nous renseigne sur le résultat fourni par
des ouvriers non intéressés au travail. Un nouvel exemple nous
en est offert par les fonctionnaires et employés des exploitations
étatiques ou communales socialistes. On peut essayer d'affaiblir la portée
de ces exemples, en montrant que si ces ouvriers ne prennent aucun
intérêt au résultat de leur travail, c'est
qu'eux-mêmes n'ont aucune part à la répartition; dans la
communauté socialiste chacun saura qu'il travaille pour
lui-même, et cette pensée l'incitera au plus grand zèle.
Mais c'est là précisément que gît le
problème. Si l'ouvrier dans son travail fait un plus grand effort, il
aura d'autant plus de peine du travail à surmonter. Mais du
résultat procuré par ce plus grand effort il ne lui reviendra
qu'une parcelle infime. La perspective de pouvoir vraiment garder par devers
lui un demi-milliardième de ce que cet effort plus grand aura
rapporté n'est pas un attrait suffisant pour lui faire employer toutes
ses forces(20).
Les
écrivains socialistes ont pris l'habitude de passer sous silence ces
questions épineuses, ou de glisser dessus avec quelques remarques
insignifiantes. Ils ne savent mettre en avant que quelques sentences
moralisantes(21). L'homme nouveau du régime
socialiste sera dépouillé de tout égoïsme mesquin,
il sera moralement bien au-dessus de l'homme de la méchante
époque de la propriété privée; il aura une vue
profonde de l'interdépendance de toutes choses et par une noble
conception de son devoir il mettra toutes ses forces au service du bien
général. À y regarder de plus près, on
s'aperçoit aisément que toutes ces déductions se
réduisent à l'alternative que voici: Libre obéissance
à la loi morale sans autre contrainte que la propre conscience, ou
bien rendement forcé grâce à un système de
récompenses et de châtiments. Aucune de ces voies ne peut mener
au but. La première, bien qu'on l'ait prônée publiquement
des milliers de fois dans toutes les écoles et églises, ne
saurait fournir l'impulsion suffisante qui permettrait de surmonter toujours
et incessamment la peine du travail. La seconde ne peut réaliser qu'un
accomplissement du devoir de pure forme, mais jamais un accomplissement du
devoir auquel on consacre toutes ses forces.
John Stuart Mill est
l'écrivain qui s'est occupée de ce problème de la
manière la plus approfondie. Les raisonnements des écrivains
postérieurs se rattachent tous à lui. Nous rencontrons ses
idées partout, dans la littérature, dans les polémiques
de la politique quotidienne. Elles sont vraiment devenues populaires. Elles
sont familières à tous, quoique bien peu sachent quel en est l'auteur(22). Depuis des années elles sont le principal
soutien du socialisme et ont plus fait pour sa popularité que les
écrits haineux, souvent contradictoires, des agitateurs socialistes.
Une des principales
objections contre la réalisation des idées socialistes, dit
Mill, c'est que dans la communauté socialiste chaque individu
cherchera à se soustraire le plus possible à la tâche qui
lui est imposée. Mais ceux qui font cette objection n'ont pas
songé dans quelle proportion importante les mêmes
difficultés existent déjà dans le système qui
régit actuellement les neuf dixièmes des affaires sociales. Les
objecteurs admettent qu'on ne peut obtenir le bon et efficace travail que
d'ouvriers qui pensent recevoir pour eux-mêmes les fruits de leur
peine. Or, dans l'ordre social actuel, cette condition n'existe que pour une
petite fraction de tous les travailleurs. Salaire journalier et appointements
fixes sont les formes généralement employées pour la
rémunération du travail. Le travail est assuré par des
gens qui ont moins d'intérêt personnel à son
exécution que les membres d'une communauté socialiste, parce
qu'ils ne travaillent pas comme ces derniers pour entreprise dont ils sont
les associés. Dans la plupart des cas, ils ne sont même pas
surveillés et dirigés directement par ceux dont
l'intérêt personnel est lié au rendement de l'entreprise.
Cette activité de surveillance, de direction et d'intelligence est
assumée par des employés payés à la
journée ou à l'année. On devrait reconnaître que
le travail est plus productif avec un système où tout le
bénéfice, ou une grande part du bénéfice
résultant d'un rendement maximum, revient à l'ouvrier. Or avec
le système économique actuel, c'est précisément
cette incitation au travail qui fait défaut. Quand bien même
dans une communauté socialiste le travail serait moins intensif que
celui d'un paysan travaillant sur ses terres, ou d'un artisan travaillant
à son propre compte, il serait vraisemblablement plus productif que le
travail d'un ouvrier salarié, qui n'a absolument aucun
intérêt personnel à l'entreprise.
Il n'est pas difficile
de reconnaître d'où proviennent les erreurs de Mill. Il est le
dernier représentant de l'école classique de l'économie
politique, il n'a pas assisté au bouleversement de l'économie
politique par la théorie de l'utilité marginale. Aussi
ignore-t-il la connexion existant entre le montant du salaire et la
productivité marginale du travail. Il ne voit pas que l'ouvrier a
intérêt à effectuer le plus de travail possible, parce
que son revenu dépend de la valeur du travail qu'il effectue. Mill n'a
pas la rigueur d'observation qu'on trouve dans les méthodes
employées par l'économie politique moderne. Il s'en tient à
la surface et ne pénètre pas jusqu'au fond des
phénomènes. Évidemment l'ouvrier isolé,
travaillant à la journée, n'a aucun intérêt
à dépasser le minimum de rendement qu'il doit fournir s'il ne
veut pas perdre sa place. Cependant, lorsque ses connaissances, ses
capacités et ses forces lui permettent d'effectuer un travail plus
important, il s'efforce d'obtenir une place où il y aura plus de
travail, parce qu'ainsi il pourra accroître son revenu. Il peut arriver
qu'il renonce à toute ambition, par paresse. Mais ce n'est pas l'ordre
social qui est en cause. La société capitaliste, en attribuant
à chacun le fruit de son travail, fait tout ce qu'il faut pour inciter
tous les individus au plus grand zèle. Ce que l'on reproche à
la société socialiste, c'est précisément de ne
pouvoir offrir ce stimulant, et c'est là la grande différence
qui la sépare de la société capitaliste.
Mill est d'avis que
dans les cas extrêmes où le travailleur refuserait
opiniâtrement de remplir son devoir, la communauté socialiste
aurait à sa disposition le même moyen de coercition que la
société capitaliste: les travaux forcés. Car le
congédiement, aujourd'hui seul remède employé, ne
remédie en rien au mal. Tout ouvrier mis à la place de
l'ouvrier congédié, ne travaillera pas mieux que son
prédécesseur. Le droit de congédier l'ouvrier, dit Mill,
donne tout au plus au patron la possibilité d'obtenir de ses ouvriers
le rendement de travail usuel (the customary amount of labour). Mais
ce rendement usuel peut dans certaines circonstances être très
faible. On voit par où pêche le raisonnement de Mill. Il ne
tient pas du tout compte du fait que le taux du salaire est
proportionné précisément à cette norme usuelle du
rendement et que l'ouvrier qui veut gagner plus doit travailler plus. Sans
doute partout où est usité le travail au temps, chaque ouvrier
est forcé de chercher un travail où la norme usuelle du
rendement est plus haute, parce qu'il lui est impossible, s'il reste dans la
même place, d'accroître son revenu en effectuant plus de travail.
Si les circonstances l'exigent, il lui faudra passer au travail à la
tâche ou changer de profession, ou même émigrer. C'est
ainsi que dans les pays européens où la norme usuelle de
l'intensité du travail est basse, des millions de travailleurs ont
émigré vers l'Europe occidentale ou aux États-Unis,
où il leur faut travailler plus mais où aussi ils gagnent
davantage. Les mauvais ouvriers sont restés dans leur pays où
avec un moindre travail ils se contentent de salaires moins élevés.
Si l'on ne perd pas de
vue ces considérations, on comprendra clairement pourquoi actuellement
l'activité de surveillance et de direction peut elle aussi être
assurée par des employés. Eux aussi sont payés
d'après la valeur de leur rendement. Ils doivent faire un maximum
d'efforts, s'ils veulent faire monter leur revenu aussi haut que possible. On
peut leur confier le droit d'embaucher et de congédier les ouvriers au
nom du patron, sans qu'on ait à redouter d'abus de leur part. Ils ont
à accomplir une tâche sociale attribuer aux ouvriers le salaire
correspondant au travail effectué par eux, sans se laisser influencer
par d'autres considérations(23). On peut se
rendre un compte exact du résultat de leur activité grâce
au calcul économique. C'est ce dernier point qui distingue leur action
de tous les genres de contrôle pratiqués dans communauté
socialiste. Ils se nuiraient à eux-mêmes si, par exemple, pour
assouvir une vengeance, ils traitent un ouvrier plus mal que son travail ne
le mérite. Les patrons, et les directeurs d'ateliers nommés par
eux, ont le droit de congédier les ouvriers et de fixer leur salaire.
La doctrine socialiste trouve dangereux ce droit conféré
à des particuliers; elle oublie que dans l'exercice de ce droit le
patron n'est pas libre, qu'il ne peut arbitrairement congédier ou
traiter défavorablement l'ouvrier sans nuire à son propre
bénéfice. En cherchant à acheter le travail aussi bon
marché que possible le patron accomplit une des plus importantes
tâches sociales.
Selon Mill, c'est un
fait patent que dans la société actuelle les salariés
appartenant aux basses classes du peuple accomplissent avec négligence
leur devoir; mais cela provient du bas niveau de leur culture. Dans la
société socialiste, où la culture sera
générale, les camarades rempliront certainement leur devoir
à l'égard de la communauté avec le zèle que l'on
constate déjà chez la plupart des salariés des hautes et
des moyennes classes. Mill retombe toujours dans la même erreur. Il ne
voit pas qu'ici encore salaire et rendement coïncident. Mais finalement
Mill reconnaît comme une chose évidente, le fait qu'en
général la « remuneration by fixed salaries »
– et quel que soit le genre d'activité – ne provoque pas
le maximum de zèle (the maximum of zeal). C'est une objection
qu'on peut opposer raisonnablement à l'organisation du travail de la
doctrine socialiste.
Mais que ce moindre
rendement doive nécessairement persister dans une communauté
socialiste, comme le prétendent ceux qui, dans leurs jugements, se
laissent influencer par la situation actuelle, Mill se refuse à
l'admettre. Il est fort possible que dans la communauté socialiste
l'esprit de solidarité soit si généralement répandu,
que le dévouement désintéressé au bien public y
prenne la place de l'égoïsme actuel. Et Mill de s'abandonner
à son tour aux rêveries des utopistes et de croire que l'opinion
publique sera assez forte pour inciter les individus à un zèle
accru, et pour faire de l'ambition et de la vanité d'efficaces mobiles
d'activité, etc. Mais quel point de repère avons-nous, qui nous
autorise à admettre que la nature humaine sera tout autre en
régime socialiste que maintenant? Rien ne prouve que des
récompenses (distinctions, dons matériels, ou simplement attestations
honorifiques de la part des concitoyens) pourront inciter les ouvriers
à faire plus qu'à remplir strictement et formellement les
obligations qui leur incombent. Rien ne peut remplacer l'impulsion qui pousse
à surmonter la peine du travail et qui est donnée seulement
à l'ouvrier par la perspective qu'il touchera la valeur
intégrale de son travail.
Beaucoup de
socialistes croient, il est vrai, enlever toute force à cette
objection en montrant qu'aujourd'hui comme autrefois on trouve des travailleurs
qui ont oeuvré sans que l'attrait d'une rémunération les
y incitât. Ils évoquent l'inlassable effort du savant et de
l'artiste, le médecin qui se sacrifie au lit du malade, le soldat qui
meurt au champ d'honneur, le politique qui consacre toute sa vie à son
idéal. Mais le savant et l'artiste trouvent leur satisfaction dans la
jouissance immédiate que leur procure le travail et dans la
reconnaissance de leur talent qu'ils espèrent, de leur vivant ou
après la mort, quand bien même le succès matériel
leur serait refusé. Quant au médecin et au soldat de
carrière ils sont dans la même situation que beaucoup d'autres
travailleurs exerçant un métier au péril de leur vie. Il
y a, en raison de leur moindre attrait, beaucoup moins de candidats à
ces métiers, et cela se traduit dans le taux de leur
rémunération. Mais celui qui, malgré les dangers, s'est
consacré à ces métiers mieux
rémunérés et présentant différents
avantages, ne peut plus se dérober au danger concret sans se nuire
gravement à lui-même. Le soldat de carrière qui fuit
lâchement, le médecin qui refuse de soigner un contagieux
compromettent à tel point leur avenir dans la profession choisie par
eux, qu'il leur est bien difficile de faillir. Évidemment, il y a des
médecins qui accomplissent leur devoir jusqu'à l'extrême,
même dans des cas où l'on trouverait tout naturel qu'ils
ménageassent leurs forces. Il y a des soldats de carrière qui
bravent le danger, alors que personne ne leur reprocherait de ne pas le
faire. Mais dans ces cas très rares, auxquels on pourrait encore
ajouter celui du politique prêt à mourir pour ses convictions,
l'individu s'élève à la plus haute humanité
– privilège accordé à bien peu d'hommes – à
cette humanité en qui s'unissent étroitement la volonté
et l'action. En se vouant exclusivement à la poursuite d'un but unique
qui refoule toute autre volonté, toute autre pensée, tout autre
sentiment, qui abolit l'instinct de conservation et qui rend insensible
à la douleur et à la peine, l'homme capable d'un tel
désintéressement en arrive à oublier le monde; il ne lui
reste plus que l'idéal auquel il sacrifie sa vie. Autrefois, l'on
disait de tels hommes, selon la valeur qu'on attribuait à leur effort,
que l'esprit divin était descendu en eux, ou qu'ils étaient
possédés du démon, tellement la masse comprenait peu les
mobiles de leur conduite.
Il est certain que
l'humanité ne se serait jamais haussée hors de l'état
animal, si elle n'avait eu de pareils guides. Mais il est tout aussi certain
que l'humanité ne se compose pas seulement de tels hommes. Le
problème social consiste précisément à faire
entrer dans les cadres du travail de la société le commun des
hommes.
Il y a longtemps que
les écrivains socialistes ont renoncé à mettre au
service de ces problèmes insolubles leur perspicacité et leur
peine. Là-dessus Kautsky ne trouve rien à nous dire, si ce
n'est que l'habitude et la discipline continueront à décider
l'ouvrier à travailler. « Le capital a habitué
l'ouvrier d'aujourd'hui à travailler jour après jour; il ne
supporte plus de rester longtemps sans travail. Il y a même des gens
qui sont si habitués à leur travail, qu'ils ne savent que faire
de leurs loisirs, et qui se trouvent malheureux quand ils ne peuvent pas
travailler. » Kautsky ne semble pas redouter que l'on puisse se
défaire de cette habitude plus facilement que d'autres habitudes, par
exemple: manger ou dormir. Mais il ne veut pas s'en remettre
entièrement à cette habitude du travail, mobile qu'il
reconnaît ouvertement comme étant « le plus
faible ». C'est pourquoi il recommande la discipline.
Naturellement pas « la discipline militaire, pas
l'obéissance aveugle à une autorité imposée d'en
haut, mais la discipline démocratique, la soumission volontaire à
une direction qu'on a choisie soi-même ». Cependant Kautsky
n'est pas sans éprouver quelques doutes; il cherche à les
dissiper en écrivant « que ce sera un plaisir de
travailler ». Finalement il reconnaît qu'on n'en est pas
encore là, et il finit par avouer qu'à côté de la
force d'attraction du travail, il y a encore une autre attraction qui doit
entrer en jeu: « la rémunération du
travail ».(24)
Kautsky lui-même
doit donc en arriver, après toute sorte de réserves, d'atténuations,
au résultat suivant: La peine du travail ne peut être
surmontée que lorsque le produit du travail, et seulement du travail
qu'il a effectué lui-même, revient au travailleur (quand il
n'est pas propriétaire ou patron). C'est là la négation
de la possibilité d'une organisation socialiste du travail. Car si
l'on supprime la propriété privée des moyens de
production, on est forcé de supprimer en même temps la
rémunération de l'ouvrier par le produit de son travail.
5. La
Productivité du Travail
|
Les théories du « partage » partaient de
l'hypothèse qu'il suffirait d'un partage égal des biens, pour
donner à tous les hommes, sinon la richesse, du moins le
bien-être d'une existence assurée. Cette idée semblait si
évidente, qu'on ne se donnait même pas la peine d'en prouver le
bien-fondé. Le socialisme ancien l'avait prise tout à fait
à son compte. De la seule réalisation d'un partage égal
du revenu national il attend le bien-être pour tous. Mais la critique
adverse montra que la répartition égale de tout le revenu de
l'économie nationale ne pourrait guère améliorer d'une
façon sensible la situation de la grande masse. C'est alors seulement
que le socialisme prétendit que le mode de production capitaliste
entravait la productivité du travail; mais le socialisme supprimerait
ces entraves, multiplierait les forces productives, de telle sorte que l'on
pourrait assurer à chaque camarade une vie facile. Sans se soucier de
l'objection des libéraux (ils avaient vainement essayé de la
réfuter) disant que dans la communauté socialiste la
productivité du travail baisserait tellement que la misère
deviendrait générale, les écrivains socialistes se
répandirent en déductions fantastiques sur l'accroissement de
la productivité qu'amènerait le socialisme.
Kautsky indique deux
moyens pour augmenter la production grâce au passage du régime
capitaliste au régime socialiste. Le premier est la concentration de
l'ensemble de la production dans les entreprises les plus parfaites, et
l'arrêt de toutes celles qui le sont moins(25).
Évidemment, c'est un moyen pour accroître la production. Mais
c'est précisément dans l'économie d'échange, dans
l'économie capitaliste, que ce moyen se révèle le plus
efficace. La concurrence élimine inexorablement les entreprises et
exploitations qui sont d'un mauvais rapport. C'est le reproche que lui font
toujours ceux qui sont touchés par cette élimination. Et c'est
pourquoi les entreprises faibles demandent des subventions officielles, un
traitement préférentiel pour les fournitures publiques, en un
mot toute sorte de restrictions à la liberté de concurrence.
Les trusts reposant sur l'économie privée utilisent sur une
grande échelle ces moyens pour accroître la production. Kautsky
est bien forcé de le concéder, et même il les cite comme
modèles à la révolution sociale. Mais il est fort
douteux que l'État socialiste éprouve au même degré
la nécessité de réaliser de telles améliorations
de la production. Ne continuera-t-il pas une exploitation déficitaire
pour ne pas provoquer des dommages locaux? L'entrepreneur privé
supprime brutalement des exploitations déficitaires, et force par
là des ouvriers à changer d'endroit, parfois même
à changer de métier. Assurément cela constitue d'abord
un dommage pour les ouvriers touchés par cette suppression, mais pour
la masse, c'est un avantage, car cette mesure facilité un
approvisionnement, meilleur et moins cher, du marché. L'État socialiste
agira-t-il de même? Ne tâchera-t-il pas au contraire, pour des
raisons politiques, d'éviter des mécontentements locaux? Dans
la plupart des chemins de fer d'État, toutes les réformes de ce
genre ont échoué, parce qu'on a cherché à
éviter le tort qu'on aurait causé à certaines localités,
en supprimant des directions, des ateliers, des dépôts
superflus. Même la direction de l'armée a rencontré des
difficultés parlementaires, lorsque pour des raisons militaires elle
voulait enlever à telle ou telle villes sa garnison.
Kautsky
reconnaît aussi que le second moyen qu'il préconise pour
accroître la production: « économies de toute
sorte » est déjà réalisé par les
trusts. Il mentionne surtout les économies de matériaux, de
frais de transport, d'annonces et de publicité(26).
Pour ce qui est des économies de matériel et de transports,
nous savons par expérience, que c'est dans les services publics et
dans les exploitations publiques qu'il y a le moins d'économies et le
plus de gaspillage en travailleurs et en matériel de toute sorte.
L'économie privée cherche au contraire, dans
l'intérêt même des propriétaires, à
travailler avec le moins de frais possible.
Sans doute
l'État socialiste fera l'économie de toutes les dépenses
de publicité, de tous les frais des commis-voyageurs et des agents
commerciaux. Mais l'on peut se demander s'il n'emploiera pas beaucoup plus de
personnes dans les services de répartition sociale. Pendant la guerre
nous avons constaté par expérience que l'appareil de
répartition socialiste était coûteux et pesant. Les frais
pour les cartes de farine, de viande, de sucre, etc., étaient-ils
vraiment moindres que les frais de publicité? Le grand appareil,
abondamment pourvu en personnel, nécessité pour
l'administration et la distribution de tout ce rationnement de fortune
était-il moins coûteux que les dépenses
occasionnées par les commis-voyageurs et agents commerciaux?
Le socialisme
supprimera les petites boutiques d'épiciers. Mais à leur place
il lui faudra mettre des offices pour la délivrance des marchandises,
qui ne seront pas meilleur marché. Les coopératives n'utilisent
pas moins d'employés que le commerce de détail organisé
selon la conception moderne, et elles ne pourraient pas –
précisément à cause de leurs frais élevés
– soutenir la concurrence des commençants, si elles ne
jouissaient d'avantages fiscaux.
Du reste il ne suffit
pas de prendre telles ou telles dépenses faites dans la
société capitaliste, et qui pourraient disparaître dans
une société socialiste, pour conclure que le rendement de
l'économie socialiste sera plus élevé que celui de
l'économie capitaliste. Si l'on compare, du point de vue économique,
une automobile à essence et une automobile électrique, on ne
conclura pas de prime abord que l'exploitation de l'automobile
électrique est meilleur marché parce que cette voiture ne
consomme pas d'essence.
Comme on le voit,
l'argumentation de Kautsky repose sur une base fragile. Lorsqu'il prétend
que « en employant ces deux moyens le régime
prolétarien pourra tout de suite hausser la production à un tel
niveau qu'il sera possible d'élever considérablement les
salaires et en même temps de réduire les heures de
travail », Kautsky émet une affirmation que rien jusqu'ici
n'a permis de confirmer(27).
Les autres arguments,
employés habituellement pour prouver la soi-disant
supériorité de la productivité en économie
socialiste, ne sont pas plus solides. Quand par exemple on montre que dans la
communauté socialiste tout homme capable de travailler sera vraiment
forcé de travailler, on se fait de singulières illusions sur le
nombre des oisifs dans la société capitaliste.
On a beau chercher
loin et longtemps. On ne découvre nulle part une raison vraiment
fondée, un argument sérieux prouvant que dans la
communauté socialiste le travail doive être plus productif que
dans l'État capitaliste. C'est le contraire que l'on constate: dans un
ordre social qui n'offre au travailleur aucun stimulant lui permettant de
surmonter la peine du travail et de faire tout son effort, la
productivité du travail baissera sensiblement. Mais le problème
de la productivité ne doit pas être considéré
exclusivement dans le cadre de l'économie statique. La question de
savoir si le passage au socialisme accroîtra par lui-même la
productivité est beaucoup moins importante que cette autre question:
À l'intérieur d'une économie socialiste
déjà constituée, y aura-t-il place pour une
productivité continuant à s'accroître, y aura-t-il place
pour le progrès économique? Cette question nous amène
aux problèmes du mouvement et du changement.
1. Cf.
Fourier, OEuvres
complètes, t. IV, 2e édit., Paris, 1841,
pp. 254.
2. Cf. Godwin, Das
Eigentum (trad. De Bahrfeld de la partie de Political
Justice traitant le problème de la
propriété), Leipzig, 1904, pp. 73.
3. Cf. Kautsky, Die
soziale Revolution, 3e édit., Berlin, 1911, t. II, p. 48.
4. Cf. Trotski, Literatur
und Revolution, Vienne, 1924, p. 179.
5. « Aujourd'hui toutes les entreprises
sont avant tout une question de rentabilité... La
société socialiste ne connaît pas d'autre question que
celle d'ouvriers en nombre suffisant. A-t-on le nombre d'ouvriers suffisants,
l'oeuvre est... accomplie. » (Bebel, Die
Frau und der Sozialismus, p. 308). « Partout ce sont les
institutions sociales déterminant le mode de fabrication et de
répartition des produits qui engendrent le besoin et la misère
et non le nombre des hommes. » Ibid.,
p. 368. « Nous ne souffrons pas d'un manque mais d'un
excédent des moyens de subsistance, de même que nous avons un
superflu de produits industriels » Ibid.,
p. 368. De même Engels dira dans son livre Herrn
Eugen Dührings Umwältzung der Wissenschaft, p. 305:
« Nous n'avons pas trop d'hommes, mais plutôt trop peu
d'hommes », p. 370.
6. Cf. Considérant, Exposition
abrégée du Système Phalanstérien de Fourier,
4e tirage de la 3e édit., Paris, 1846, pp. 29.
7.
Cf. Jevons, The
Theory of Political Economy, 3e édit., Londres,
1888, p. 169, pp. 172.
8. Cf. Engels, Herrn
Eugen Dührings Umwältzung der Wissenschaft, p. 317.
9. Cf. Marx, Zur
Krtik der sozialdemokratischen Programms, p. 17.
10.
Cf. Max Adler, Die
Staatsaufassung des Marxismus, Vienne, 1922, p. 287.
11. Cf. Considérant, p. 33.
12. Cf. Considérant, Études
sur quelques problèmes fondamentaux de l'avenir social,
publié dans: Fourier, Système de la réforme sociale.
– Fourier a le mérite d'avoir introduit les lutins dans la
science sociale. Dans son État de l'avenir, les enfants sont
organisés en « Petites Hordes », qui font le travail de
l'avenir que les adultes ne font pas. Une de leurs tâches est
l'entretien des routes. « C'est à l'amour-propre que
l'Harmonie sera redevable d'avoir, par toute la terre, des chemins plus
somptueux que les allées de nos parterres. Ils seront entretenus
d'arbres et d'arbustes, même de fleurs, et arrosés au trottoir.
Les petites Hordes courent frénétiquement au travail, qui est
exécuté comme oeuvre pie, acte de charité envers la
Phalange, service de Dieu et de l'Unité. » À trois
heures du matin, ils sont déjà levés, nettoient les
écuries, soignent le bétail et les chevaux, et travaillent aux
abattoirs, où ils veillent à ce qu'on ne fasse pas souffrir les
bêtes et à ce qu'on les abatte toujours de la manière la
plus douce. « Elles ont la haute police du règne
animal. » Une fois leur travail fait les lutins se lavent,
s'habillent et apparaissent au déjeuner où on leur
réserve un triomphe. Cf. Fourier, t. V, 2e édit., Paris, 1841,
pp. 149 et 159.
13. Cf. Fabre des Essarts, Odes
Phalanstériennes, Montreuil-sous-Bois, 1900. Béranger et
Victor Hugo ont aussi vénéré Fourier. Béranger
lui a consacré une poésie reproduite dans l'ouvrage de Bebel, Charles
Fourier, Stuttgart, 1890, pp. 294.
14. Les écrivains socialistes sont loin
d'en être persuadés. Kautsky (Die soziale Revolution, t.
II, pp. 16.) considère comme la tâche primordiale du
régime prolétarien « de faire du travail,
aujourd'hui un fardeau, un plaisir. Travailler deviendra un plaisir et les
ouvriers iront avec plaisir à leur travail. » Il
reconnaît que « ce n'est pas une chose facile »,
et conclut en disant: « On arrivera à grand peine à
rendre attrayant le travail dans les usines et dans les mines. »
Mais Kautsky ne se résigne tout de même pas à abandonner
l'illusion fondamentale du socialisme.
15.
Cf. Veblen, The
Instinct of Workmanship, New York, 1922, pp. 31.
– De Man, Zur
Psychologie des Sozialismus, pp. 45. – De Man, Der
Kampf um die Arbeitsfreude, Iéna, 1927, pp.
149.
16.
Nous faisons ici abstraction de ce sentiment de plaisir au début du
travail, dont nous avons parlé plus haut, pp. 190-191.
17.
Cf. Wattenbach, Das
Schritfwesen im Mittelalter, 3e édit., Leipzig,
1896, p. 500. Parmi les nombreux passages
cités par Wattenbach, il en est un encore plus frappant:
« Libro completo saltat scriptor pede laeto. »
18.
Cf. Clark, Distribution
of Wealth, New York, 1907, pp. 157.
19. Cf. Rodbertus-Jagetzow, Briefe
und sozialpolitische Aufsätze, publiés par R. Meyer, Berlin,
s. d. (1881), pp. 553.
20.
Cf. Schäffle, Die
Quintessens des Sozialismus, 18e édit., Gotha, 1919, pp.
30.
21. Cf. Degenfeld-Schonburg, Die
Motive des volkswirtschaftlichen Handelns und der deutsche Marxismus,
Tubingue, 1920, pp. 80.
22. Cf. Mill, Principles,
pp. 126. Mill a-t-il emprunté ces idées à d'autres? Ce
n'est pas le lieu de le rechercher. Ce qu'il y a de sûr, c'est que ces
idées doivent leur diffusion à l'excellente
démonstration que Mill a faite dans son ouvrage qui a trouvé
tant de lecteurs.
23. La concurrence entre chefs d'entreprise
empêchera les salaires de tomber au-dessous de la norme usuelle.
24. Cf. Kautsky, Die
soziale Revolution, t. II, pp. 15.
25. Cf. Kautsky, Die
soziale Revolution, t. II, pp. 21.
26. Cf. Kautsky, ibid.,
t. II, p. 26.
27. Dans les années de l'économie
forcée, on a souvent entendu parler de pommes de terre gelées,
de fruits pourris, de légumes gâtés. Cela ne s'est-il
jamais produit auparavant? Certainement, mais sur une bien plus petite
échelle. Le marchand, dont les fruits pourrissaient, perdait de
l'argent. Cela le rendait plus prudent; car s'il ne l'était pas, il se
ruinait, et c'était sa déchéance économique. Il
était exclu de la direction de la production et envoyé en
disgrâce à une place où il ne pourrait plus nuire. Il en
va autrement quand le commerce porte sur des articles produits par une
économie d'État. Derrière la marchandise il n'y a pas de
marchand personnellement intéressé, mais des fonctionnaires
dont la responsabilité est si diluée, qu'aucun ne songe
à s'émouvoir de ce qui n'est pour lui qu'une petite maladresse.
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Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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