|
Les accords de
Bâle (I et II) sont au centre de polémiques
sur la solidité du système bancaire mondial. Entrés en
vigueur en 1992 (Bâle I), modifiés au 1er janvier 2007 (II), ils
étaient censés protéger les banques d'un risque de
faillites en cascade. Une banque qui respectait les ratios définis par
les accord de Bâle (Cooke 1992, puis Mc Donough 2007) était
supposée suffisamment solide, et le système bancaire
gouverné par de tels ratios était supposé stable.
La crise actuelle
vient de montrer à quel point cette approche mathématique de la
gestion des banques s'est révélée inefficace. Car
à n'en point douter, les fonds propres des banques étaient
insuffisants pour couvrir efficacement les risques de pertes liés au
dégonflement de la bulle de crédit que nous vivons.
Voyons pourquoi,
au delà du constat empirique, l'approche des accords de Bâle est
mauvaise pour prétendre maîtriser le risque financier couru par
les banques.
Un modèle One size fits all pour toutes les
banques
Les ratios Bâle I et II ont été élaborés
par un comité regroupant les gouverneurs des banques centrales du G10,
en liaison avec les acteurs du secteur de la finance. Nous y reviendrons.
Bien que les conclusions du comité n'aient en théorie pas de
valeur légale, elles ont de facto été transcrites dans
le droit de la plupart des autorités de supervision bancaire dans le
monde.
Ces ratios, dans
leur dernière version (Mc Donough, une évolution
paramétrique des ratios de Cooke sans changement de philosophie)
stipulent que les "fonds propres" des banques doivent
représenter 8% de leurs actifs "pondérés des
risques". Tous ces guillemets méritent bien quelques
explications.
Les "fonds
propres" en question ne représentent pas que les capitaux
propres, mais la somme de ces capitaux (TIER 1) et ce que l'on appelle les
"dettes subordonnées" (TIER 2), autrement dit les dettes
dont le remboursement est subordonné au remboursement de toutes les
autres dettes, bref, que les directions financières les considèrent
comme du "quasi-capital". Les capitaux propres des banques
proprement dits ne sont pas soumis à un ratio particulier, mais
certains superviseurs nationaux comme la FDIC américaine imposent un
minimum de 3%, voire 4% si l'actif de la banque présente certains
profils de risque. Joyeuse dérive de la "créativité
comptable" en vérité, qui consiste à assimiler de
la dette à du capital, au motif que le créancier prend un
risque intermédiaire entre celui du créancier "non
subordonné" et celui de l'actionnaire. La dette
subordonnée n'en reste pas moins remboursable et doit être
considérée comme telle au bilan !
Bref, le ratio de
fonds propres par rapport à l'actif "pondéré"
retenu par les accords de Bâle, est caractéristique d'un
modèle économique à très fort effet de levier
("leverage"),
c'est à dire à très fort niveau d'endettement, synonyme
de risque de faillite élevé en cas de tempête
conjoncturelle, comme nous le voyons en ce moment.
La norme impose
en outre que ces fonds propres soient calculés à partir d'un
actif "pondéré du risque". Autrement dit, plus un
actif est risqué, et plus l'exigence de fonds propres est
augmentée selon des coefficients parfaitement fixes, rigides, et
arbitraires, définis dans ces
documents PDF de la banque des réglements internationaux
dont je recommande la lecture aux plus insomniaques d'entre vous.
Ces coefficients
dépendent de la notation émise par les agences
agréées au niveau mondial, donc, en fait, par la SEC
américaine, (S&P, Moody's, Fitch, principalement), sur les
produits émis par les institutions financières. J'y reviendrai.
Autrement dit,
toutes les banques se voient imposer un business model hyper-leveragé
encadré par les mêmes normes inflexibles, et leur actif est
pondéré par des coefficients dont la manque de
progressivité induit des effets de seuil dont nous verrons les effets
dévastateurs.
La
première conséquence de l'encadrement de l'activité des
banques par le ratio de Bâle II est de réduire la
capacité réelle d'analyse des risques pris par les banques. En
effet, le respect du ratio vient se substituer à l'analyse fine des
risques contenus dans le portefeuille d'actifs d'une banque. Et surtout,
l'application de ratios technocratiques à l'actif détenu par la
banque donne à croire que le ratio prend en compte correctement le
risque intrinsèque à chaque classe d'actifs et dispense d'une
analyse plus fine de l'investisseur.
Par
conséquent, la réglementation tend à gommer la
perception des différences qualitatives entre les portefeuilles de
créances et d'investissement des banques. Aussi les prêteurs
sont ils moins à même de faire la différence entre
"bonnes" et "mauvaises" expositions au risque, et donc de
moduler le taux auquel ils acceptent de prêter aux banques en fonction
des risques réels figurant au bilan.
Bref,
l'application des accords de Bâle comporte, de par son principe, un
mécanisme tendant à sous-estimer le risque encouru par les
banques. Encore un mécanisme auto-correcteur des marchés
délibérément endommagé par une
réglementation étatique inadéquate.
Bâle II et
l'explosion des produits dérivés
Ce
phénomène déjà néfaste en lui même a
été amplifié par un second aspect déjà développé
ici: Bâle I et II (et les réglementations
similaires en vigueur dans l'assurance) ont fortement augmenté
l'incitation, pour les banques, à garnir leur portefeuille d'actifs de
produits dérivés permettant de "transformer" -- je devrais
dire"déguiser" -- un actif apparemment
risqué (comme une collection de prêts
"subprime", qui serait à la base mal notée) en une
collection d'obligations de niveau de risque différent, dont une
majorité notée « AAA » ou similaire que
les banques pourront acheter sans être pénalisées au
niveau de leur capital.
Pour les banques,
posséder des "tranches" AAA est important: en effet,
l'étude des ratios réglementaires (cf. documents de la BRI
déjà mentionnés) montre qu'une perte
d'un niveau de notation sur une classe d'actifs peut augmenter
mécaniquement l'exigence de fonds propres des banques
concernées de plus de 20 ou 30% du total des actifs
considérés.
Or, la
détention de fonds propres élevés est, dans toutes les
économies occidentales, pénalisée fiscalement par
rapport à la détention de dettes (cf. cette note essentielle, "passer d'une
société du crédit à une société du
capital"): les intérêts versés
aux créanciers sont déductibles de l'assiette de l'impôt
sur les sociétés, alors que les dividendes versés aux
actionnaires ne le sont pas. Sans cette distorsion fiscale flagrante, le
recours à des taux de levier importants serait bien moins
justifié, comme l'ont montré les travaux des prix Nobel
d'économie Miller et Modigliani.
Par
conséquent, obtenir une note élevée pour ses actifs est
essentiel pour une banque (et une compagnie d'assurances).
Or,
deuxième difficulté, une banque ou un assureur ne peuvent pas
se contenter d'offrir des produits notés AAA "bruts" car
alors le rendement qu'ils offriraient à leurs investisseurs serait
trop proche de celui des obligations d'état et les rendrait inutiles
sur le marché financier: pas besoin d'un banquier surpayé pour
acheter des obligations du trésor allemand à l'époque
d'internet !
Voilà
pourquoi la mise au point de produits dérivés de plus en plus
complexes a trouvé si facilement des débouchés
auprès des investisseurs institutionnels. Je copie colle un extrait d'une ancienne note expliquant leur fonctionnement:
---
Les banques et compagnies
d'assurance furent une mine d'or pour les vendeurs de dérivés.
Non que leurs managers soient des idiots, mais parce qu'ils doivent
gérer leurs investissements dans un enchevêtrement de
réglements particulièrement contraignants. Régulation
fédérale, régulation d'état... Ils remplissent
chaque trimestre un rapport statutaire utilisant des calculs de prix réglementés
(NdT: pour leur portefeuille d'actifs), qui déterminent des ratios de
risque.
Bien que l'assurance ait été
lourdement réglementée depuis la fin de la seconde guerre, les
cas de fraude ou de mauvaise gestion ont été nombreux et
spectaculaires, et encore, pour chaque cas médiatisé, il y en a
des dizaines moins importants dont vous n'entendrez pas parler. C'est peut
être la nature de l'activité qui le veut, mais cela ne constitue
pas à première vue un argument pour plus de régulation.
Les régulateurs passent trop de temps
à regarder les instruments utilisés dans un portefeuille d'une
compagnie d'assurance plutôt que le portefeuille en lui même. Les
règles, dans la plupart des états, pénalisent voire interdisent
l'investissement dans les obligations de signature de qualité
inférieure, et la plupart du temps en capital. Ils évaluent les
crédits en fonction de leur notation S&P ou Moody's...
Seulement voilà: les compagnies
d'assurance ont besoin du rendement des obligations les moins bien
notées, sans quoi, leurs fonds n'auraient pas de valeur ajoutée
par rapport à l'achat de bons du trésor. Les vendeurs de
dérivés trouvent là une opportunité de
bâtir des produits autour de ces réglementations. Ils packagent
des fonds de placement qui dissimulent la volatilité des prix pour
certains types de risques en théorie proscrits. Ainsi l'investisseur
peut il être récompensé pour une prise de risque
additionnelle, et le banquier est rémunéré pour son
montage.
Un exemple simple en sont les CBO,
"Obligations collatéralisées par des obligations"
(!!!), crées en groupant des obligations de signature moyenne ou basse
dans un "véhicule à usage spécial" (SPV), et
faisant émettre par ce fonds au moins deux instruments de dette, l'un
"senior" à remboursement prioritaire et taux plus faible,
l'autre "junior" à taux élevé mais risque de
défaillance plus élevé. La tranche
"sénior" obtient une note élevée du fait de
l'effet amortisseur de la tranche "junior". Le coupon
"junior", par exemple, absorbe les premiers 10% de pertes de tout
le portefeuille, les bons "séniors" ne sont impactés
que lorsque les pertes excèdent ce montant. Les obligations
"junior" sont communément appelées les "Tranches
Z", obligations à haut risque, adaptées seulement aux
spéculateurs... Ou à certains gestionnaire de fonds publics
incompétents, comme dans certains comtés de Californie.
Les CBO ne sont qu'un exemple parmi d'autres
d'outils financiers bâtis autour de la réglementation de
notation du crédit. La plupart d'entre eux parviennent au même
résultat: ils réduisent la fréquence des pertes, mais a
contrario, ils en augmentent la sévérité. Ils
s'écroulent rarement, mais quand cela arrive, cela produit souvent un
immense désordre, comme le prouve la crise que nous vivons !
Les instruments packagés autour des
notations d'agence sont moins risqués que le pool d'actifs qu'ils
représentent mais bien plus risqués et surtout plus illiquides
que les investissements directs autorisés auxquels ils se substituent.
Résultat, ils versent un rendement plus élevé à
l'investisseur, malgré des commissions bancaires plus
élevées. Le "premium" peut couvrir ou ne pas couvrir
suffisamment le risque associé, mais l'important est que ces titres
obtiennent la sacro-sainte note d'agence exigée par le
législateur. Ils sont ainsi, parfois, le seul véhicule
d'investissement possible pour des portefeuilles encadrés par des
règles de rating mais qui recherchent malgré tout un peu de
rendement.
Ces transactions enrichissent surtout les
banquiers d'affaires, mais réduisent les rendements corrigés du
risque versés aux investisseurs, lesquels subissent donc un coût
des contraintes réglementaires plus élevés que ceux qui,
comme les Hedge funds, peuvent se permettre d'acheter directement des actifs
ne recourant pas à ces techniques de titrisation, qui n'embarquent
donc pas avec eux le coût du montage financier.
---
Le premier résultat de tout ceci est qu'une obligation qui
rémunèrerait un investisseur à 6% en tant que
véhicule d'investissement direct va offrir une
rémunération "moyenne" inférieure aux
investisseurs qui achètent des CDO. Or, si l'ingéniérie
financière nécessaire à l'émission de produits
dérivés "à tranches" prélève,
admettons, 0,5% de marge d'intermédiation, alors la
rémunération globale du pool d'obligations à risque
tombe à 5,5%. Et quoi qu'en disent les matheux qui nous expliquent que
le modèle économique de la titrisation est scientifiquement
validé, le risque représenté par un actif est moins bien
couvert à 5,5% qu'à 6%, car tout taux d'intérêt
demandé à un emprunteur se doit de comprendre une marge de
sécurité représentative du risque de défaut de
paiement de l'emprunteur en question. Plus la marge de sécurité
est faible, moins le risque est couvert.
Le second
résultat est que ces produits dérivés éloignent
l'investisseur de la connaissance du véhicule d'investissement direct
qui le composent, et donc rendent difficile l'évaluation du risque
reél sous-jacent, voire même la valeur réelle du produit
dérivé lorsque les défaillances d'emprunteurs
individuels dont les prêts composent le fond se multiplient, comme cela
est le cas actuellement.
Par
conséquent, il est facile de reprocher aux investisseurs
institutionnels de s'en être remis aveuglément aux agences de
notation pour évaluer leurs actifs. Mais comment auraient-ils pu
faire autrement ? Même les banques d'affaires qui émettent les
produits dérivés en question, parfois eux même
composés... D'autres produits dérivés (des
dérivés de dérivés, donc !), sont incapables de
lister les investissements directs contenus dans le produit
dérivé.
Cela dit, il y a
également un problème avec la réglementation des agences
de notation.
Agences de
notation : un oligopole paresseux, juge et partie ?
En effet, pour
être agence de notation aux USA, et donc dans le monde, il faut obtenir
un statut spécial délivré par la SEC, organe du
gouvernement. Ironie du sort, c'est donc la SEC qui a indirectement
instauré cet oligopole de fait. Elle a en effet accordé un
statut spécial aux agences en 1975 après qu'elle leur eut
confié l'analyse crédit des titres des banques et des courtiers
pour déterminer leurs charges en capital.
De fait, le
statut conféré par l'état de NRSRO est désormais
devenu incontournable pour les investisseurs et les émetteurs. 7
licences furent accordées depuis 1975, et les fusions acquisitions ont
réduit le nombre d'agences à 3. Mais ce n'est pas tout. En
rendant obligatoire l'usage des notations des agences agréées
pour codifier l'actif détenu par les banques, les législateurs
qui ont intégré les accords de Bâle dans leur droit
ont de fait transformé ces trois agences en monopole
indéboulonnable.
En effet, au lieu
de permettre à des nouveaux entrants de remettre en cause la routine
des agences établies, l'état conforte leur monopole en rendant
obligatoire l'usage de leurs notes dans l'évaluation des portefeuilles
des principaux acteurs de la finance, et n'accorde de nouvelles licences
qu'à des nouvelles agences ayant pu faire leurs preuves, ce qui est
quasi impossible puisque personne n'a intérêt à payer des
agences de notation non agréées pour l'évaluation des
actifs détenus...
Il en
résulte que de nombreux témoins (dont un adjoint de JC Trichet lors d'un colloque
à Bruxelles) affirment publiquement que les agences de
notation sont devenues routinières, paresseuses, et ont
étudié de façon très superficielles certains
produits financiers pourtant notés AAA ou AA+, au motif que
l'émetteur de ces produits avait une réputation qui se
suffisait à elle même...
Ce n'est pas
tout. Les grandes banques émettrices de CBO ou CDO ont pris pour
habitude de consulter en amont les agences de notation pour déterminer
comment composer un pool de produits plus ou moins risqués et comment
le découper en tranches "sénior", intermédiaires
(parfois appelées poétiquement "mezzanine"...) et
"junior" afin de permettre aux tranches sénior, voire
intermédiaires, d'obtenir une note maximale. Autrement dit, les
agences de notation, en prodiguant des conseils d'ingénierie
financière, devenaient juge et partie...
Comment
Bâle I et II ont ils été élaborés ?
A la
décharge du comité de Bâle, l'on peut comprendre la
préoccupation de mettre en place un niveau plancher de fonds propres,
puisque la dette est avantagée fiscalement par rapport au capital. En
effet, un fort effet de levier permet d'accroître la rentabilité
nette des fonds propres, en contrepartie d'un risque de défaut plus
élevé. Une telle configuration peut pousser certains PDG de
grandes banques, peu ou pas actionnaires de leur entreprise, sans gros
actionnaire pour leur opposer un réel contre-pouvoir, à
privilégier un niveau de risque élevé, et à se
verser de gros bonus tant que le risque paie, surtout si l'ardoise finale
peut être laissée au contribuable. Imposer un niveau de fonds
propres minimum fait sens, dans un tel contexte. L'inconvénient est
que le niveau fixé, au lieu d'être un minimum, devient la norme:
si le niveau des fonds propres a été mal
déterminé au départ, compte tenu de la variation des
conditions de marché futures, alors les ennuis commencent. Or rien ne
dit que le niveau de fonds propres retenu soit "le bon niveau"
à tout instant de la vie des banques.
Pourquoi 8% ?
Pourquoi inclure la dette subordonnée dans la définition des
fonds propres ? Pourquoi figer une fois pour toute le niveau de risque
représenté par telle ou telle classe d'actif ?
On me
rétorquera que le comité de bâle s'est appuyé sur
les professionnels pour élaborer ces ratios. Rigoureusement exact,
sauf que lorsque mille banquiers sont autour d'une table, y a-t-il la moindre
probabilité pour que ces mille arrivent à un consensus ? Ou
alors est il probable que les meilleurs lobbyistes convaincront les
représentants des banques centrales à privilégier des
modèles convenant à un type de banque au détriment des
autres ? Tout porte à croire que les banques les plus
leveragées ont fait prévaloir leur point de vue sur les
autres...
En outre, comment
éviter que les coefficients arbitrairement fixés, s'ils sont
pertinents à un moment donné, le soient encore 10 ans plus tard
? Les conditions de marché évoluent sans cesse, comment les
conditions de fonds propres attachées à chaque classe d'actif
pourraient elles être gravées dans le marbre ?
En finir avec les
accords de Bâle : Pour une réforme conjointe de la
réglementation et de la fiscalité bancaire qui oblige les
acteurs de marché à penser par eux mêmes
A la lueur de ce
qui précède, se dessine la direction que devrait prendre la
réglementation bancaire. Il ne faut pas, comme l'on l'entend un peu
partout, "plus de règles", car l'efficacité d'une
règle ne se juge pas au poids du papier qui sert à
l'écrire.
Il faut des
règles différentes dans leur philosophie, qui favorisent
l'adaptation des acteurs de marché, et notamment ceux qui
prêtent de l'argent, au niveau de risque réel pris par les
banques.
La
réglementation des banques doit donc arrêter toute
référence à un niveau de fonds propres obligatoires, et
toute référence à des ratios arbitraires de valorisation
du portefeuille d'actif. En contrepartie, elle doit explicitement contraindre
les acteurs de la finance à révéler non seulement la
composition de leurs portefeuilles d'actifs, mais aussi la composition des
produits composés (# dérivés) en "véhicules
d'investissement primaires", autrement dit, en prêts à
intérêts, en actions, en obligations, en pierre, en or, ou que
sais-je encore, pourvu que ce placement soit bien celui qui produise de la
valeur, et non une capsule de plusieurs de ces placements.
A partir de
là, c'est à chaque investisseur de se faire une idée de
la valeur du portefeuille, et de la pertinence qu'il y a à investir
dans une banque, un fonds, une assurance, etc..., en capital, ou en
souscrivant à ses emprunts, et à déterminer le taux
auquel il est disposé à prêter son argent en fonction de
sa propre évaluation des risques disséminés dans le portefeuille
de la banque. C'est difficile ? Peut être, mais pourquoi faire perdurer
l'illusion que des rendements attractifs peuvent être obtenus sans que
soient consentis un minimum d'efforts ?
Dans cette
configuration, c'est à chaque investisseur d'avoir recours à un
organisme d'évaluation s'il ne peut faire ce travail lui même.
L'évaluation n'ayant plus de valeur réglementaire, le
marché de l'évaluation ne serait plus verrouillé par des
agences de notation qui ont perdu la main, et de nouveaux entrants pourraient
venir bousculer la hiérarchie établie. Il est probable que les
assureurs ou les assureurs crédit, dont l'évaluation des
risques est le métier, pourraient introduire une saine concurrence
dans ce domaine.
De plus,
l'attrait pour les produits de titrisation de créances (CDO, CBO,
etc...) devrait être considérablement amoindri. Certes, il ne
s'agit pas d'interdire les produits dérivés, mais de faire en
sorte que leur part de marché reste celle de niches destinées
à répondre à des besoins bien précis, comme par
exemple la diversification des risques géographiques. Toutefois, les
produits dérivés mis sur le marché ainsi
rénové resteraient simples (un seul niveau de
dérivation grand maximum, peu de recours au système des
tranches) car personne n'aurait intérêt à payer une
ingénierie financière complexe dont le seul but était de
créer une illusion sur la solidité réelle des actifs
encapsulés pour donner aux banques le droit de les posséder
sans pénalité au niveau de leur capital.
De fait, si une
banque avait, dans un tel système, possédé trop de
prêts dits « subprimes », elle n'aurait pas pu le
dissimuler, ni même l'ignorer ! Elle aurait vu le taux demandé
par ses financiers augmenter dès que les premières
inquiétudes se seraient matérialisées sur la solvabilité
des prêteurs. Il est probable que les premiers coups de semonce, voire
la première faillite de petit établissement surexposé
aux mauvais crédits, auraient contraints d'urgence les gestionnaires
d'actifs à limiter leur exposition à ce type de produit, ce qui
aurait grandement réduit la taille de la bulle immobilière. En
outre, la revente de ces actifs « pourris » pour
assainir les bilans des banques fragilisées aurait été
facilitée, du fait de la transparence des placements
opérés par les banques à leur actif.
Pour qu'un tel
système fonctionne, nous l'avons vu, il faut en finir avec la
distorsion fiscale opérée entre dette et capital: pas plus que
les dividendes versés aux actionnaires, les intérêts
versés aux créanciers ne doivent être déductible de
la base imposable des entreprises en général, et des banques en
particulier. En contrepartie de cet élargissement d'assiette, le taux
d'imposition sur les sociétés doit être fortement
réduit, et ni les dividendes, ni les intérêts, ne doivent
subir de seconde taxation en arrivant dans le portefeuille du particulier.
Ainsi, celui ci décidera en toute connaissance de cause s'il choisira
d'investir son épargne en capital ou de prêter son argent
à des entreprises, en modulant l'intérêt demandé
en fonction des risques pris par l'institution émettrice de la dette.
Naturellement,
les banques étant très fortement leveragées aujourd'hui,
la transition de notre régime de taxation actuel à celui que
nous proposons ici serait à étudier avec soin, peut
être sur plusieurs années. Mais une telle proposition est de
nature à replacer la saine formation de capital au centre des
stratégies d'entreprises, notamment financières.
Ainsi, la
recherche d'effets de levier maximaux n'aurait plus lieu d'être,
puisque la distorsion fiscale ne viendrait plus perturber le choix des
entreprises comme des investisseurs (cf.
conséquences du théorème
de Miller-Modigliani). En outre, certaines banques
pourraient utiliser leur niveau élevé de
véritables capitaux propres comme un argument commercial pour attirer
de nouvelles clientèles. Pourquoi ne pas, d'ailleurs, obliger une
banque à faire figurer son ratio "fonds propres/ Total du
bilan" des derniers comptes certifiés sur toute documentation
à caractère commercial ?
Une telle
réglementation, légère, facile à comprendre par
tous, peu coûteuse, aurait pour effet de laisser le marché
élaborer seul, par approximations successives, le coût des
ressources utilisées par une banque en fonction des risques auxquelle
elle choisit de s'exposer, et de son niveau de levier.
En outre, le
rôle de l'état régulateur serait ici strictement
limité à son pouvoir régalien, celui de s'assurer de la
transparence et de l'honnêteté des informations
délivrées par les banques, de trancher les litiges, et de
sanctionner les manquements à ces principes de base. L'exemple des
insuffisances de la SEC ou du trésor dans diverses affaires
récentes (Madoff, banques d'affaires, Fannie et Freddie...) montre que
lorsque l'état veut imposer à ses agences à la
fois un rôle régalien et des objectifs politiques
interventionnistes, la fonction régalienne pâtit de la seconde,
l'Etat ne pouvant être à la fois juge et partie.
Une telle
réglementation réduirait sans aucun doute le risque
systémique, car elles créerait de meilleures incitations
à la détention de fonds propres élevés, et
éviterait que toutes les banques ne présentent des profils trop
proches les unes des autres par la faute de la réglementation, ce qui
est dangereux lorsque le profil fixé par ladite réglementation
se révèle trop fragile... Dans tout écosystème,
c'est la diversité qui garantit le mieux la survie.
En outre, elle
permettrait d'isoler plus rapidement les actifs dits "toxiques" des
banques en cas de crise, et donc d'engendrer, en cas de problème, un
processus vertueux de liquidation de ces actifs auprès d'investisseurs
spécialisés dans ce type de liquidation. Comme dans la nature,
les spéculateurs "charognards" pourraient effectuer un travail d'assainissement fort utile
des actifs les plus incertains, rendant inutile toute intervention
ultérieure de l'état, et donc toute nouvelle ponction sur le
contribuable.
Quelles que
soient leurs compétences, les experts du comité de Bâle
doivent admettre qu'ils ne sont pas les mieux placés pour expliquer
à chaque banque dans le monde la meilleure façon d'exercer ce
métier ! C'est aux mécanismes de marché, pourvu qu'on
les laisse fonctionner sans y mêler des règles étatiques qui tendent à les
détraquer, de récompenser les meilleures et
de forcer les moins fiables à s'améliorer ou à
disparaître, et ce sont ces mêmes mécanismes de
marché qui sont à même de déclencher les crises
dûes à de mauvaises décisions suffisamment tôt pour
qu'elles restent limitées dans leur étendue et ne créent
pas de risque systémique socialement et politiquement inacceptable.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
|
|